1.3. Le contexte : l’augmentation des contraintes sur le secteur du transport routier et l’évolution de l’offre

La perception de crise du secteur du transport routier de marchandises en Chine est également liée à l’augmentation des contraintes pesant sur ce secteur. Les professionnels de ce secteur dénoncent unanimement l’augmentation des coûts qui n’est pas compensée par une hausse de prix du transport. Ils ciblent principalement la hausse du prix du gasoil et les nouvelles législation. Pendant notre recherche, le changement le plus important a été la mise en place une réglementation291 sur le contrôle du poids de chargement des camions sur les infrastructures routières. Celle-ci a eu des conséquences importantes non seulement sur le marché du transport mais également sur le marché du camion au travers de l’évolution de la demande et en réaction à l’évolution de l’offre par les constructeurs.

Les conditions du transport en Chine, notamment le faible prix du transport et la faible capacité de la profession à se mobiliser pour l'augmenter, font que les transporteurs surchargent leurs véhicules pour augmenter leurs revenus. Jusqu'en 2004, le poids de chargement des véhicules (PTAC/PTRA292) était seulement limité par leur homologation, c'est-à-dire par rapport à l'évaluation de l'État sur la charge que peut supporter le camion et non par rapport à celle que peuvent supporter les infrastructures. La question du poids a d'importantes conséquences en matière de sécurité (notamment en ce qui concerne le freinage) mais également au niveau de l'entretien des infrastructures qui peuvent être rapidement endommagées par la surcharge des véhicules. C'est sans doute ce qui explique que ces limites à l'homologation sous-évaluaient la capacité des véhicules, rendant leur application encore plus problématique. En 2004, pour lutter contre le surpoids, l'Etat chinois a donc émis une réglementation dont deux volets concernent le poids de chargement. Le premier volet vise à mettre en place une ré-homologation plus réaliste des véhicules. Le second volet est l'introduction d'une limitation du poids autorisé par essieu.

Elle a été mise en place avec un important dispositif de contrôle et à grand renfort de publicité pour s'assurer de sa réussite. Néanmoins, aujourd'hui, cette attention particulière semble diminuer et on assiste à un retour des pratiques de corruption. Ce retour est confirmé par les chauffeurs et transporteurs interrogés qui affirment que si le nombre de points de contrôle et la fréquence des contrôles ont augmenté, il est de nouveau possible de « s'arranger » avec les policiers293.

Si l’on constate que cette nouvelle loi a eu peu d’effet sur la surcharge, elle a eu d’importantes conséquences sur la demande de camion. En ce qui concerne la demande, l’application stricte de la loi dans un premier temps a conduit les transporteurs à renouveler leur parc en achetant des camions tracteurs ou porteurs avec un plus grand nombre d’essieux pour augmenter leur capacité de transport294. Beaucoup d’entreprises ont, au moins partiellement, renouvelé leur parc, en achetant des véhicules avec des capacités de transport supérieures. Avec le retour des anciennes pratiques, les anciens véhicules peuvent être surchargés à nouveau entraînant une surcapacité de transport qui explique en grande partie les mauvais résultats de l’ensemble des constructeurs enregistrés en Chine.

Cette loi a également eu des effets sur l’offre de camion en Chine. Certaines marques, notamment CNHTC et Foton, ont alors profité de la mauvaise qualité des produits de la gamme haute des deux marques historiques, FAW et Dongfeng. Néanmoins, aujourd'hui la majorité des transporteurs et chauffeurs interrogés pensent que FAW et Dongfeng ont amélioré la qualité de leurs produits et rattrapé leur retard.

Cette loi a eu un autre effet majeur sur le marché du camion en Chine : la chute brutale des ventes de camions importés. En effet, l’avantage compétitif des camions étrangers sur le marché chinois, outre une plus faible consommation de gasoil et une plus grande fiabilité, était de supporter des plus grandes charges, ce qui est aujourd'hui interdit.

Après une baisse en 2005, le marché des véhicules commerciaux s’est relancé en 2006 et les règlementations sur la surcharge vont sans doute entraîner une augmentation de la demande pour les camions lourds sur le long terme. En 2005, Dongfeng Motor est devenu leader devant FAW pour le marché des camions lourds et intermédiaires.

L’industrie automobile chinoise295 s’est développée de manière autonome (à l’exception du soutien russe pendant la période d’amitié sino-soviétique) jusqu’aux années 1970 et l’ouverture décidée par Deng Xiaoping pour combler le retard technologique chinois et attirer les capitaux étrangers. Néanmoins, cette ouverture n’a pas été totale, la Chine souhaitant développer une industrie nationale forte. Ainsi, le gouvernement a mis en place une forte barrière douanière pour protéger les constructeurs nationaux des importations. Parallèlement, il a établi un système de taxes qui favorise la création de joint-venture pour favoriser l’assimilation des savoir-faire étrangers. Cette mesure a été couplée avec une interdiction pour une société étrangère de posséder plus de 50% d’une compagnie produisant des véhicules automobiles.

