Conclusion

Au moment d’écrire la conclusion de ce travail, nous avons été amené à porter un regard sur le chemin parcouru depuis son commencement. Le sentiment qui domine alors est la surprise devant la diversité des expériences qui ont rendu ce travail possible. Et l’on se demande a posteriori comment il a été possible de les comparer au sein d’un texte cohérent.

Il s’agit tout d’abord d’une diversité des opérations de recherche. L’expérience acquise lors d’un voyage sur les routes chinoises pendant trois mois, immergé au sein d’un équipage entièrement chinois, les hôtels et restaurants au bord de la route, les situations de crises lors d’accidents ou de disputes au sein du groupe ou avec d’autres chauffeurs, les visites de monuments historiques et culturels avec certains chauffeurs avec lesquels nous avions tissé des liens… Ces moments irremplaçables qui permettent une compréhension fine de la vie de chauffeur en Chine, tels que cette immobilisation du convoi dans la région du Yunnan en raison de travaux d’élargissement de la route. L’incertitude qui marque le quotidien des routiers, l’entraide et les solutions mises en place pour répondre à ce contexte. Le chauffeur, dont le chargement de fruits et légumes va se périmer qui décharge son véhicule à même le sol pour improviser une boutique et vendre ses produits aux villageois et aux autres chauffeurs également immobilisés. Les missions en Chine dans des provinces aussi développées que Shanghai ou aussi rurales que le Shanxi. Les entreprises de transport, usines de montage, fonderies, bureaux administratifs de Shiyan, la « ville de Dongfeng ». Les entreprises de transport et le parking du marché de la logistique que nous visitions dans chaque province pour essayer d’appréhender la diversité de la Chine. Les missions menées en France dans les usines, le centre de « recherche et développement », les concessions de Renault Trucks et les transporteurs que nous devions mettre en parallèle avec la Chine alors que tout semblait les opposer.

Il s’agit aussi de la diversité des personnes rencontrées. Le chauffeur indépendant sur le parking « marché de la logistique » du nord de Shanghai qui attend des marchandises depuis cinq jours pour pouvoir rentrer dans sa province d’origine. Le jeune réparateur qui fait son stage d’apprentissage dans une concession au bord d’une autoroute en France. L’opérateur de la chaîne de montage que ses chefs citent toujours en exemple et souhaitent que nous rencontrions. Le patron d’une entreprise de transport dans une zone industrielle en France qui négocie l’achat d’un nouveau camion. L’expatrié qui travaille chez le partenaire chinois et doit s’assurer de la qualité des moteurs produits. Un ensemble de personnes que nous ne pouvons pas citer ici et pourtant envers qui nous sommes redevable, leur aide ayant permis la rédaction de ce travail. 

Enfin, il existe une diversité inhérente au travail du chercheur, entre le terrain et le laboratoire. Le milieu de la recherche et de l’université que nous avons découvert au travers de notre implication dans notre laboratoire. La construction d’une approche théorique grâce aux lectures, aux séminaires et aux discussions avec les collègues.

Ces diversités ont été traitées dans cette thèse à différents moments. Il a notamment beaucoup été question de la possibilité de mettre en parallèle des expériences de terrain diverses dans le chapitre dédié à la méthodologie. L’aspect qui a été le plus difficile à traiter a été la construction d’un lien entre, d’un côté, les théories développées à partir de lectures et de discussions avec des collègues et, de l’autre, le travail de terrain.

La distance entre ces deux aspects était d’autant plus grande qu’elle était marquée par l’opposition entre différents milieux : le domaine de la recherche et celui de l’entreprise. Les expériences que nous vivions dans le monde de l’entreprise trouvaient peu d’écho dans le domaine universitaire. De la même manière, il était généralement difficile d’expliquer notre problématique de recherche sur notre terrain. Il est facile d’imaginer que l’opposition entre les approches de la co-construction et de la co-influence puisse paraître au mieux un point de détail et au pire complètement sans intérêt à un cadre commercial ou un chauffeur de poids lourd.

Le rapprochement entre ces deux niveaux de la recherche sociologique et ces deux milieux s’est avéré l’une des tâches les plus ardues de notre travail. Il s’agissait tout d’abord d’expliquer les intérêts concrets que cette démarche pouvait avoir pour les entreprises partenaires, pour pouvoir négocier l’accès au terrain. Il s’agissait également de trouver un équilibre entre une démarche déductive et une démarche inductive. Notre recherche a débuté par un état de l’art et se situait alors dans une démarche déductive. La suite de notre enquête a été constamment marquée par notre volonté d’instaurer des allers-retours entre théorie et terrain et par notre décision de multiplier les démarches inductives. La plupart de ces tentatives était informelle, chaque information récoltée contribuant à répondre à notre question mais également à la modifier en la complexifiant. Certaines étapes de la recherche ont également permis de formaliser ces allers-retours. Il s’agit notamment de la rédaction de documents intermédiaires après la phase d’enquête exploratoire. Il s’agit également des exercices de relecture. A chaque lecture et correction, nous avons ainsi pu rapprocher terrain et théorie.

Dans cette conclusion, nous souhaitons revenir sur un élément que nous avons traité de manière transversale mais jamais de manière spécifique dans notre thèse : la question des différences culturelles en ce qui concerne le rapport à l’objet technique. Pour interroger cet aspect, nous repartirons des différentes relations entre les formes de l’objet technique. Il s’agira alors de déterminer s’il existe des spécificités culturelles pour la construction des prises sur lesquelles reposent les représentations de l’objet, la traduction des objets intermédiaires et enfin la matérialisation des objets physiques.