Chapitre 3 : Lèpre sociale : entre maladie (mal-a-dit) et malaise (mal-aise)

3.1. Maladie, « mal-a-dit » ou quand le mal parle

3.1.1. Anthropologie médicale de la lèpre

Afin de mieux comprendre les situations de lèpre sociale, il est nécessaire de connaître les attitudes, les connaissances et les préjugés des malades, de leur entourage et des professionnels de santé. Car cela interagit sur les situations de lèpre sociale, tant par les facteurs personnels qu’environnementaux. Plusieurs concepts de l’anthropologie médicale sur les dimensions socioculturelles de la lèpre nous servent d’outils de compréhension (Aubel etTouré, 1993). Les systèmes de santé éclairent l’analyse grâce à la distinction entre :

  • le secteur populaire composé des individus vivant dans l’environnement du malade, de la famille ou de la communauté,
  • le secteur traditionnel avec les guérisseurs traditionnels et les marabouts coraniques,
  • le secteur biomédical avec les professionnels de la santé occidentale (médecin, infirmier, sage-femme).

Ainsi que sur l’utilisation des réseaux thérapeutiques qui sont composés des personnes ressources dans les trois secteurs. L’approche systémique permet de comprendre l’interaction entre les acteurs et les facteurs qui peuvent expliquer le comportement des individus.

Nous centrons cette analyse sur les attitudes de l’ethnie wolof envers les malades de la lèpre. Car elles sont parmi les plus intransigeantes comparativement aux attitudes des autres groupes ethniques du Sénégal. Selon les coutumes ancestrales, le lépreux était isolé en dehors du village. Il n’était ravitaillé que par quelques membres charitables de sa famille. L’appellation de la maladie dépend de l’apparition des symptômes. On distingue deux phases. Dans la première phase, les manifestations primaires révèlent Korobêt (la petite lèpre). Ces manifestations consistent en perte de la sensibilité au niveau des tâches rosâtres ou rougeâtres sur le corps, en boutons durs, en odeurs, en absence de démangeaison.

Les doigts se courbent, le nez nasille. La personne manque de force physique au niveau des membres et de ses mains. Elle perd sa sensibilité et sa motricité. Son visage se dépigmente. Les mutilations sont caractéristiques de la deuxième phase. La lèpre est alors appelée gana (synonyme de maladie), fébar bouy wagni (la maladie qui raccourcit), fébar bou magbi (la grande maladie).

Dans la culture traditionnelle, l’hérédité et la volonté divine en sont les causes. Si quelques malades connaissent le mode bio-médical de la transmission (par voie oro-nasale et par contact cutané prolongé), celle-ci n’est pas perçue de façon antagoniste avec la première interprétation traditionnelle. Dans les croyances socioculturelles populaires, la transmission de la maladie n’est possible que lors de la deuxième phase. Elle se fait par les mouches ou par le fait de toucher le corps ou l’habit du lépreux. Elle peut se faire dans l’acte de s’asseoir ou de se coucher sur son lit, à fortiori dans les rapports sexuels. Partager le repas avec lui ou manger dans son plat est considéré comme dangereux. De même que la chaleur et la sueur qui s’échappent de son corps, ainsi que les sécrétions des plaies. Certains aliments sont considérés comme capables de transmettre la maladie (le pain de singe (qui est le fruit du baobab), les feuilles de thiaxat, la viande de chèvre, etc.).

Des techniques de prévention sont utilisées par les guérisseurs traditionnels pour se protéger ou guérir, notamment celle du dank. Pour le lépreux et sa famille, c’est une technique à base de safara (eau bénite) et de poudre macérée que l’on boit et qui anéantit la maladie à l’intérieur du corps. Le safara va nettoyer et cicatriser  « la plaie du cœur », car la lèpre est perçue comme une maladie qui couvre le cœur comme « une toile d’araignée » et qui ressort ensuite à l’extérieur en coupant les orteils, les doigts et le nez. Les plaies sont grattées et enduites d’une pommade noire à base de gras de beurre de vache (dax) et de poudre de racines.