4.3.2. Villages, famille et sexualité

Dans leur double expérience de famille d’origine et de famille recomposée, les lépreux ont conservé l’essentiel de leurs croyances, avec des rites et des mythes bien déterminés. Cela constitue la base de leurs pratiques cultuelles et culturelles. Ces rites sont utilisés pour marquer les grands moments de la vie tels que le mariage, la naissance, le baptême et la mort.

Du mariage intra ethnique au mariage inter ethnique

La parenté est désignée en wolof par « mbokk », qui vient du verbe « bokk » qui signifie « partager » ou « avoir en commun » ; à savoir, pour la parenté, avoir en commun les mêmes ascendants, le même sang.

La société wolof comporte quatre cas­tes, selon des critères de spécialisation profession­nelle, d’hérédité et d’endogamie. Dans l'ordre hiérarchique décrois­sant, ce sont les « géér » (paysans généralement), les « jëf-lekk » (artisans), les « sab-lekk » (musiciens, chanteurs, laudateurs), les « fioole » (courtisans, servi­teurs, bouffons) (Abdoulaye-Bara Diop, 1981, 35).

Cette opposition « géér » et « neeno » (artisans) sur la base de la pureté ou de l'impureté raciale se fonde sur l’origine étrangère (réelle ou mythique) des castes inférieures. Les Wolofs se réfèrent à une notion de pureté qui n'est pas religieuse, mais raciale. Ce qui justifie la séparation biologique avec l'endogamie de caste. Son application ne nécessite ni de purification rituelle, ni même d'intouchabilité comme en Inde. Cela explique leur disparition progressive dans les mariages en ville.

Chez les Wolofs, le mode de filiation est patrilinéaire et de type bilinéaire : les deux lignages y sont reconnus, avec des qualités et des fonctions différentes. (Abdoulaye-Bara Diop, 1985). Si le contrôle de la reproduction se fait au sein du patrilignage, le matrilignage est également reconnu. Il constitue un refuge possible pour l'individu en cas de danger pour sa survie. Le mariage se fait préférentiellement avec les cousines de croisée matrilatérale et patrilatérale, permettant ainsi deux possibilités. Avec l'adoption de la dote, le choix matrimonial s’est assoupli tout en instituant un système d'échange complexe.

La pratique de la polygamie a permis de réunir de grands effectifs, dont le regroupement de ménages de frères avec les familles étendues. Cela a favorisé une exploitation efficace des terres, car traditionnellement les Wolofs sont des paysans céréaliers. Deux principes ordonnent leur organisation familiale : la hiérarchie et le communautarisme. La solidarité est la condition de survie du groupe. La hiérarchie, avec la prééminence des hommes sur les femmes et des aînés sur les cadets, favorise la mobilisation des moyens nécessaires à la satisfaction des principaux besoins. Selon Abdoulaye-Bara Diop (1981), l'adaptation est l'un des traits dominants de la culture des Wolofs. Celle-ci ne cesse d’évoluer, depuis l’entrée de leur société dans l'économie monétaire et le développement des techniques de production.

Le lépreux, même s’il appartient à ces différentes castes, est rejeté de sa communauté, ou au mieux mis à part. Par son état d’impureté lié à la lèpre, il expérimente les mêmes réactions de mépris et de discrimination que celles qui sont vécues par les membres des castes inférieures. C’est une raison pour lesquelles il ne peut se marier selon les règles d’alliance chez les Wolofs.

Art et beauté de la coiffure féminine
Art et beauté de la coiffure féminine

« Quand nous sommes au village, nous aussi, nous nous faisons belles. Et nous faisons la fête comme tout le monde ! Venez et vous verrez ! »

Nous disait une femme lépreuse d’une quarantaine d’années.

Photo de Martine et Aliou, Dakar, 2005

Ayant quitté leur famille, leur conjoint, leurs enfants et leur village d’origine, les lépreux ont rejoint un village de reclassement. La recomposition familiale s’impose à eux comme unique alternative pour vivre à nouveau une vie de couple et une vie de famille. Une nouvelle parenté s’établit dans un environnement où, à priori, il n’existe pas de structure de parenté.

