Pour aborder la question de la prévention et soin, il nous est apparu important de nous appuyer sur l’évolution des représentations de la maladie, avec les conséquences sociales et politiques qu’elles induisent. Cette photo montre l’extrême importance de la prise en compte du contexte de la lèpre sociale.
Le mouvement de désacralisation de la lèpre s’est opéré d’abord en Occident, puis a été exporté dans le monde – via la colonisation d’abord – dans le cadre du traitement (social et médical) de ce « fléau » qu’est la lèpre. C’est pourquoi nous nous centrons maintenant sur l’évolution des représentations en Europe.
Si la lèpre a été éradiquée depuis plus de vingt ans dans les sociétés occidentales, le souvenir de cette maladie demeure vivace dans l'inconscient collectif. Depuis toujours, la figure du « lépreux » renvoie à des représentations où se mélangent dégoût et crainte. En effet, les contours de cette maladie débordent les limites des classifications nosographiques des affections pathologiques.
Dans la problématique du dualisme du corps et de l'esprit, la figure du « fou » oriente les peurs collectives sur le plan des maladies mentales et celle de « l'épileptique » joue un « rôle d'échangeur» (Michel Foucault, 1999, 149). Celle du « lépreux » représente l'image d'une maladie dont les manifestations organiques paralysent d'effroi. Par conséquent, le malade est exclu d’emblée de son groupe familial ou social.
Appréhendée à l'époque féodale sur un plan religieux (plutôt que sur un plan organique), le premier Testament59 gouverne les représentations de la maladie, qualifiée de « maladie-punition » ou de «maladie-sanction ». La lèpre étant considérée comme une punition divine pour un acte de transgression (d'ordre sexuel notamment), le corps du lépreux est assimilé au lieu d'un châtiment.
Dans son étude sur les représentations du corps du lépreux à l'époque féodale,Sophie Arborio (Dictionnaire du corps, 2007) met l’accent sur le fait que la maladie, est appréhendée dans sa relation à l'homme malade, et non comme un objet désincarné (où il y aurait d’un côté l’homme et de l’autre la maladie). Dans (le corps de) la personne se joue le rapport microcosme / macrocosme. Comme microcosme créé « à l'image de Dieu », le corps est l’expression de la réalité macrocosmique dans laquelle se joue l'ordre de la société, de la nature, et du royaume de Dieu.60
C’est pourquoi la lèpre était interprétée comme un désordre. Maladie épidémique, elle constituait un déséquilibre dans l'ordre de la nature, de la société et du cosmos. Il y avait indistinction entre la réalité visible et la réalité invisible de l'homme, le corps et l'âme se fondant dans une totalité. Pour synthétiser l'essentiel des représentations corporelles de l'époque médiévale, Jacques Le Goff (1999, 438) parle d’« un corps pétri d'imaginaire ». Cette perception est très proche de la perception traditionnelle de la lèpre en Afrique.
Les représentations relatives au corps ont changé par la suite, en corrélation avec les mutations économiques et idéologiques. Dans une logique marchande, le temps est interprété comme un objet dont l'homme peut disposer. Comme d’autres réalités ontologiques, le corps entre lui aussi dans le réseau de la dynamique « capitaliste ». Devenu propriété personnelle, il est peu à peu désacralisé. L’indistinction - homme / nature / cosmos / Dieu - perd son sens.
Le contexte contemporain se situe dans ce long processus de « désacralisation » de la maladie, qui a commencé à la Renaissance, puis au siècle des Lumières. Avec l’avènement de la science, l'appréhension du corps serait elle exclusivement réservée au domaine biomédical ? Ne contient elle pas aussi des références aux ordres du sacré ou de la religion ?Il semble en particulier que certaines représentations relatives à la lèpre à l'époque féodale se retrouvent partiellement dans le symbolisme relatif au sang, à la souillure et à l'exclusion des malades.
C’est pourquoi les institutions charitables prennent en charge les lépreux, compensant ainsi les pratiques d’exclusion sociale au nom de l'unité collective fraternelle. Au niveau de l’inconscient collectif, le sang du lépreux fait appel à des représentations ambivalentes et contradictoires : le sang répandu qui provoque la mort ou le sang régénéré du Christ qui donne la vie. Par voie de conséquence, l’origine de la maladie dont souffre le lépreux en sa chair et en son âme renvoie au mystère de la vie. Ainsi la figure du lépreux, « pauvre du Christ » prend forme autour de la maladie comme élément unificateur et dans un savoir collectif concernant sacré.
