Les parcours thérapeutiques des personnes touchées par le bacille de Hansen montrent cette approche multiforme de la maladie. Lorsque la personne découvre la maladie, elle a une grande confiance dans les conseils thérapeutiques donnés par les membres de la famille et de la communauté. Elle prend des décoctions, de la poudre ou du thé de safara.
Puis, lorsque les symptômes subsistent et s’aggravent, elles font appel au secteur traditionnel des tradithérapeutes. Les marabouts coraniques (Serigne daara) font des prières. Ils leur demandent de croire en Dieu et de lire les « Ecritures Saintes ». Les charlatans33 (ndiabar kat) donnent des décoctions à boire, des poudres pour enduire le corps, des grigris à porter sur le corps et de l’encens faite d’écorces à inhaler, etc. A ce stade de la maladie, la société les accepte encore, car ils n’ont pas de mutilations. La relation malade – guérisseur est empreinte d’une certaine confiance. Généralement, lorsque les premières amputations apparaissent, la relation tourne au mépris et devient distante jusqu’au renvoi du malade.
Enfin, elles consultent dans le secteur biomédical. Il arrive heureusement de plus en plus souvent que le diagnostic soit fait de façon précoce, ce qui empêche les lésions et les amputations. Malheureusement, le diagnostic n’est pas si évident à faire. Un certain nombre de personnes racontent que le dispensaire les a soignés pendant plusieurs années pour de la syphilis jusqu’au jour où les doigts ont commencé à tomber. Les personnes reconnaissent l’efficacité du traitement biomédical (en comprimés et en piqûres), mais elles ont une confiance limitée dans le personnel de santé.
Les lépreux utilisent donc les services des thérapeutes dans les trois secteurs : d’abord le populaire, suivi du traditionnel puis du biomédical lors de l’apparition de la maladie. Les progrès liés à l’utilisation de la monothérapie (la dapsone) en 1965, puis à la polychimio-thérapie (PCT) depuis 1985 ont bouleversé le rapport des personnes à la lèpre. Mais même lorsqu’ils se soignent avec le PCT, ils continuent à consulter auprès des tradithérapeutes. C’est à partir de cet itinéraire lépreux que s’édifient les structures fondamentales d’où partiront les évolutions à venir. On observe trois types de traitement social pour les lépreux :
Certains jeunes mineurs se socialisent au sein de leur désavantage en intégrant les villages de reclassement.
‘« J’ai contracté la lèpre à l’âge de 12 ans. 3 ans après, je commençais à perdre mes doigts un à un. Au début, mes parents croyaient que j’avais la gale. On m’a traité avec des médicaments locaux : lotion, tisanes, baume. Les plaies continuaient à s’aggraver. Je suis parti au dispensaire où on m’a dépisté la lèpre. On m’a alors emmené à la léproserie de Koutal ».’D’autres jeunes restent au sein de l’univers familial, en étant à la fois entourés d’une enveloppe protectrice et enfermés dans un espace clos.
‘« Quand la maladie m’a prise, mes parents m’ont gardée dans la maison. Je ne pouvais pas bouger de la pièce. Quand il y avait une fête dans la famille, je ne pouvais pas y participer. Je devais manger toute seule et à part des autres ».’Puis vient le temps de l’épreuve morale où le cercle domestique ne peut plus jouer son rôle protecteur. Le jeune se trouve confronté à la nécessité de partir, de se former, de travailler, de fonder un foyer.
Lorsqu’un individu devient stigmatisé tard dans sa vie, il lui est difficile de se ré-identifier, ayant tout appris du normal et du stigmatisé. Se voyant lui-même déficient, il risque de vivre dans la désapprobation de soi. C’est pourquoi beaucoup de jeunes et d’adultes ont choisi de cacher leur maladie aussi longtemps que cela leur était possible :
‘« Des fois, on peut garder la lèpre pendant des années. Comme c’est une maladie honteuse, on a honte de déclarer ça. Tu te caches pendant 4 ans, 5 ans ; tu commences à avoir les doigts coupés. Tu les caches. Tu as les membres qui s’abîment. Tu caches ça. Un jour, un parent voit que tu commences à t’amputer. Il te dis : qu’est ce que tu as là et tu ne peux plus reculer ».’Quand quelqu’un a été socialisé dans une communauté étrangère, il doit apprendre la manière juste d’être au sein de son nouvel entourage : « Quand je suis venu du Mali pour gagner de l’argent pour nourrir ma famille, j’ai retrouvé un oncle qui vivait déjà ici, dans la rue à Dakar. J’ai appris à vivre comme lui et j’ai mendié avec lui. J’ai appris peu à peu à parler le Wolof ».
Sur le plan sociologique, le stigmate provoque une difficulté d’intégration de l’individu présentant une différence fâcheuse dans le cercle des rapports sociaux ordinaires des « normaux » ; celle-ci pouvant aller jusqu’à une exclusion. Nous utilisons ici le terme de « normaux » pour des raisons de commodité afin de désigner ceux qui ne sont pas atteints par la lèpre. La société développe une gestion particulière de cette exclusion (étymologiquement ex claudere en latin : « enfermer hors de ») par une mise à l’écart, en village de reclassement notamment.
Ce terme charlatan n’est pas péjoratif. IL existe trois types de marabouts : les Khalifes ou chefs de confrérie, les Maîtres d’école coranique ou Marabouts coranique et les Marabouts-charlatans qui sont des guérisseurs qui soignent et donnent des conseils et recommandations.