Les « maam » (grands-parents), les « sët » (petits enfants), les « baay » (pères), les « ndey » (mamans), les « badjaan » (tantes), les « nidjay » (oncles), les « doom » (enfants), les « djigueen » (sœurs), les « thiamignes » (frères), les « mag » (aînés), les « rakk » (cadets), les « goros » (beaux parents), les « djëkeur » (maris), les « djabar » (épouses) les « woudjeu » (co-épouses), tous sont absents. Ce sont donc toutes les structures de parenté et d’alliance qui sont à recréer en termes de recomposition familiale.

En milieu rural, la règle est celle du mariage intra-ethnique. Mais dans les villages de reclassement social, les ethnies ne font pas que de se côtoyer, elles se mélangent. La langue et la culture wolof sont utilisées dans la vie de tous les jours. Le mariage peut donc être interethnique. Une sérère peut épouser un wolof ou un autre partenaire que le groupe a choisi pour elle. Car, à défaut de la famille d’origine, la communauté elle-même est considérée comme une grande famille. L’individu n’existe pas sans la communauté. Le mariage se fait en accord avec la hiérarchie représentée par le chef du village, l’imam et les notables, après négociation avec la famille du futur conjoint. L’homme peut choisir la femme et non l’inverse. On retrouve les mêmes valeurs que dans la société globale : l’homme décide du mariage et demande la main de la femme.

Il faut remarquer ici que les alliances se font aussi entre les villages de reclassement. En effet, la vie dans la rue à Dakar favorise les rencontres et des liens profonds de soutien mutuel. Ce processus de mixage urbain des populations se trouve d’autant plus prégnant chez les lépreux que ceux-ci vivent un rejet de leur village d’origine, avec une limitation de leur réseau social.

Actuellement, la structure bilinéaire de parenté se maintient surtout au niveau des représentations sociales. Dans la culture traditionnelle wolof (Abdoulaye Bara Diop, 1985), le matrilignage transmet le sang, fondement de la parenté, et possède un contenu essentiellement biologique. Les valeurs psychosociales qui lui sont associées sont la solidarité profonde, l’entraide et le soutien dans les moments critiques, en particulier pour la survie des parents. Le patrilignage a un aspect principalement social et politique. L’honneur, le prestige et le courage y sont les principales vertus cultivées ; porteuses de la mémoire de l’ancienne société monarchique et guerrière, ou simplement patriarcale.

Avant le mariage, les « ngoro » (les fiançailles) n’ont pas toujours existé. Car, dans la tradition, il arrivait que les futurs époux ne se connaissent que le jour de leur mariage. Dans le rite du ngoro, le futur époux donne un cadeau à la fiancée (et aux parents s’il en a les moyens). La griote fait alors le tour des concessions pour annoncer le ngoro, de façon à ce que l’information passe dans tout le village. Un repas festif est organisé chez la future épouse et tout le village est invité.

Pendant le temps des fiançailles, chacun des fiancés demeure chez ses parents. Les fiancés ne doivent pas avoir de relations sexuelles avant le mariage (selon la coutume musulmane). La jeune femme est tenue d’être vierge. C’est ce que Sembène Ousmane a mis en scène dans Xala (1975) lorsque les femmes viennent aux premières lueurs du jour dans la chambre des mariés. Elles tiennent à la main un coq - qui sera saigné si la jeune mariée n’était pas vierge - de façon à présenter publiquement le drap des noces afin d’attester de la consommation du mariage… et ainsi sauver l’honneur de la famille.

Le mariage a lieu plus d’une année après les fiançailles. Selon les possibilités financières du mari et l’âge de l’épouse, la dote peut atteindre des millions de francs CFA. Le mari doit donner à son épouse et à ses beaux parents des cadeaux en nature et en argent. Il doit acheter tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la festivité : un bœuf, des moutons, des chèvres, du riz, de l’huile, etc. Il s’agit d’assurer une semaine de fête pour l’ensemble du village. Cette coutume, qui provoque l’endettement des familles, tend à se réduire quant à la durée de la fête et à la restriction du cercle des invités. Plus elle est atteinte de mutilations et plus elle est « dévaluée ».

