3. Conclusion : « traduction unilatérale » et « négociation »

Le processus de vente passe par la traduction de différentes représentations de l’objet par les acteurs d’un réseau sociotechnique pour construire un objet intermédiaire. Les représentations sont construites à partir d’une théorisation a priori des « besoins » du transporteur liés aux spécificités de son métier ou grâce à des prises sur les objets matériels. Ces prises peuvent être objectivées lorsqu’elles reposent sur des indicateurs extérieurs aux individus qui les construisent comme dans le cas des entreprises de logistiques qui calculent des coûts moyen pour l’exploitation d’un type de véhicule. Elles peuvent également être subjectives lorsqu’elles reposent directement sur les sens des individus. Mais les prises intègrent également des logiques sociales notamment la perception que les acteurs ont du contexte. Par exemple, les petits transporteurs ont souvent une représentation négative des Premiums qu’ils jugent contraires aux valeurs traditionnelles du secteur.

Les représentations de l’objet sont ensuite confrontées dans le réseau sociotechnique pour créer un objet intermédiaire. Le passage des représentations à l’objet intermédiaire peut être caractérisé par deux éléments : les rapports de force au sein du réseau et la maîtrise ou non des différents codes langagiers employés pour définir l’objet technique.

Ces deux éléments sont difficiles à distinguer : en effet, la maîtrise des différents langages entraîne un rapport de force favorable. Ainsi, dans le cas de la vente à un transporteur en compte propre, ces derniers ne sont pas capables de traduire leurs besoins, les spécificités de leur métier, ni en terme de caractéristique d’un véhicule, ni en terme d’un type de véhicule dans la gamme Renault Trucks. Ils sont donc dépendants du vendeur pour cette traduction et ce dernier dispose ainsi d’un avantage important dans la négociation. Nous appellerons ce type de transformation des représentations de l’objet en objet intermédiaire la « traduction unilatérale ». Toute discussion, et donc tout processus de passage de représentations de l’objet à des objets intermédiaires, induit une traduction. Le locuteur n’est jamais sûr que son interlocuteur attribue le même sens que lui aux codes langagiers utilisés. Néanmoins, les codes utilisés par les deux interlocuteurs peuvent être plus ou moins différents. Ces codes peuvent notamment se situer dans le même registre. Nous utiliserons ici le terme de traduction pour désigner ces changements de registres.

Dans le cas de la vente, il s’agit de passer de « besoins » aux caractéristiques techniques du véhicule et enfin à un modèle dans la gamme de Renault Trucks. Dans le cas des transporteurs pour compte d’autrui, la traduction peut être effectuée par les deux acteurs du réseau sociotechnique : le vendeur et son client. C’est alors un rapport de force préexistant (qui provient du fait que la vente est un processus actif et que les marques se livrent un véritable combat pour obtenir des parts de marché) qui donne sa forme au processus de passage des représentations de l’objet aux objets intermédiaires. Les prises construites par le transporteur et les représentations de l’objet qui en découlent priment alors sur celles du vendeur. Nous nommerons ce second type de processus, la « négociation ». Elle se caractérise par la préexistence d’un rapport de force qui détermine la forme de l’objet intermédiaire.

La troisième étape permet de pointer les différences entre l’étape d’innovation et de vente. Pendant l’invention les membres d’un réseau combinent des structures élémentaires techniques en s’aidant de la flexibilité de forme de ces techniques. Durant la phase de vente, dans le réseau sont réunis des ensembles techniques. Ces derniers étant déjà constitués, la combinaison ne peut être facilitée par aucune flexibilité de forme autre que celles prévues pendant l’invention. Ainsi, il n’est pas possible de réunir sur un véhicule Renault Trucks une pince rétractable et un réservoir supplémentaire. Ces différents ensembles techniques ont également été classés selon des perceptions des métiers du transporteur entraînant des impossibilités nécessairement liées à des caractéristiques physiques des ensembles techniques. Par exemple, il n’est pas possible de prendre l’option climatisation sur les Kerax.