3.3.2. Destin et maladie

La croyance domine toute la vie des lépreux vivant à la rue. Elle la marque très profondément avec des croyances et des pratiques rituelles certes, mais et surtout une sorte de fatalité très présente. Ils nous répètent tous cette phrase qui revient dans les discussions et les entretiens :

« Lii moo jiitu sama juddu ! » (Ceci préexiste à ma naissance !).

Ce « fatalisme » est très répandu dans la société globale sénégalaise, ce n’est point l’apanage des personnes en situation de lèpre sociale du fait de la lèpre. Il constitue un atout et un frein : l’atout est que cela permet, en tout cas, de transcender certaines dimensions (tout ce qui n’est pas maîtrisé par l’individu et /ou la communauté). Un frein parce que le fatalisme ferme toute initiative et toute possibilité de recherche de solution vraie au problème posé, ou n’agit que sur les bords et rebords. Il reflète alors une mentalité peu ouverte à des changements ou à la possibilité humaine de modifier le cours des choses.

Un mendiant-lépreux
Un mendiant-lépreux

Photo Martine et Aliou, Dakar, 2007

Il est important de préciser la forme originale du fatalisme chez les lépreux qui s’exprime en terme de « Lu Yalla toudeu » (ce que Dieu a décidé), à savoir que seul Dieu décide souverainement du sort des humains. C’est lui qui donne le bonheur ou le malheur. Cette photo ci-dessus, avec un homme égrenant son chapelet tout en pratiquant la mendicité, est significative de cette posture éthique.

C’est d’ailleurs dans ce contexte que l’on doit comprendre comme une tentative de compensation le fait que certains lépreux acceptent avec fierté l’appellation « Waa Yala » (« homme de Dieu »). C’est une réponse à leur demande d’aumône : Nguir Yallah (au nom de Dieu).

Cette tonalité affective, psychologique, spirituelle et cette fatalité existentielle sont étroitement liées aux conditions de dénuement total face à la « grande maladie » (febar bou magbi). Cette notion de destin est utilisée pour développer des propos sur les grandes maladies dans leurs contextes culturels. Mais elle ne rend pas compte ni de la vie de la personne en situation de lèpre sociale du fait de la lèpre, ni de son itinéraire. Venir mendier à Dakar relève d’une liberté d’action. Il est la conséquence de ce vécu contextuel qui se concrétise dans ce choix de la mendicité. Un choix qui relève souvent d’un long mûrissement de la personne en situation de pauvreté extrême. Des enjeux vitaux qu’elle décide de jouer pour garder sa dignité : celle de ne pas être à charge des autres, celle aussi d’être utile et de nourrir sa famille élargie. L’itinéraire de vie est constitué de ces choix et de ces mises en application qui s’entremêlent. Un chemin fait de rencontres, de départs et d’arrivées. Un chemin fait de confiance et de défiance, ainsi que de conventions et de déviances.