Avec le chômage, ce sont les parents qui se cotisent pour les jeunes. Les jeunes lépreux sont obligés de mendier pendant plusieurs années pour réussir à économiser suffisamment pour payer la dote et organiser les festivités du mariage. Certains jeunes se plaignent amèrement de cette attente. Il faut remarquer ici qu’une femme lépreuse a l’avantage de « coûter moins cher » qu’une femme en bonne santé.

Après le mariage, la règle est que la femme rejoint le domicile conjugal qui est celui du mari. Mais il arrive que la famille du mari n’ait pas de chambre pour accueillir le jeune couple sous leur toit ou que la famille de la femme, en situation de grande précarité, demande à ce que le couple reste jusqu’à la naissance du premier enfant. C’est parfois ce qui se passe quand un parent isolé lépreux souffre de limitation importante d’activité du fait de ses amputations.

La naissance et ses rites

L’attente d’un bébé dans la famille constitue un événement privilégié, avec des relents mystiques et religieux. Des tabous existent, assortis d’un ensemble d’interdits ou de choses à éviter purement et simplement, en particulier avec la grossesse de la femme. Nous allons développer les aspects liés au baptême, au nouveau-né et à la préparation de la naissance.

Les préparatifs de la naissance

La naissance est un événement heureux pour la famille et la communauté. Seulement, elle comporte un aspect d’impureté et de souillure, d’une part, et un aspect de danger pour la mère et pour l’enfant qu’elle porte d’autre part.

Dans la culture wolof, on pense qu’une femme enceinte est une proie facile pour les sorciers et les sorcières, comme pour les djinns (mauvais esprits). C’est pourquoi, elle est assujettie à un tas d’interdits et de directives à respecter sous peine d’être emportée par ceux qui la cherchent de jour comme de nuit.

Tout d’abord, elle doit cacher la grossesse le plus longtemps possible, même à son proche entourage. Ce qui fait que le pagne est toujours bien noué et serré sur le ventre pour ne laisser rien apparaître de la grossesse. Aussi, doit elle redoubler d’efforts surtout dans les travaux domestiques (piler le mil, aller chercher l’eau, faire la cuisine …) Ses compagnes ne doivent pas savoir son état de grossesse. Même s’il y en a qui la taquinent en lui disant qu’elle présente les signes d’une femme en état de grossesse, elle doit nier avec la dernière énergie et tenter de leur prouver qu’elle n’attend pas un enfant. Ce jeu de cache-cache doit durer le plus longtemps possible, en sachant qu’il arrivera un moment où elle ne pourra plus cacher sa grossesse. Car la taille du ventre, la fatigue et les mutations physiologiques la trahiront à jamais. Elle doit aussi affronter un ensemble d’interdits protecteurs. Par exemple, elle ne doit pas marcher à certaines heures de la journée, sauf si elle est accompagnée. C’est le cas vers quatorze et dix neuf heures. On pense que ces deux moments sont des instants réservés aux Esprits qui sortent pour chasser Or la femme enceinte peut constituer le gibier rare et recherché.

Les mamans ne doivent surtout pas aller sous le baobab et le tamarinier. Car elles risquent de recevoir des « pesse » (gifles) des djinns. Les djinns peuvent se déplacer sous forme de vent. Pour les Wolofs, il faut se cacher ou se coucher par terre quand il y a le tourbillon. Car on pense que c’est le djinn qui se déplace avec sa famille.

La personne qui est giflée par le djinn a la tête qui tourne et qui pend sur un coté ; ou la mâchoire déformée par la violence de la gifle ; ou la joue enfoncée. C’est définitif et ça ne se soigne pas. On retrouve la personne en transe, elle bave, elle a perdu connaissance. On l’emmène chez le marabout. Toute sa vie, elle gardera des séquelles sur le plan physiologique.

