1.2. Les chauffeurs

Tous les chauffeurs que nous avons rencontrés s’accordent pour dire que si leur métier a été valorisé vingt ans auparavant, il est aujourd'hui moins reconnu du fait de la multiplication des camions ; il est également devenu moins attirant à cause de la baisse des revenus et de l’augmentation du rythme de travail.

En effet, les chauffeurs jouissaient d’une reconnaissance à une période durant laquelle peu de véhicules motorisés circulaient. Le métier de chauffeur permettait de voyager dans différentes régions de Chine alors que les déplacements étaient limités. De plus, le métier de chauffeur était reconnu comme utile pour le pays, en assurant les échanges économiques et parce que le camion était l’un des premiers produits industriels de cette envergure réalisé en Chine.

Aujourd'hui, les villes majeures connaissent des problèmes de trafic importants qui nuisent à l’image des camions. La concurrence interne au métier a également contribué à diminuer le prix du transport entraînant une baisse des revenus liés à cette activité. Les conditions de travail tendent également à se dégrader, les chauffeurs n’étant plus seulement les employés des grandes entreprises d’Etat. En ce qui concerne la durée journalière du travail, il n’existe pas de réglementation spécifique au transport routier de marchandises. Les chauffeurs sont donc sensés respecter les mêmes horaires que l’ensemble des autres employés pour lesquels la limite hebdomadaire est fixée à 44 heures330. Ils doivent également bénéficier d’un jour de repos par semaine. En réalité, cette limite n'est respectée que dans les entreprises d’Etat. Les autres chauffeurs ne s’arrêtent de travailler que lorsque leur camion est en panne ou lorsqu’ils attendent de la marchandise. Comme ils sont généralement deux chauffeurs par camion, le temps de conduite d'un chauffeur chinois n'est pas supérieur à celui d'un chauffeur européen. Néanmoins, les temps d'attente à disposition sont plus importants : lorsque l'autre chauffeur conduit, lors de l'attente de missions à l'entreprise, en plus des traditionnelles attentes pour charger ou décharger.

Cette diminution de la valorisation du métier en parallèle avec la dégradation des conditions de travail correspond également à un changement au niveau des représentations quant à la compétence des chauffeurs. Les chauffeurs étaient valorisés pour leur savoir-faire. La diffusion de l’automobile tend à normaliser l’activité de conduite en laissant penser qu’elle ne nécessite pas de compétence particulière331. Les chauffeurs eux-mêmes disent que la qualification nécessaire pour conduire a diminué en raison de l’amélioration des conditions de circulation et de la qualité des véhicules. Un facteur décisif est la construction d’un réseau d’autoroute et de routes de bonnes qualités en ville. Cette différence est visible dans les modes d’entrée à la profession. Comme nous l’avons présenté dans le chapitre dédié à la maintenance et à la réparation, traditionnellement les chauffeurs devaient passer un test de conduite pour obtenir le permis puis débuter par une période d’apprentissage, allant de une à trois années, pendant laquelle ils étaient sous l’autorité d’un maître. Cette pratique est aujourd'hui remise en cause sauf dans les grandes entreprises d’Etat. Les chauffeurs n’ont donc plus de formation aux « conditions réelles de conduite »332.

Le mode de sélection des entreprises a également changé. Dans les entreprises d’Etat ainsi que dans certaines entreprises privées, les chauffeurs sont encore sélectionnés par un test qui vise à déterminer leurs compétences. Néanmoins, dans la majorité des entreprises, le fait de conduire est considéré comme une activité sans compétence et les tests visent seulement à rejeter les chauffeurs ne sachant pas conduire.

Le mode de roulage en Chine est traditionnellement de deux chauffeurs par véhicules. Ces derniers réalisent ensemble les missions de longue distance. Pour les missions courtes, un chauffeur part seul. Certains chauffeurs « fixes »333 conduisent toujours le même camion car le transporteur considère qu’il est nécessaire que quelqu’un connaisse les spécificités du camion et en soit l’utilisateur principal pour qu’il en prenne soin. Les autres chauffeurs de « réserve »334 changent de camion selon les missions. Dans une entreprise, les chauffeurs commencent dans le group de « réserve » et, selon le mérite, peuvent devenir « fixe ». A l’inverse, les chauffeurs fixes qui ont un accident retournent dans le groupe de réserve pour « réfléchir aux causes de l’accident »335. Malgré la charge de travail supplémentaire, être un chauffeur fixe est considéré comme un avantage car cela permet de percevoir plus de primes (pour les nuitées, les repas, le gasoil et les autres frais de route, les transporteurs donnent de l’argent à leur chauffeur et ceux-ci sont souvent autorisés à garder l’excèdent). De plus, pour les missions longues, les chauffeurs fixes sont accompagnés d’un chauffeur de réserve mais c’est le premier qui décide comment est dépensé l’argent et le cas échéant garde le supplément.

Aujourd'hui, de nouveaux modes d’organisation des chauffeurs tendent à se développer. Certaines entreprises prévoient ainsi que plusieurs chauffeurs ou plusieurs équipes de chauffeurs se relaient sur un même camion pour augmenter le temps d’utilisation des véhicules. Néanmoins, les chauffeurs conduisent toujours les mêmes véhicules.

Notes
330.

Labor Law of the People's Republic of China, Section 36, 1995.

331.

ZHANG W, HUANG Y.H., ROETTING M., WANG Y., WEI H., « Driver’s views and behaviors about safety in China, what do they not know about driving ? », Accident Analysis & Prevention, vol. 38, 2006, pp 22–27.

332.

Cf. entretien 164, annexe 1.

333.

Cf. entretien 55, annexe 1.

334.

Cf. entretien 55, annexe 1.

335.

Cf. entretien 56, annexe 1.