2.2.La maintenance : construction a priori d’un objet intermédiaire modifié dans la pratique

La maintenance pose moins de problèmes. Tout d’abord, les actions à mener sont bien déterminées et généralement respectées par les transporteurs. On observe une diminution des écarts entre les recommandations du constructeur et les pratiques des transporteurs en terme de maintenance. L’intervalle entre deux maintenances étant un argument de vente et un signe de la qualité des véhicules, les constructeurs tendent à l’allonger répondant ainsi aux souhaits des transporteurs qui acceptent d’autant mieux de l’appliquer. De plus, la non réalisation d’une maintenance régulière est une condition qui permet aux constructeurs de refuser la prise en charge d’une réparation dans le cadre de la garantie. Les transporteurs ont donc intérêt à suivre les conseils des constructeurs, au moins pendant la période de garantie. Si la maintenance pose moins de problème, c’est également parce que les actions à mener sont techniquement moins difficiles : il s’agit essentiellement de filtres à changer et d’huile à renouveler.

En ce qui concerne les intervalles de maintenance, dans tous les projets de nouveaux produits de Renault Trucks, un objectif est fixé par le service commercial en fonction des offres des concurrents, dès les pré-requis. L’équipe projet principalement doit mettre en place des actions pour répondre à l’augmentation du nombre de kilomètres entre deux maintenances. Les moyens utilisés traditionnellement pour cet objectif sont d’améliorer la qualité de l’huile (viscosité et résistance à la chaleur), des filtres ou de la combustion dans le cylindre pour moins polluer l’huile moteur.

En ce qui concerne le dCi 11, l’équipe projet a introduit une rupture importante : prendre en compte l’activité des utilisateurs du véhicule pour adapter l’intervalle entre deux maintenances. Il est possible d’apporter à un problème technique des solutions qui ne passent pas par le développement d’un objet matériel. L’équipe projet a différencié des modes d’usage pour pouvoir annoncer une augmentation de l’intervalle de maintenance sur les activités qui sollicitent moins le moteur et dont l’huile peut être changée moins souvent. Pour les véhicules équipés de dCi 11, Renault Trucks propose donc deux démarches : le calcul de la fréquence de la maintenance par le calculateur selon l’activité réelle du véhicule, nommé maintenance « prédictive », ou le calcul a priori des intervalles selon le type d’activité. La deuxième option est encore majoritairement choisie par les transporteurs qui ne font pas confiance au système du calculateur. Renault Trucks distingue deux types de maintenances : les maintenances normales (qui comprennent le renouvellement des graisses, de l’huile moteur et des filtres à huile et à gasoil) et les maintenances majeures (qui comprennent les opérations de la maintenance normale auxquelles s’ajoute le changement de l’huile de la boîte de vitesse, de l’huile de l’axe et du filtre à air). Pour un Premium en activité normale, c’est-à-dire roulant uniquement sur route et majoritairement sur des autoroutes et en utilisant les huiles recommandées par le constructeur, il faut réaliser une maintenance normale tous les 20 000 kilomètres et une maintenance importante tous les 80 000 kilomètres.

Le processus de la maintenance ne correspond pas à celui de la réparation. En effet, la maintenance est vue en Europe comme une activité préventive, les intervalles sont décidés a priori pendant l’innovation. Elle ne fait pas intervenir un couple d’objets intermédiaires. Le processus commence par la mise en place d’un objectif dans les pré-requis en terme d’intervalle, puis par la proposition de solutions techniques (huile, filtre et combustion) ou non (distinction des usages) qui sont testées par la suite et éventuellement modifiées. La représentation de l'objet qui préside aux opérations de maintenance a donc été mise au point avant l’arrivé de l’objet technique dans l’atelier.

Dans les points de services Renault Trucks, la négociation autour de la maintenance est limitée. En effet, les réparateurs des points de services sont les spécialistes d’une marque. Ils prétendent connaître ce qui est réellement nécessaire pour les véhicules. Leur représentation de l'objet et les actions de maintenance qui en découlent sont basées sur l’objet intermédiaire construit par le constructeur pendant l’innovation. La négociation est également limitée par l’existence de « forfaits maintenance » adaptés aux deux types de maintenance recommandés par le constructeur. Ces forfaits permettent de disposer de l’ensemble des opérations recommandées par le constructeur pour chaque type de maintenance à un prix réduit. Les transporteurs qui font effectuer leur maintenance à la concession ont donc intérêt à choisir l’ensemble des éléments et non de sélectionner ceux qu’ils souhaitent. Cet aspect s’ajoute à l’opposition de certains transporteurs vis-à-vis de la maintenance dans les points de services car certains éléments contenus dans le forfait ne sont pas essentiels, par exemple l’ajout de liquide lave-glace. Encore une fois dans les concessions de Renault Trucks, ce qui prévaut est l’objet intermédiaire défini par le constructeur a priori et il n’est pas fait de place pour que le transporteur puisse négocier en fonction de ses propres représentations de l’objet technique.

Cette stratégie du constructeur est mal vécue par les transporteurs, notamment en compte pour autrui, qui par leur expérience pensent pouvoir juger ce qui est nécessaire pour la maintenance. Ces transporteurs évitent alors de réaliser la maintenance dans les points de services des marques avec qui les négociations sont difficiles en raison de cette volonté d’imposer une représentation de l'objet. Au cours de leur utilisation des véhicules, les transporteurs construisent des représentations de l'objet différentes, notamment en ce qui concerne les opérations ou les intervalles de maintenance. La maintenance étant pensée comme une activité préventive, elle doit être effectuée avant que ne surgissent des problèmes techniques et donc sans qu’il n’existe de ressenti pendant l’utilisation. Les transporteurs expérimentent dans leur pratique des intervalles différents de ceux conseillés par les constructeurs ou n’effectuent pas l’ensemble des opérations recommandées et se fient au fait que les véhicules n’ont pas eu d’ennui technique par la suite. Cette pratique permet de construire des représentations de l'objet qui se différencient progressivement de celles du constructeur.

Les points de services de Renault Trucks subissent une concurrence importante des autres réparateurs en ce qui concerne la maintenance. Les chauffeurs étaient de moins en moins nombreux à effectuer ces opérations eux-mêmes. En ce qui concerne les ateliers intégrés, lorsqu’ils ont été maintenus, ils tendent à se transformer en atelier de maintenance effectuant majoritairement ce type d’activité. Comme pour la réparation, la construction de l’objet intermédiaire est orientée par le fait que le camion appartienne à l’employeur du réparateur. La définition des opérations à mener et de leur fréquence est donc avant tout déterminée par la représentation de l'objet du possesseur du camion, même si les réparateurs peuvent intervenir en raison de leur expertise technique. Quant aux chauffeurs, s’ils interviennent, c’est uniquement en mettant en avant les risques de certaines pratiques pour la sécurité. Parallèlement, la maintenance est le type d’activité dans lequel les réparateurs indépendants ont le plus intérêt à se spécialiser en raison de l’importance des volumes et de la faible technicité des opérations. Dans ces ateliers, le transporteur impose sa représentation de l’objet en ce qui concerne les opérations de maintenance à mener.