2.1. L’utilisation de la flotte

2.1.1. Une typologie des entreprises de transport

Les entreprises de transport routier de marchandises en France sont marquées par un fort dualisme entre les grands groupes de logistique internationaux, dont l’activité routière n’est qu’un des services et les petites entreprises de transport centrées sur la fonction de transport.

Cette opposition entre grandes et petites entreprises de transport n’est pas nouvelle. Les réformes de dérégulation du marché du transport mises en place par le gouvernement français à la fin des années 1980 et début des années 1990 visaient déjà à mettre fin à une forme de dualisme entre les grandes et les petites entreprises de transport. Auparavant, si les politiques de protectionnisme des différents pays de l’Union Européenne réduisaient les concentrations d’entreprises, elles diminuaient également la concurrence interne provoquant des situations de quasi-monopole. Les grandes entreprises profitaient de la protection de leur marché et se limitaient aux transports internes alors que les petites et moyennes entreprises devaient se tourner vers le transport international.

Dans les métiers du transport routier de marchandises, juridiquement, on distingue la messagerie et le transport de lots complets. La différence repose sur le poids des marchandises transportées.

La messagerie s’occupe du transport de moins de 3,5 tonnes. Dès les années 1980, les entreprises dans cette activité sont organisées pour mettre en place un groupage/dégroupage des marchandises selon leur destination. Le transport est alors composé de cinq phases : le ramassage, le regroupement des marchandises dans un entrepôt où elles sont triées selon leur destination, le transport jusqu’à une autre région puis l’éclatement du lot dans un deuxième entrepôt et enfin la distribution. Dès cette époque, cette activité est caractérisée par la domination de grands groupes (comme Calberson, Bourgey Montreuil, Danzas et Mory).

Le transport de lot concerne les marchandises de plus de 3,5 tonnes. Dans sa forme la plus simple, il s’agit de transporter une « charge complète » sans rupture de charge ni passage à quai. Dans les années 1980, ce métier était l’apanage des petites entreprises et des artisans, le système réglementaire jouant le rôle de frein à la concentration386. C’est l’organisation de ces petites entreprises de transport de lots qui sert de référence à la construction du « mythe » de l’organisation traditionnelle du secteur. Certaines grandes entreprises de messagerie étaient également présentes dans le domaine du lot sous la forme de commissionnaires affrétant des petites entreprises.

La fin de la régulation de l’entrée à la profession par l’attribution de licences et de la tarification routière obligatoire a favorisé les concentrations, les transporteurs cherchant alors à créer un réseau national en achetant d’autres entreprises dans les régions où ils n’étaient pas implantés. Avec l’ouverture européenne, le mouvement s’est accéléré à l’échelle du continent, renforçant le dualisme entre les entreprises ayant réussi à mettre en place un réseau européen et les autres qui sont généralement contraintes à la sous-traitance. En effet, les petites et moyennes entreprises de transport ont de plus en plus de mal à maintenir des relations stables avec leurs clients et doivent recourir à des affréteurs qui sont souvent les grands groupes de transport.

