3. Conclusion : imposition d’une « traduction unilatérale » par le constructeur et les résistances des transporteurs

La stratégie de Renault Trucks est de se placer comme le seul étant capable de traduire l’état du véhicule en terme d’opération de maintenance et de réparation. Le but est de mettre en place un mode de construction de l’objet intermédiaire qui se rapproche de la traduction unilatérale qui était caractéristique de la relation de vente aux transporteurs en compte propre. Ce processus permet en effet aux réparateurs d’imposer leur représentation de l’objet construite à partir de l’objet intermédiaire défini par Renault Trucks pendant l’innovation. Il s’agit de renverser le rapport de force qui, jusqu’à présent, était favorable aux transporteurs en raison de l’importance de l’offre de service. Néanmoins, à la différence de la vente aux transporteur en compte propre, les transporteurs disposent généralement de représentations de l'objet qui se différencient de celles du constructeur. Ils sont capables de réaliser la traduction que ce Renault Trucks revendique comme étant de sa seule compétence. Dès lors, la stratégie de Renault Trucks rencontre de fortes résistances.

En ce qui concerne la vente, un premier diagnostic est effectué chez l’utilisateur du véhicule lorsque le chauffeur construit des prises permettant de différencier le fonctionnement actuel de l’objet technique de son fonctionnement habituel. Ce premier diagnostic est généralement limité à une évaluation de la gravité du problème qui permet de déduire l’urgence de la réparation. Un deuxième diagnostic est établi par le réparateur qui créé ses propres représentations de l’état actuel de l’objet et de son état normal Ce diagnostic est construit au moyen de deux sauts logiques : les réparateurs passent directement du ressenti aux opérations à mener. Ils « oublient » de s’intéresser à la cause du ressenti qui permet de déduire logiquement la panne à partir du symptôme. De même, ils ne s’intéressent pas à la nature et la gravité de la panne en raison de la politique d’échange standard. Quelque soit leur état, les pièces incriminées sont remplacées. A l’exception des pannes courantes, en raison de l’augmentation de la complexité des véhicules (notamment introduction de structure issu d’un nouveau système technique : l’électronique) et de l’ajout de nouveaux outils de réparation (la balise de Renault Trucks), les transporteurs ne disputent pas le monopole revendiqué par les réparateurs du constructeur sur la constitution de l’objet intermédiaire définissant de l’état actuel de l’objet. Néanmoins, la construction de l’objet intermédiaire concernant l’état normal, tel qu’il devrait être est souvent l’objet de controverse. Le constructeur impose sa représentation en mettant en place des liens systématiques entre un état de l’objet et des opérations de réparation. Néanmoins, les deux acteurs du réseau sociotechnique ont une définition différente. Les réparateurs de Renault Trucks le définissent par rapport à l’objet intermédiaire défini pendant l’étape d’innovation alors que pour les transporteurs il s’agit seulement d’un véhicule pouvant fonctionner sans problème.

En ce qui concerne la maintenance, le processus ne passe pas par la mise en place d’un couple d’objets intermédiaires, cette activité étant vécue comme préventive. L’objet intermédiaire qui préside aux opérations de maintenance à effectuer est construit avant le passage du véhicule dans l’atelier, pendant la phase d’innovation par l’équipe projet comme un objectif à atteindre. Dans le cas du moteur dCi 11, l’objectif a principalement été atteint grâce à une différenciation des modes d’utilisation c’est-à-dire sans le recours à des modifications de l’objet technique. Les réparateurs des concessions essaient d’imposer à leurs clients leur représentation de l’objet et des opérations de maintenance qui est issue de celle du constructeur. Néanmoins, ce processus est mal accepté par les transporteurs qui construisent une représentation de l'objet différente, en modifiant petit à petit les recommandations du constructeur. Ces nouvelles représentations sont validées par le transporteur lorsque le véhicule ne rencontre pas de problème lors de son fonctionnement.