A travers l'histoire, la rupture d'un interdit et le contact avec le sacré – avec une omniprésence de l’idée de souillure - forment les deux conditions qui caractérisent la lèpre sociale.
Ainsi, « dans sa réalité quotidienne, le lépreux assume la trame mythologique et spirituelle de la dimension collective de la société à laquelle il appartient (Arborio, op. cit. 531)». Dans le corps du lépreux, les réalités divine et humaine sont réconciliées, au centre du cosmos. La figure du Christ et celle de la lèpre deviennent une seule et même réalité. A travers la grande prophétie du serviteur souffrant, le Christ est assimilé au lépreux :
« Il était méprisé, abandonné de tous, homme de douleurs, familier de la souffrance, semblable au lépreux dont on se détourne… Le châtiment qui nous obtient la paix est tombé sur lui, et c’est par ses blessures que nous sommes guéris. (Isaïe 53, 3) »
Cette représentation ambivalente du christianisme fait dire à Annick de Souzenelle (1991) que le germe de la guérison est contenue dans toute maladie. On est ici aux antipodes des représentations contemporaines de la mort dans les sociétés occidentales, caractérisées par la séparation mort/vie, visible/invisible. En son corps, lelépreux représente le passage d'une réalité visible à une réalité invisible, d'un mode d'être à un autre. Sa mort au monde - assumée et transfigurée - est un acte sacré à caractère initiatique. Il est ce lien à la vie et à l'invisible. C’est ce sens ultime de l’amour christique que Paul Claudel met en scène dans le baiser (clandestin) au lépreux de la jeune et pure Violaine (L’annonce faite à Marie, 1940).
Si le mouvement de désacralisation de la lèpre a accompagné les politiques sanitaires et sociales des Etats et des organisations internationales61, la prise en compte des contextes socio- culturels autour de la lèpre reste une donnée majeure pour favoriser la prévention, le soin et l’insertion des personnes touchées par ce fléau.
Le métissage comme tension fécondante
La question du métissage est au cœur tant du soin que de la recherche anthropologique : un chemin qui vient interroger les représentations (le rapport à soi, au nous et à l’autre) du thérapeute comme celles du chercheur. Cela passe par un ébranlement, un non savoir, un lâcher prise de ses certitudes ancrées dans sa propre culture.
Cela interroge également notre posture de chercheurs quand nos croyances sont mises à mal : quel décentrement dans la rencontre de l’autre ? Quelle juste proximité pour comprendre de l’intérieur ce que ressentent, vivent et disent les acteurs de la lèpre sociale ? Quelle distance dans l’observation participative ? Quel lâcher prise par rapport à nos propres croyances et jusqu’où ?
L’exemple du soin et de la tension fécondante entre ethnopsychiatrie et psychiatrie illustre ce questionnement. Tobie Nathan a utilisé l’ethnopsychiatrie pour soigner les migrants. Il a cherché avec eux des systèmes de soin, allant jusqu’à préconiser les amulettes et les sacrifices, préférer les ghettos des cités qui préservent davantage leur culture … Sortant des sentiers battus de la psychiatrie, il s’est vu aussi considéré comme sorcier ou imposteur.
Il porte un regard critique sur le terme « symbolique », utilisé selon lui de façon injurieuse par certains ethnopsychiatres qui prenaient la position du « distributeur de symbolique ». Telle est par exemple la position de ce soignant : « Le patient, sa famille, son environnement pensent qu’il est possédé par un djinn. Mais moi, je sais que ces êtres n’existent pas, parce qu’ils ont seulement une fonction « symbolique ». Je les laisse parler et je n’interviens que d’une façon « symbolique ». (Clément et Nathan, 2002, 193)
La compréhension préalable à toute approche thérapeutique ou sociale passe par l’intégration du métissage culturel, notamment en ce qui concerne les croyances. Un soin bâti sur des conceptions prophylactiques ou hygiénistes reste en deçà des enjeux véhiculés par la lèpre sociale dans des univers multiples.

La référence quasi-permanente à la prière et au rôle joué par « Dieu » dans le quotidien des lépreux est loin d’être anodine.
Autrefois, une tradition de l’ethnologie consistait à examiner la prière de plus près. Marcel Mauss (1968) a défini la prière comme la production de mots susceptibles d’agir sur la divinité. Il définit la nature de la prière en tant qu’entreprise technique (avec la fabrication de mots pour agir sur la divinité) ainsi que la cible (la divinité).