Dans le secteur de la messagerie, à partir des années 1990, les grands groupes établissent des réseaux internationaux. En ce qui concerne le transport de lot, cette période est marquée par un fort mouvement de concentration qui entraîne l’apparition de grands groupes (Norbert Dentressangle, Giraud, Charles André, Heppner, Joyau, Prost et Graveleau). Ce mouvement est ressenti dans le domaine du transport routier de marchandises comme une prise de pouvoir des « financiers » et marque l’émergence d’un nouveau type d’opérateurs. Ces derniers s’inspirent des messagers pour mettre en place une gestion industrielle des flottes notamment grâce au développement d’outils informatiques. Ils favorisent alors le groupage/dégroupage du lot partiel qui est mieux rémunéré que le transport de lot complet. Le contrat de progrès va renforcer ce mouvement en mettant au centre la gestion des temps de travail. Il ne s’agit plus désormais seulement d’augmenter le taux d’activité des véhicules et leur taux de remplissage mais également de maximiser le temps de travail des chauffeurs. Cette volonté de rationalisation du transport de lot, qui s’inspire du modèle de la messagerie, est vécue comme la remise en cause de l’organisation traditionnelle du secteur et c’est face à ce second modèle qu’est construit le « mythe » du secteur. Dans ces grands groupes, le transport est devenu une sous activité de la logistique. Les investissements des groupes sont de plus en plus orientées vers la création de lieux de stockage et la mise en place d’un système d’information et de moins en moins directement liés à l’achat de véhicule. De plus, ces évolutions tendent à faire disparaître les barrières traditionnelles des métiers du transport qui étaient basées sur les différents modes (air, eau, fer et route) ou le type de marchandise transportées. De plus en plus, ces entreprises combinent les modes pour être capables de proposer une solution logistique complète à leur client. Par ailleurs, les entreprises de transport essayent de diversifier leur offre en réalisant des transports qui étaient auparavant considérés comme spéciaux (parce qu’ils demandent des autorisations ou du matériel spécifique) et étaient l’apanage d’entreprises spécialisées.

Beaucoup d’analystes pointent le rôle joué par les bourses de fret, sur lesquels les chargeurs peuvent émettre leurs besoins de transport, dans l’approfondissement du dualisme de l’offre de transport. En effet, comme le souligne P. Salini387, les grands groupes de logistique ont développé une compétence de gestion des données en temps réel sur les bourses, leur permettant d’acheter le transport en gros et de le revendre au détail, c’est-à-dire de sous-traiter au moins partiellement son exécution.

En ce qui concerne le Premium, son usage dans le cadre de transport pour compte propre est réduit, aussi nous présenterons essentiellement les transporteurs pour compte d’autrui. Dans ce domaine, le service commercial de Renault Trucks distingue le transport « organisé » et le transport « à la demande ». Dans le premier cas, lorsqu’un chargeur émet une demande de transport, cette demande est traitée par le transporteur qui l’intègre dans des lignes régulières. Dans le cas du transport à la demande, les lignes ne sont pas fixes et sont créées lorsqu’un chargeur émet une demande de transport. Le Premium est un véhicule qui est généralement utilisé par des entreprises effectuant du transport organisé pour lesquels la question de la puissance du véhicule est moins importante que celle de son coût d’exploitation ou que son poids (qui a une influence directe sur la capacité de chargement). Il s’agit avant tout des grandes entreprises de messagerie et de transport de lots qui disposent de réseau au niveau européen et des petites entreprises de transport qui sont affrétées par les premières. Les petites et moyennes entreprises favorisent le transport à la demande. Ces entreprises essaient alors de conserver des relations stables avec une clientèle pour pouvoir réaliser la majorité du transport en leur nom. Elles utilisent les banques de fret pour compléter leur mission. Le recours à un affréteur est vécu comme du « sale boulot » mais il permet de trouver des marchandises à transporter dans un contexte où les marchandises sur les bourses font l’objet de fortes sollicitations.

Les entreprises qui utilisent des Kerax fonctionnent encore généralement comme du transport à la demande même si les grands groupes de logistique s’intéressent de plus en plus à ce type de marché pour diversifier leur offre de service. De plus, le secteur est marqué par la forte proportion de transport en compte propre qui pour le transport en benne « travaux publics »388 est équivalent en tonnes kilomètres au transport pour compte d’autrui.

Dans les parties suivantes, nous examinerons l’utilisation que ces différents types d’entreprises font de leur flotte en suivant trois étapes : l’adaptation à une activité, la mise en relation du véhicule et d’une tâche et enfin, le retour d’expérience par rapport à l’utilisation.

Notes
386.

SESP, « 1980-200, vingt ans d’évolution du transport de lot », édité par le Ministère des transport, de l'équipement, du tourisme et de la mer, Septembre 2000.

387.

SALINI P., op. cit., 1995.

388.

CNR (Comité national routier), « les transporteurs par benne tp », 2007, http://www.cnr.fr/etudes/france/e-docs/00/00/01/9E/document_cahier_obs.phtml .