Pendant cette période, sa mère – ou à défaut son amie confidente qui sait garder le secret – consulte les marabouts et lui ramène des talismans. Ces talismans sont constitués de versets coraniques, de fils de couleurs noués et entremêlés sur lesquels le marabout a prononcé des invocations avec le nom de l’intéressée. Celle-ci devra les porter secrètement autour de la taille ou en bandoulière sur sa poitrine, afin d’être protégée.

C’est pourquoi dès qu’une lépreuse sait qu’elle est en état de grossesse avancée43, elle cesse de vivre dans la rue et rentre au village.

Le nouveau-né

L’arrivée d’un nouveau-né est un moment marquant dans la famille. Si l’accouchement se fait à l’hôpital ou au dispensaire, la femme en couche doit traverser la cour et la rue sans montrer ses douleurs, de façon à ne pas attirer l’attention. Quand elle revient en cachant l’enfant, elle le fait à des heures où il y a le moins de monde possible dehors. Dans sa chambre, elle fait l’objet de diverses sortes de rites de purification et de protection. La femme accoucheuse du village lave le bébé, si l’accouchement a eu lieu au domicile. Ensuite, les grands-parents arrivent avec de l’eau bénite et des amulettes pour la maman et le bébé qui sont alors massés avec du beurre de karité. On leur enfile les talismans et les amulettes.

Les imams et les marabouts ont été consultés. Chacun a pu donner des bouteilles remplies de liquide ainsi que des feuilles de papier pliées sur lesquelles figurent des écritures coraniques.

Le nouveau-né et sa maman gardent la chambre, sans sortir, pendant une semaine. Seuls les membres de la famille et les parents proches peuvent leur rendre visite. Les marabouts et les imams peuvent également venir faire des prières. Ce n’est que le huitième jour que la mère et l’enfant sortiront de la chambre.

Le baptême 44

Le conte mythologique lébou fait écho de cette période à risque qu’est la naissance et évoque ce que représente le baptême :

A la naissance de Tounka, la mer se déchaîne, « faisant échouer sur la grève des barques et des cadavres, renversant des cases, brisant quelques arbres. » N’galka présente Tounka à Bourou-Guedge, le roi de la mer. Dés son retour du royaume de la mer, le baptême a lieu.

« Huit soleils après la naissance de Tounka les hommes fêtèrent l’événement sous l’égide de leurs fétiches séculaires. Ils se gavèrent de boissons fermentées de leur fabrication. Les féticheurs entonnèrent les champs de la mer et ceux des pays des sables que rythmaient des calebasses renversées dans l’eau. Il y eut des chutes hystériques sur le sable mou, de longues pâmoisons. Une excitation fiévreuse, une agitation morbide qui donnait aux femmes des masques de fauves. Cela dura jusqu’au coucher du soleil, quand la « Voyante » poussa le cri sonore qui mettait fin à ces bacchanales. » (Abdoulaye Sadji, 1965, 48)

Le huitième jour, au petit matin, les femmes finissent de balayer la maison et d’installer les nattes pour accueillir les imams, les notables, les marabouts et les hommes du village.

Autour de l’imam « ratib » (le premier), les initiés (les hommes de la Connaissance) fabriquent les talismans et les amulettes pour le bébé. Ce dernier est rasé pour la première fois de sa vie par sa « badjane » (la sœur de sa mère). C’est seulement à ce moment là que le nom est donné à l’enfant. Il a été dicté à l’imam ratib qui commence par chuchoter des prières dans l’une puis l’autre oreille de l’enfant en prononçant son nom à haute voix. Puis il fait des incantations publiques en annonçant le nom de l’enfant.

L’assistance répète le nom de l’enfant qui vient d’être divulgué et chacun fait des prières de longue vie, de bonne santé et de réussite sociale à ce nouveau membre de la communauté.

La cola est distribuée à l’assistance et le mouton égorgé. C’est la première sortie de l’enfant dans la cour de la maison. L’enfant passe de bras en bras des gens rassemblés dans la concession. Chacun y va de son petit mot : « Il est beau, il est timide, etc. ». Lui et sa mère portent de beaux habits. Le choix du parrain est du ressort du père, mais avec des règles précises qui font que la décision appartient à toute la famille. On sait au moment du baptême qui est son parrain et sa marraine. Selon la coutume, la marraine est désignée une fois pour toute pour tous les enfants de la chambrée (issu du lit conjugal).