Dans ses échanges avec Tobie Nathan, Catherine Clément (philosophe formée à la psychanalyse) reprend de façon critique cette analyse en soulignant que Marcel Mauss ne répond pas sur l’essentiel, à savoir sur les « principes de fabrication d’un tel instrument qui agit, non sur les hommes, mais sur les dieux (Clément et Nathan, 2002, 286). Ayant vu les guérisseurs agir pour influencer les esprits – comme dans un marchandage – elle remarque que le guérisseur a besoin de la malice de l’artisan-chasseur, plutôt que d’une intelligence brute (celle qui produit des traités théoriques). « En Afrique, la fonction de guérisseur est souvent associée à celle du chasseur… Il y a quelque chose de cette malice dans la prière (Ibid., 194) ».
Nous avons vu l’imbrication des techniques de chasse au lion, de la prière et des thérapies dans la culture sénégalaise ; et combien les valeurs de courage, d’habileté de foi nourrissent le quotidien des personnes en situation de lèpre sociale.
Cela renvoie à l’approche du social et du sensible. Nos corps sont des instruments de résonance qui (com) prennent les émotions, les croyances, les souffrances et les joies, les convictions profondes de l’autre. La philosophe Simone Weil (1966) explique que c’est du silence de l’écoute que surgit une pensée –neuve et lumineuse - qui touche à l’essentiel de ce qui est échangé entre deux personnes62.
Cette pensée peut alors devenir parole ou écrit. Le psychanalyste Bin Kimura (1989), reprenant la culture zen, met l’accent sur l’acte de « jikaku » (perception pure)63. Il en fait une « méthode de saisie intuitive de l’intériorité » du schizophrène dans la propre conscience du thérapeute. Selon lui, la constitution de la personne s’effectue à partir de l’« aïda » intersubjectif -cette dimension première de l’être avec les autres – entre partenaires dans les relations familiales, sociales et avec l’univers.
Dans « Le corps taoïste », Kristofer Schipper reprend cette notion centrale du « Tao »64 , ce principe à la fois transcendant et immanent à l’univers, ineffaçable et présent en toute chose. « Le sens premier du Tao est la voie » (1982, 15). Le corps humain, perçu par les taoïstes, est ordonné au Tao. Le sage du « non-agir », par le « vide de l’être, médite la racine de toutes choses ».
Pour comprendre ce qu’est le corps dans la plupart des cultures africaines, il faut intégrer la notion de personne humaine. Issiaka P. Lalèyè met l’accent sur trois de ses caractéristiques principales reliées entre elles : la pluralité, le dynamisme et l’aptitude. Entre les deux entités qui composent la personne humaine, le corps (pôle matériel) et l’âme (pôle spirituel) s’interposent des composantes intermédiaires.
Ces composantes peuvent varier d’un individu à l’autre. La personnalité, fondée sur cette instabilité constitutive, est manipulable tant par son propriétaire que par des individus mal (ou bien) faisant, comme des sorciers ou des guérisseurs (Ibid., 2005, 154).
Les soins et la souillure
1. L’hygiène et la souillure séculière
Afin de mieux comprendre ce qui se joue à travers l’hygiène et les soins corporels des personnes à Dakar, nous reprenons les propos de Mary Douglas pour éviter de projeter nos propres représentations occidentales : les pratiques hygiénistes de lavage, de récurage et de bains, ainsi que nos techniques d’isolement et de désinfection, ressemblent aux rites symboliques des cultures primitives. Même si nous séparons les notions de saleté et les idées religieuses, nos idées sur la saleté, dominées par son caractère pathogène, sont l’expression de système symbolique. Car elles sont le sous-produit d’une organisation et d’une classification de la matière. Rejetée comme élément non approprié par cette mise en ordre, elle apparaît comme une catégorie résiduelle qui n’a pas sa place dans notre schéma de classification.
Le souci de l’hygiène et le respect des conventions marquent l’idée de ce qui est sale en Occident, sans suggérer directement la relation entre le sale et le sacré. Dans les religions primitives, l’ambivalence du sacré est mise en avant. Sur le plan psychologique, il attire ou il repousse. Sur le plan des valeurs, le sacré inclut le sacré et le souillé. Le lien entre souillure rituelle et souillure séculière est étroit.
La majorité des personnes composant les groupes sont d’origine rurale. Leur pratique de l’hygiène est différente de celle des citadins. Le « wanak »65 est plus ou moins reproduit pour les séances de toilette nocturne en pleine rue. En milieu rural, il n’y a pas de WC dans les maisons. Les besoins naturels se font hors du village dans les buissons ou derrière les arbres. Actuellement certains villages, subissant l’influence urbaine, commencent à s’équiper de fosses sceptiques artisanales surmontées d’un trou. Elles servent de WC. Ces « wanak » modernes sont communément appelées « douss », mot qui est une déformation de « douche » en français.
