Conclusion sur les différences culturelles dans la carrière de l’objet technique : anticipation des risques et démarche d’essais et d’erreurs

Les différences entre la France et la Chine dans le cas des interactions avec l’objet technique tiennent avant tout aux logiques sociales qui sont mêlées lorsque se produisent des co-constructions entre technique et social. Il s’agit par exemple des méfiances exprimées à l’égard des opérateurs dans les usines en France.

Il existe également des différences dans la manière dont les acteurs interagissent avec les objets techniques. En ce qui concerne la construction des représentations, les français orientent d’avantage leurs prises en fonction de logiques sociales et d’objets intermédiaires préexistants alors que les chinois se basent d’avantage sur les objets matériels. Dans les deux pays, la traduction des objets intermédiaires repose majoritairement sur un processus de « négociation ». Le constructeur français essaie d’avantage que son homologue chinois de mettre en place une « traduction unilatérale » pour contrôler les termes de la traduction. En Chine, la spécificité est la place accordée au processus de « discussion » en raison du rôle des cercles de connaissances dans les systèmes de normes et de sanctions. Enfin, la matérialisation se produit d’avantage au travers d’une anticipation des contraintes du domaine physique en France, alors qu’elle prend la forme d’une réaction à des essais en Chine.

De manière générale, si l’on considère l’ensemble de la carrière de l’objet technique qui est marquée par la successions de boucles reliant les trois formes de l’objet technique, les français sont d’avantage dans une logique de gestion des risques au sens de U. Beck427 alors que les chinois utilisent principalement des processus d’essais et d’erreurs. En France, les représentations de l’objet sont construites à partir d’une théorisation du contexte technique et social. Il s’agit alors autant que possible d’anticiper les risques liés aux contraintes du domaine physique. Lors de la matérialisation, l’objectif est alors de faire appliquer cet objet intermédiaire qui permet de répondre aux risques. En Chine, les représentations sont créées à partir des objets matériels et confrontées au domaine physique par un processus d’essais et d’erreurs. Ainsi, alors que les français réduisent autant que possible le nombre de boucles, les chinois les multiplient.

Il existe des différences culturelles dans les manières dont les acteurs interagissent avec les objets techniques tout au long de leur carrière. Il n’est néanmoins pas question ici de reconnaître un pouvoir contraignant à une culture. Nous avons souligné des tendances différentes entre les français et les chinois dans les interactions avec l’objet technique. Cependant, nous avons aussi montré que ces tendances ne correspondaient pas à l’ensemble des pratiques. Nous proposons de reprendre le concept d’héritages dynamiques de S. Berger428 pour décrire l’influence de la culture sur les interactions entre technique et social. Cette notion a été construite pour expliquer comment une entreprise s’adapte à son contexte. Elle acquiert des compétences qu’elle conserve sous la forme « d’héritages » mais peut éventuellement les adapter ou en rechercher de nouvelles pour mener à bien les objectifs qu’elle s’est fixée, ce qui explique l’emploi du terme « dynamique ». La culture est l’un des éléments de cet héritage dynamique. Les acteurs peuvent interagir en fonction de cet héritage culturel mais peuvent également le faire évoluer lorsqu’ils jugent qu’il n’est pas adapté.

Notes
427.

BECK U., op. cit., 2001.

428.

BERGER S., Made in monde, Les nouvelles frontières de l'économie mondiale, Ed du Seuil, Paris, 2006.