4.3. Puissance transformatrice de la reconnaissance sociale

En Afrique, les réseaux de solidarité jouent un rôle très important et ils ne cessent de se transformer. En ville, ils s’adaptent à de nouvelles formes de voisinage, de solidarité et de rivalité. Moyen de diminuer les inégalités, ces solidarités renforcent l’autosuffisance économique tout en constituant une garantie sociale (Didier Fassin, 1992).

Au Sénégal ces regroupements multiformes se font sur une base ethnique et / ou professionnelle, sportive ou culturelle. Ils procurent des moyens de cristallisation des relations amicales, ayant pour finalité une réelle entraide. Une particularité, soulignée par Abdoulaye-Bara Diop dans « la société wolof » (1981, 321), c’est que dans la vie de la communauté des croyants musulmans, il n’y a pas de séparation nette entre le spirituel et le temporel.

Généralement, la famille constitue le premier recours pour la personne qui a un besoin. Ces rapports effectifs résultent des règles d’obligations mutuelles. Celles-ci dépendent tant de leurs spécificités que du degré hiérarchique dans lequel se trouve la personne.

Les normes de sociabilité et d’entraide existent. La force des liens qui en découlent dépendent de la parenté agnatique et utérine. Tous les membres d’une famille n’ont pas la même chance de bénéficier d’une aide en cas de nécessité. Pour les géniteurs, l’entraide existe tout au long de leur vie. Elle dépend du lignage entre les frères et les sœurs.

Avec l’exode rural, les liens de solidarité qui s’exerçaient entre les membres d’une même famille, sont mis à mal. L’introduction de la monnaie CFA, avec toutes les valeurs de la modernité, a déstabilisé les systèmes d’échange traditionnel. D’autres modèles culturels ont fait leur apparition, avec l’urbanisation et le rêve de l’eldorado occidental. La précarisation socio-économique accélère le processus d’éclatement des familles élargies, qui étaient (et qui sont encore) les cellules de base de la société sénégalaise. Le processus d’atomisation de l’individu est initié. Sa visibilité s’exprime particulièrement à travers les situations des personnes qui vivent à la rue à Dakar.

Si les liens de sang et de lait étaient (et sont) tributaires du rang occupé par la personne dans la famille, ils dépendent aussi des éléments conjoncturels tels que la proximité spatiale et les affinités humaines. Les lépreux cumulent ces éléments conjoncturels du fait de leur éloignement à Dakar et de l’effet répulsif de leur stigmate auprès de leur famille d’origine. Même si des liens subsistent, ils ne sont jamais assez forts pour qu’on leur propose un toit où habiter en famille.

D’autre part, ils subissent de plein fouet la crise économique, sans revenus de subsistance et sans travail adapté pour assumer leur charge de famille. Ce qui ne fait que « fatiguer » davantage les réseaux de solidarités familiales. Car s’ils résultent des normes sociales, ils sont aussi tributaires des possibilités financières, des contraintes spatiales et des affinités personnelles. Néanmoins, en ville, ils constituent encore la trame principale des relations sociales sur laquelle se greffe souvent le réseau intra ethnique.