3.1.3. Lèpre et guérison

La mentalité des lépreux vivant à la rue est dominée par la recherche du bonheur et de la chance au milieu d’une perpétuelle incertitude, comme on l’a vu dans les chapitres précédents. On comprend la charge affective et religieuse qu’ils projettent sur ces mystères de la maladie et de la mort. Il existe une grande diversité de rites et de croyances relatifs à la maladie chez eux. Nous notons qu’ils appartiennent à des sous-cultures et à des ethnies différentes : on peut citer le Wolof, le Sérère, le Toucouleur et le Diola qui constituent les quatre principales ethnies parmi les dizaines que compte le Sénégal. Elles sont majoritaires au niveau démographique et linguistique. Elles ont des rites divers selon les croyances et les coutumes spécifiques.

Ainsi, on observe également des différences dans les pratiques de médecines populaires et traditionnelles. Mais, il faut s’empresser de dire qu’une personne malade peut consulter des guérisseurs d’ethnies différentes. Parce que, ce qui l’intéresse c’est de guérir. A ce niveau, elle ne fait pas de cloisonnement, de différenciation ethnique quant il s’agit de maladie et de guérison. Un malade habitant la partie nord du pays peut consulter des guérisseurs, des tradipraticiens dans le centre du pays ou complètement dans le sud du pays. Les grands marabouts, les grands tradipraticiens et les grands guérisseurs sont presque connus à travers tout le pays et ils sont en cela visités par des malades venant de partout.

L’origine de la maladie baigne toujours dans le fleuve du mystère. On trouve souvent une explication par une origine qu’on qualifie de surnaturelle ou en tout cas qui est le fait d’une tierce personne ou simplement d’un mauvais esprit. Toute la maladie s’insère dès lors dans un contexte religieux total, en raison de l’absence complète de séparation entre ce qui est corporel d’avec ce qui est spirituel. A la sensibilité particulière au contexte s’ajoute un univers religieux, encore très proche de la nature, qui surplombe l’Homme. On pense que les êtres surnaturels (les « djinns », les Esprits bons et mauvais) ont non seulement des formes corporelles mais encore qu’ils vivent réellement en symbiose avec le monde des humains. Ils sont cachés comme tels aux yeux des humains, sauf pour quelques personnes privilégiées, les initiés que sont les marabouts, les tradipraticiens et les sorciers. Les esprits se manifestent de façon sensible, de manière variée, en particulier dans les phénomènes naturels. En somme, nous nous trouvons face à une forme classique de l’animisme qui est la religion traditionnelle africaine.

Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant de voir expliquer la maladie par l’introduction dans la personne d’un esprit mauvais qui entre en lutte avec l’esprit vital que tout homme porte en lui. En effet, dans la culture traditionnelle, on pense que chaque être humain est habité doublement par un esprit bon et un esprit mauvais. Ils sont en antagonisme. Dans cette lutte, la maladie est le fruit de la victoire de l’esprit mauvais. L’esprit bon constitue l’esprit protecteur. Il peut délaisser le corps humain pour une raison ou pour une autre. Il rend alors la personne vulnérable à d’autres esprits et au mauvais sort. Agents pathogènes, ils apportent la maladie. Chez les Wolofs, on appelle cet esprit « Djinné bou bakh » ou « Rab bou bakh ». Il joue le rôle de second ou de double de la personne. C’est un esprit protecteur, on peut le comparer à cette croyance biblique de l’ange gardien qui veille sur l’homme.

Dans la culture wolof, « Seytané» (Satan) est assimilé à un démon pathogène. L’homme ou son corps peuvent être le siège d’une lutte vitale : celle de l’individu, protégé par son esprit protecteur, et des esprits mauvais (tels que Satan) qui s’efforcent de pénétrer dans son corps. Cette lutte, dont l’enjeu est la victoire de l’un ou de l’autre, se manifeste par la maladie. Dans les cultures locales (Wolof, Diola, Toucouleur etc.), les maladies sont donc le fait des actions des démons pathogènes. C’est ce qui fait d’ailleurs que quand quelqu’un est malade, le premier réflexe est d’aller chez le marabout, le guérisseur, le tradipraticien avant de penser à l’hôpital, au dispensaire ou au médecin.

Les techniques de guérison de la médecine traditionnelle sont basées sur des prières, des incantations visant à demander le secours à Dieu ou aux esprits bienveillants ou bien à ordonner aux démons pathogènes de quitter le corps du malade (exorcisme). Ainsi on le voit aisément, les tradipraticiens, les marabouts, les guérisseurs, les charlatans constituent des sortes de médiateurs de salut avec un seul sens concret, la recherche du bonheur à travers une existence sans cesse menacée. Le bonheur est recherché principalement dans la lutte contre la maladie et la malchance. Ces dernières sont dues à l’action extérieure des démons, des mauvais esprits et des mauvais sorts. La conquête du salut est, par conséquent, à la fois une action médicinale et thérapeutique et un geste religieux visant à rétablir le malade dans une sorte d’état de grâce vis à vis des puissances supérieures bénéfiques.

La fonction de guérisseurs implique la possession de pouvoirs surnaturels se manifestant dans l’emploi de formules mystérieuses, de rites précis et établissant entre le guérisseur et le malade un rapport mystérieux et magique. C’est en cela que la médecine traditionnelle se démarque de la médecine classique (dite aussi moderne) car pour la première les représentations spirituelles ne sont pas dégagées d’une vision sensible des choses. L’action du guérisseur consiste surtout à une lutte avec l’esprit mauvais présent dans le malade, lutte ayant pour but d’expulser le démon.

L’action du guérisseur a pour fonction principale d’aider la vie du malade à ne pas se laisser expulser par le démon. La rapidité et l’assurance de la guérison dépendent évidemment de la force magique que possède le guérisseur, mais aussi de l’emploi des moyens magiques qui varient en intensité et en signification selon le stade de l’intervention, surtout selon la grandeur de la résistance posée par le démon. Les guérisseurs peuvent ordonner le sacrifice d’animaux quand la maladie monte dangereusement et que les forces du malade déclinent. Il peut demander à la famille du malade de tuer un agneau, un poulet, parfois même un bœuf. Au moment de l’offrande, le guérisseur s’agite, fait des prières, des incantations, commande aux esprits mauvais de quitter le corps du malade et demande à la vie du malade de revenir. La guérison a lieu quand l’opération réussit et quand le démon a entièrement évacué le corps du malade.