D. Co-construction et co-influence

La carrière de l’objet technique prend la forme d’une série de boucles qui relient les trois formes de l’objet technique (Cf. Figure 28. Configuration de la carrière de l'objet technique). Les représentations de l’objet sont créées à partir de prises sur les objets matériels puis traduites dans des objets intermédiaires. Ces derniers sont matérialisés et l’objet physique qui découle de ce processus est la source de nouvelles représentations. Néanmoins, ce schéma général de boucle est complexifié par l’intervention des formes dans l’ensemble des relations. Certains objets intermédiaires influencent les prises qui permettent aux acteurs de constituer des représentations sur l’objet matériel. L’objet technique influence la traduction des représentations sous la forme d’objets intermédiaires lorsque les acteurs anticipent les contraintes du système technique. Enfin, l’objet intermédiaire est médiatisé par les représentations de l'objet des opérateurs lors de la matérialisation de l’objet physique.

Cette configuration des interactions entre les formes de l’objet technique permet de répondre à notre question. Il s’agissait de déterminer dans quelle mesure les liens entre technique et social relevaient d’une co-influence ou d’une co-construction dans le cas de la carrière d’un objet technique. L’étude des différentes étapes de la carrière du moteur dCi 11 en France et en Chine a permis de montrer que ces deux approches devaient être combinées pour rendre compte des relations complexes entre technique et social. En effet, si la construction des représentations et des objets intermédiaires mêle logiques sociales et techniques sans distinction, l’objet matériel impose un cadre de contraintes au travers duquel les domaines physique et social interagissent.

Chacune des relations entre les formes de l’objet doit être étudiée en combinant co-construction et co-influence.

En ce qui concerne le lien entre objet matériel et représentation de l'objet, les deux faces des prises permettent de combiner les approches. Les prises assurent le passage de l’objet à l’individu. Une face repose sur l’objet matériel et ses contraintes, l’autre intègre les logiques sociales propres de l’acteur. Les représentations sont traduites dans un objet intermédiaire, c’est-à-dire une définition collective de l’objet qui doit être autant que possible directement matérialisable. La traduction repose sur des contraintes propres à l’objet matériel qui sont anticipées ou découvertes par les acteurs au travers de processus « d’essais et d’erreurs ». Ces contraintes sont mêlées à des logiques sociales permettant la transformation collective du langage des représentations. Enfin, lors de la matérialisation, les objets intermédiaires sont traduits dans une logique de fabrication et adaptés dans les représentations des acteurs opérant l’action technique. Néanmoins, ces transformations sont limitées par les contraintes propres à l’objet matériel qui proviennent de son appartenance au domaine physique ou aux systèmes techniques.