2.1. La réparation : construction d’un couple d’objets intermédiaires pour distinguer l’état actuel de l’état normal du véhicule

Le processus de traitement des pannes comprend trois phases : la détection de la panne, la négociation et la réparation. Dans cette partie, nous prendrons comme fil directeur les procédures de réparation dans les points de services Renault Trucks car c’est ce que le constructeur estime être le plus adapté à son véhicule et correspond à sa politique générale de service. Néanmoins, nous montrerons également les différences avec les processus de réparation des autres acteurs de la réparation : les autres concessions, les réparateurs indépendants, les réparateurs des ateliers intégrés ou encore les réparations effectuées par les chauffeurs. Ceci nous permettra de remettre en cause les « fausses nécessités » mises en avant par le constructeur pour légitimer sa politique de service.

Renault Trucks recommande une procédure qui est plus ou moins appliquée chez ses réparateurs. Certains points de service, notamment ceux appartenant au constructeur314, en font une application à la lettre. A son arrivée, le client est reçu par le réceptionnaire qui débute un ordre de réparation (OR). L’intitulé de ce document est la description du ressenti du client lui-même. Le véhicule est alors pris en charge par un spécialiste du diagnostic (SDR), dont le rôle est de déterminer l’origine de la panne, en essayant le véhicule et en interrogeant le client. L’intitulé de l’ordre de réparation est alors corrigé en utilisant un code correspondant aux opérations à effectuer par rapport au problème détecté par le SDR. Grâce à cet intitulé, un devis est composé automatiquement (le logiciel propose un nombre d’heures pour la réparation et le prix des pièces nécessaires que le SDR peut éventuellement corriger). A partir du code, le logiciel propose aussi une méthode de réparation dont les grandes étapes sont résumées sur l’ordre de réparation papier qui sera remis au compagnon. Néanmoins, en raison du coût de la formation de SDR, ces derniers sont peu nombreux dans les points de services et ils ne sont généralement pas les seuls à effectuer les diagnostics. Ainsi, à Grenoble, les chefs d’équipe et les réparateurs les plus qualifiés peuvent également effectuer les diagnostics. Une fois la cause de la panne établie, le véhicule est confié à un réparateur qui doit s’occuper du véhicule en suivant les procédures inscrites sur l’ordre de réparation.

Dans les points de services de la marque française qui ne lui appartiennent pas, la procédure est moins bien appliquée : les diagnostics les plus simples sont effectués à la réception. De plus, généralement, ces points de services n’utilisent pas le système de codification des opérations à effectuer et donc pas les procédures de réparation ni les devis automatiques. Dans ces points de service, le réceptionnaire effectue une grande partie des diagnostics en plus de l’accueil du client. A Grenoble, le réceptionnaire réalise le diagnostic seulement lorsque celui-ci ne pose pas de problème, c'est-à-dire lorsqu’il est directement vérifiable visuellement. A Villefranche-sur-Saône, le réceptionnaire fait également des diagnostics qui nécessitent une capacité d’analyse du problème par rapport à un symptôme non immédiatement interprétable en terme de panne. La plupart du temps, les réceptionnaires ne prennent pas leur décision seuls puisque la réception est l’endroit où les réparateurs viennent chercher leur OR. Ils restent souvent pour discuter et la réception devient un lieu de débat où les réparateurs, le réceptionnaire et le client (et même parfois les autres clients qui attendent la réparation de leur véhicule) discutent du diagnostic et négocient les réparations à effectuer. En cas de problème de diagnostic, s’il existe deux pannes possibles pour un même ressenti ou si le client ne parvient pas à décrire le problème, le réceptionnaire peut essayer le camion ou envoyer un réparateur le faire. Si la cause de la panne est encore mystérieuse, c’est-à-dire si elle ne correspond pas à une des pannes typiques du véhicule, ou si elle dépend d’un aspect sur lequel le réceptionnaire ne se sent pas compétent, ou encore si l’origine du problème ne peut être déterminée qu’en démontant la pièce, seul le ressenti client est inscrit sur l’OR et le diagnostic est délégué à un réparateur. Le SDR n’intervient spécifiquement que si le réparateur n’arrive pas à trouver la cause du problème. Dans ces points de service, la procédure à suivre pour les pannes n’est pas formalisée. Néanmoins, elle est connue de la plupart des réparateurs qui sont souvent spécialisés sur un type de panne. Cette procédure est transmise par observation des pairs.

Il existe également des procédures de réparations dans les points de services des autres marques et ceux faisant partie d’une « chaîne » de réparateurs. Néanmoins, les réparateurs indépendants et les ateliers intégrés n’ont le plus souvent pas de procédure formalisée. La principale différence entre la procédure de Renault Trucks et la manière dont le processus se déroule dans les ateliers indépendants est la mise en place du diagnostic comme une phase à part entière dans le cas du constructeur français. Il existe une seconde différence : chez Renault Trucks la procédure « oublie » la phase de négociation avec les transporteurs qui a généralement lieu chez les réparateurs indépendants. Ainsi, pour décrire l’ensemble des phases de la réparation, nous nous intéresserons successivement à la phase de diagnostic, à la négociation sur les enjeux de la réparation qui se noue entre le réparateur et le propriétaire du camion et enfin, à la phase de réparation elle-même.

Notes
314.

En ce qui concerne le réseau de Renault Trucks, on distingue les concessions dont l’investisseur est un tiers et ceux dont l’investissement est réalisé par un service de Renault Trucks appelé RTCE (Renault Trucks Commercial Europe).