L’expression « je vais à la douche » s’emploie pour aller au WC et « je vais prendre un bain » pour aller se laver. A Dakar - centre, le tout à l’égout est installé et toutes les maisons ont leurs installations sanitaires. Pour des raisons d’hygiène publique, des inscriptions « défense d’uriner sous peine d’amendes » sont faites sur les murs qui offrent une certaine surface vide. Le montant de l’amende indiqué varie selon l’emplacement. Ce qui pointe du doigt l’absence de toilettes publiques pour faire face aux besoins de la population citadine.
Les lépreux vivent une double discrimination : d’une part ils ne sont pas acceptés dans les lieux publics tels que les cafés et les restaurants, d’autre part ils vivent complètement à la rue. Là, il n’existe pas d’installations sanitaires publiques. Cette discrimination est directement liée à la croyance populaire en la souillure corporelle. Les lieux sanitaires sont d’autant plus ressentis comme porteurs de périls que des traces y restent (excréments, urines et autres substances déposés par les utilisateurs successifs).
Les deux groupes du centre ville (celui de la poste et de la maison des anciens combattants) ont trouvé une solution avec la famille propriétaire d’une grande maison traditionnelle Lébou en plein cœur de Dakar entre le marché Sandaga et la place de l’Indépendance. C’est dans cette maison où les membres des groupes vont faire leurs besoins, de jour comme de nuit. C’est là aussi où ils achètent l’eau pour leurs besoins personnels : pour leurs boissons, leurs ablutions et leurs toilettes. Cette information a un caractère non explicité en ce qui concerne les rapports entre la famille propriétaire et les groupes : s’agit-il d’une mise à disposition du local à titre gracieux par un musulman qui pose un acte d’humanité ? Ou par solidarité familiale ou ethnique ? Ou telle une location ?
Les lépreux vivant à la rue utilisent une technique qui rappelle la toilette au village. En effet, c’est le soir et en pleine nuit quand tout Dakar dort, qu’ils se lavent dans un coin de la rue, torse nu, avec une bassine et un pot qui sert à verser l’eau sur le corps. Le lieu public devient un espace plus discret grâce à la pénombre. Un recoin leur permet de se mettre un peu à l’abri des regards indiscrets.
L’acte de se laver prend plusieurs sens. Il s’agit d’un acte d’hygiène bien sûr, mais surtout d’une protection du corps. Il prend de plus un aspect thérapeutique quand il y a des plaies à soigner. C’est aussi une conduite religieuse et protectrice. L’hygiène des femmes s’avère particulièrement complexe. Elles développent une attention particulière vis-à-vis de leur corps, leur sexe étant comme un lieu caché. Elles surveillent attentivement leur état physiologique car les règles, la grossesse et la suite de couche sont conçus comme des moments de souillure du corps féminin qu’il faut laver fréquemment et selon des modalités précises. Il s’agit de faire partir l’odeur qui risque de repousser l’autre, mais surtout de trahir leur intimité. Ce qui ne ferait que développer leur vulnérabilité aux esprits, particulièrement en cas de grossesse. Se laver, c’est se purifier.
La vie dans la rue, c’est le contact avec le sable. C’est aussi le contact avec les champignons et avec les parasites : les puces, les poux, etc. La plupart des femmes se grattent la tête et n’hésitent pas à dire que c’est à cause des Teignes. Le mot français « Teigne », repris intégralement en wolof, est utilisé pour désigner les poux qui vivent dans les cheveux. Des parasites tels que la gale n’ont pas été signalés.
La pratique de « la toilette du chat » est la plus répandue. La plupart de ces personnes ont des amputations des doigts. Le matin, elles trempent leurs moignons, directement ou munis de gants de toilette, dans une bassine remplie d’eau. Puis elles s’essuient le visage. « La toilette du chat », c’est une toilette rapide, furtive, sans confort ni intimité. Moussa nous raconte : « Le matin, je fais comme les chats au réveil… Je trempe mes deux mains dans l’eau et je nettoie mon visage, et surtout mes yeux… »
Celles qui ont des amputations très sévères trempent une grande serviette dans la bassine et s’essuient tout le corps. Quelqu’un du groupe les aide pour leur toilette. Certaines personnes se lavent tôt, d’autres plutôt la nuit. Contrairement aux usages des ruraux qui prennent le petit arrosoir avec de l’eau, elles se servent de plus en plus du papier hygiénique. Hormis l’eau, elles utilisent peu de produits pour se nettoyer. Le savon est peu utilisé, car il a la réputation d’anéantir l’effet des médicaments. Le lavage complet du corps est inhabituel. De plus, la vie dans la rue crée des conditions d’hygiène difficiles.