Une semaine après le baptême, il sortira pour la première fois de la maison, porté sur le dos d’un enfant bien éduqué et poli du même sexe et de « bon caractère ». On pense qu’il va acquérir les mêmes qualités que cet enfant. Tout le village salue le bébé et rit avec l’enfant. On remercie l’enfant (âgé de quinze ans) qui le porte en lui disant qu’on espère qu’il aura aussi bon caractère que lui.

Après le baptême, la femme est mise à l’écart de certaines tâches (cuisine, prière et rapports sexuels), car elle est considérée comme en état d’impureté pendant plus de trois mois. Lorsqu’on vient lui rendre visite, on lui apporte traditionnellement du savon et du sucre : pour les rites de purification et pour les boissons traditionnelles.

Selon la représentation mythique, le sang est le siège principal de la force vitale :

Chez la femme, les règles sont assimilées à des forces maléfiques. D’où les divers rituels et tabous qui entourent la menstruation. Le fait que c’est du sexe féminin que sort le sang impur et maléfique des règles et que vient au monde l’enfant, explique le transfert sur cette naissance de l’impureté menstruelle

Chez l’homme, le sang qui sort à la suite d’un accident (coupure, blessure, etc.) à une signification positive, soit transmettre la force vitale, soit éliminer du corps humain des forces négatives.

En règle générale, la femme repart avec son bébé chez ses parents après le baptême. Elle va faire le « namp » : littéralement en wolof « téter » sa maman. Ce séjour peut durer trois mois, c’est-à-dire jusqu’à la fin de la période d’impureté rituelle de la femme qui vient d’accoucher. Cet éloignement facilite le respect des interdits pour le couple qui ne doit pas avoir de rapports sexuels pendant cette période. Cela permet également à la femme de prendre une sorte de congé maternel pendant lequel elle va pouvoir se reposer et refaire ses forces.

Lorsque l’enfant se redresse pour faire ses premiers pas, il est de coutume de frapper sur les traces de ses pas laissées dans le sable avec un pilon. Dans le film « Xala », on propose à El hadji de s’asseoir sur un mortier en tenant le pilon de façon à éloigner le mauvais sort, et il refuse. Sondjata a pu se relever pour se tenir debout malgré son handicap moteur grâce à un pilon. Ainsi le pilon reste une sorte d’objet fétiche.

Qu’en est-il de la naissance chez les lépreux ?

La naissance et le baptême des enfants de lépreux se font à l’intérieur des villages de reclassement social. S’il y a une coupure avec la famille d’origine, ce n’est pas toujours une coupure totale. Certains membres de la famille gardent des liens forts avec leur parent au village de reclassement. La naissance et le baptême sont des occasions privilégiées de retrouvailles familiales.

Dans les villages de reclassement social, la femme lépreuse reste chez elle et ne peut faire le « namp ». Avec son mari dans la même case, l’un et l’autre doivent faire l’effort de respecter les délais de séparation et l’interdit des relations sexuelles.

Il faut remarquer que ce comportement se retrouve en milieu urbain. En ville, les femmes repartent de moins en moins chez leurs parents. C’est une des raisons pour lesquelles les délais modernes de séparation ont été raccourcis à quarante cinq jours.

Ritualisation de l’espace et du temps lors d’une naissance
Ritualisation de l’espace et du temps lors d’une naissance

La polygamie

La société sénégalaise dans son ensemble admet la polygamie prise au sens de polygynie. C’est un point fort pour un homme d’avoir deux épouses ou plus. Dans certaines confréries (chez les Tidjanes) et dans le code civil, le nombre d’épouses est limité à quatre. Dans d’autres confréries, il est illimité (chez les Baay-Falls).