L’industrie automobile chinoise était spécialisée dans la production de véhicules utilitaires, industriels et des bus mais avait négligé la production de voitures individuelles. Dans le secteur du camion, il existait déjà des groupes forts reposant sur un marché intérieur étendu (plus de 400 000 camions vendus par an). Si les constructeurs étrangers sont attirés par le potentiel du marché, il est plus difficile d’établir des partenariats industriels. En effet, les constructeurs de camions chinois disposent déjà de structures, d’un marché protégé et de savoir-faire même si les techniques utilisées sont moins avancées. C’est ce qui explique la réticence de certains constructeurs étrangers vis-à-vis du marché chinois, soucieux de ne pas créer de potentiels concurrents sur le marché mondial. Le dixième plan quinquennal qui couvre les années 2001 à 2005 prévoyait le regroupement de l’industrie automobile autour de 3 grands piliers : FAW (First automotive works296), Dongfeng (Dongfeng Motor Corporation297) et SAIC (Shanghai Automotive Industry Corporatio298). Cette réorganisation a tourné court avec le développement du marché qui a entraîné une forte augmentation du nombre de constructeurs (financés notamment par les provinces et les villes les plus importantes qui cherchent à avoir leur propre constructeur local) et a permis aux petites et moyennes entreprises de trouver de nouvelles opportunités. Aujourd'hui, en Chine, il existe quatre constructeurs majeurs de camion : FAW, Dongfeng, CNHTC (China National Heavy-Duty Trucks Company299) et Foton (Beijing Futian Automotive300).

FAW est le premier groupe créé en Chine en 1953. Cette marque, qui produit des véhicules industriels, utilitaires, des bus et des voitures individuelles est devenue un symbole national en produisant la première berline chinoise en 1958 et grâce à ses camions « Jiefang » (c’est-à-dire « Libération ») fabriqués essentiellement dans les provinces du Liaoning, du Shandong et du Jilin. Le groupe a commencé à se restructurer dans les années 1990 en se séparant de ses 33 usines les moins productives. C’est aujourd'hui, le premier constructeur de véhicules industriels en Chine (avec une production de plus de 98 000 unités en 2003).

Au moment de sa création, en 1969 à Shiyan dans la province du Hubei, Dongfeng était la deuxième entreprise nationale de fabrication de camion. Le groupe est aujourd'hui réorganisé autour d’une société de holding regroupant l’ensemble des filiales dont une joint-venture un partenariat avec PSA dans le domaine de la voiture individuelle et une autre avec Nissan, Dongfeng Limited qui couvre tous les segments de l’automobile.

En ce qui concerne les véhicules industriels, le groupe était le second producteur de camions après FAW (avec une production de 84 000 unités en 2003) mais dominait la gamme intermédiaire. Aujourd'hui, un retournement semble se dessiner, Dongfeng devenant également leader de la gamme lourde.

CNHTC est l’un des plus grands constructeurs traditionnels de camions de gamme lourde. Il produit des camions sous sa propre marque (Huanghe) et des produits sous licence Tatra et Steyr. Ces derniers connaissent un fort succès en Chine. En 2000, le groupe a connu de fortes difficultés financières et a été réorganisé avec le soutien de la province du Shandong et de sa capitale Jinan, pour ne garder que les meilleurs actifs. CNHTC est également parvenu à un accord avec Volvo Trucks et produit aujourd'hui des camions Volvo FL, FM9 et FM12 en CKD (« completely knocked down » : système dans lequel le véhicule est importé en pièces détachées puis assemblé localement). Depuis fin 2002, ce constructeur a changé le design de ses cabines et produit également un camion baptisé Howo dont le design est inspiré de Volvo, sans que ce camion fasse l’objet d’un partenariat entre les deux marques.

Foton produit le Auman et est situé dans les environs de Pékin. Cette marque était spécialisée dans la production de Jeeps et de camions de gamme légère (le groupe est le plus important dans ce domaine avec une capacité de 350 000 camions par an). Le constructeur s’est lancé dans la production de véhicules de gamme lourde depuis mi 2002. Il se distingue des autres marques par sa cabine, d’origine Isuzu, qui est d’une génération actuelle. Le net succès rencontré par cette marque (2 300 véhicules vendus en 2002, 10 900 en 2003) est sans doute dû à l’attrait esthétique du produit car ses autres caractéristiques restent dans la norme des camions chinois traditionnels.

Notes
291.

Règlementation GB 1589-2004

292.

PTAC: Poids total autorisé en charge; PTRA: Poids total roulant autorisé

293.

Sur les 12 000 kilomètres parcourus pendant le « Renault Trucks China Tour 2005 », nous avons rencontré six postes de contrôle, dont cinq fixes et un mobile. Les camions de la caravane n'ont été arrêtés et contrôlés qu’une seule fois. Une deuxième fois, un policier a demandé aux chauffeurs de s'arrêter mais ceux-ci ont refusé d'obtempérer en criant qu'ils ne transportaient pas de marchandise, ce que le policier n'a pas jugé utile de vérifier.

294.

Ceci est confirmé par les comptages que nous avons réalisés sur l’autoroute. Sur l’ensemble des véhicules chinois de gamme intermédiaire et haute, on note une large majorité de porteur à deux essieux. Néanmoins, sur les véhicules de dernière génération, on observe une baisse importante de ce type de véhicule au profit de nouvelles silhouettes, c’est-à-dire essentiellement les tracteurs et les porteurs à trois ou quatre essieux.

295.

Les données concernant l’industrie automobile chinoise sont extraite d’une étude de la Mission Economique Française en Chine : Ambassade de France en Chine, Mission économique de Pékin, T. Krys, G. Kowalski et P. Letocart, les constructeurs automobiles en Chine, Mai 2004a.

296.

中国第一汽车集团公司

297.

东风汽车公司

298.

上海汽车工业总公司

299.

中国重卡汽车有限公司

300.

北气福田有限公司