La pauvreté n’empêche pas un homme d’avoir plusieurs épouses. Au contraire, c’est dans les milieux touchés par la pauvreté que la polygamie est la plus pratiquée. Certains hommes développent cependant des stratégies qui leur permettent de vivre plus aisément en se faisant entretenir par leurs nombreuses épouses.

Beaucoup d’hommes lépreux aimeraient être polygames. Or ils ne le sont que rarement. D’une part, sur le plan démographique45, le nombre de femmes est très limité dans les villages de reclassement social, ce qui favorise peu le système de la polygamie. D’autre part, la polygamie demande davantage de moyens matériels et financiers pour construire des maisons et entretenir les familles, ce qui est peu à la portée des hommes dans les villages de reclassement. De plus, leurs femmes lépreuses vivent dans les mêmes conditions de précarité qu’eux.

Le divorce

Le divorce répond encore à des critères traditionnels malgré l’existence d’un code civil moderne. C’est, la plupart du temps, l’époux qui prend la décision de répudier sa femme. Il en informe simplement les chefs religieux, les notables et les parents de sa femme.

Des arrangements sont possibles pour la réintégration de l’épouse répudiée. La règle coutumière, qui s’inspire du Coran, édicte que le divorce est définitif si un homme répudie sa femme trois fois. Dans ce cas là, l’épouse ne rembourse pas la dote, et cela quel que soit le montant de la dote.

Par contre, si le divorce intervient parce que c’est la femme qui prend l’initiative, elle doit rembourser intégralement le montant de la dote. La question du remboursement est un obstacle réel pour le divorce des femmes. Les familles démunies pousseront les filles à rester dans les liens du mariage afin d’éviter le remboursement de la dote.

Quand la femme contracte la lèpre, elle n’est pas répudiée. Mais le mari, sachant que sa femme a « la maladie de la honte », va progressivement se décharger sur sa belle famille jusqu’à ce que sa femme décide de partir.

Si c’est le mari qui contracte la lèpre, la femme peut rester au village ou partir chez ses parents si elle n’en peut plus. Elle emmène alors les petits en bas âge et les filles. Les garçons de plus de six ans restent chez le père, ou plus exactement dans la famille du père, puisque le père malade est soumis à l’isolement.

Le divorce intervient au bout de quelques années de séparation. Un émissaire est envoyé par le mari pour annoncer à la femme le divorce ; inversement, il est envoyé par la femme pour demander au mari qu’il veuille bien lui accorder le divorce.

Le divorce existe surtout entre les conjoints non lépreux et les conjoints lépreux. Il existe peu de divorce entre les lépreux. Le mariage constitue pour eux une sorte de refuge, dans lequel ils développent une attention mutuelle particulière compte tenu de toutes les épreuves qu’ils ont traversées.

« Nous, nous prenons une femme qui a la maladie. Sinon, ça marche rarement. Les bien-portantes ne peuvent pas nous comprendre. Entre nous, il y a de l’affection, une véritable affection. » nous confiait un homme lépreux d’une quarantaine d’années.

Une femme du même âge lui répondait : « Nous, les femmes, on a des fois des propositions de mariage par des bien portants. Ca ne marche jamais ! Ils ont d’autres intérêts. (Rire)» Elle faisait allusion à l’utilisation de relations sexuelles avec les lépreuses à des fins d’obtention de bienfaits promis par des marabouts à leurs talibés en quête de réussite sociale.

Notes
43.

Dans la culture sénégalaise, notamment wolof, la grossesse est cachée autant que faire se peut, de façon à se protéger du « mauvais œil », de la « mauvaise langue », du mauvais sort et surtout des sorcières. Car celles-ci peuvent subrepticement enlacer le ventre de la femme et y retirer la substance de vie, vouant ainsi le nouveau-né à la mort. Les femmes lépreuses observent la même pratique d’auto protection.

44.

Le terme « baptême », qui désigne le rite chrétien, est communément utilisé pour la célébration musulmane du huitième jour après la naissance de l’enfant.

45.

Dans la société globale sénégalaise, le sex-ratio est largement au profit des femmes. Il est en proportion inverse dans les villages de reclassement.