La saleté corporelle est aussi utilisée à des fins de mendicité, de façon à ce que cela fasse davantage pitié pour obtenir un meilleur gain. Mais elle est très relative. Même dans des états dépressifs, aucune personne ne s’est donnée en spectacle en état énurétique ou encoprétique. Ce qui laisse supposer plusieurs hypothèses : ou le groupe intervient auprès de la personne en état de déchéance, soit pour la prendre en charge, soit pour la rapatrier au village ; ou l’hygiène, comme norme sociale en prise avec l’impureté, reste tellement impérative qu’il est impossible pour l’individu de se laisser aller et de s’exposer avec ses excréments sur la place publique.
2. Les ablutions et la souillure rituelle
Les ablutions sont rendues nécessaires pour laver le corps de la souillure rituelle et préparer l’homme à entrer en contact avec le sacré, avec Dieu dans la prière. Du latin « sacer », le sacré a le « sens de restriction quand il s’applique aux dieux et, dans certains cas, il peut s’appliquer aussi bien à la consécration qu’à son contraire. De même la racine k-d-ch en hébreu, que l’on traduit généralement par saint, est fondée sur l’idée de séparation, (…) placé à part. » (Mary Douglas, 2001,30)
Les ablutions pour préparer la prière musulmane, à raison de cinq fois par jour, constituent des occasions d’hygiène et de toilette. Même si l’objectif prioritaire est celui de la purification. Le rituel des ablutions a la particularité de n’utiliser que de l’eau pure. Ce qui n’empêche nullement des prises de douche avec du savon avant ou après chaque prière. Mais juste avant la prière, il faut nécessairement une ablution pour être en état de pureté, c’est-à-dire d’éviter tout ce qui est de l’ordre du mélange.
L’ablution se fait sur différentes parties du corps, dans des ordres qui peuvent varier selon les courants religieux : la tête (du crâne au visage), des avant bras (à partir du coude ou du milieu du bras) jusqu’à la main, des jambes (à partir du genou ou du milieu de la jambe) jusqu’aux pieds. La personne se tient sur le sol ou sur le trottoir, à côté de la bassine qui contient l’eau. Elle se lave, avec ses mains nues, en laissant l’eau descendre de haut en bas le long de ses membres. L’eau des ablutions, considérée comme souillée, doit aller directement par terre. Toute projection, sur quelqu’un ou dans la bassine, rend la personne ou l’eau de la bassine impure (et donc impropre pour continuer l’ablution). Auparavant, elle a fait l’ablution rituelle aux toilettes à l’aide d’une bouilloire qu’elle tient de sa main droite, utilisant sa main gauche pour effectuer le lavage des fesses et du sexe.
Les lépreux vivant à la rue prennent conscience de la nécessité de l’hygiène corporelle. Comme ils sont (presque tous) de religion musulmane et que cette religion demande de faire des ablutions avant les cinq prières de la journée, ils s’occupent par la même occasion de l’hygiène de leurs mains, de leurs yeux, de leurs oreilles, de leurs dents, de leurs cheveux et de leurs ongles. Les organes des sens qui permettent de voir, d’entendre, de sentir, de goûter, de toucher sont des portes ouvertes à toutes les formes de souillures et sont donc concernés par les ablutions.
Les mains sont lavées cinq fois par jour en plus des deux ou trois fois avant de manger. En plus des ablutions, les femmes lavent les mains avant de préparer les repas et avant de commencer à manger. Si leurs yeux sont souvent rouges du fait de la lèpre, ceci n’empêche pas qu’elles les lavent le matin au réveil et à chaque ablution. Certains utilisent des tampons de coton hydrophile ou des gants pour le lavage du matin.
En ce qui concerne les oreilles, les lépreux utilisent la technique du coton tige ou du bout d’allumette pour débarrasser l’excès de cérumen.
Les dents et la bouche sont lavées le matin au réveil, comme pendant les ablutions précédant la prière et avant de se coucher. Mais la technique du cure dents reste la technique la plus employée même par ceux qui utilisent la pâte dentifrice. Toute la journée, ce cure dents peut rester dans la bouche. On ne le retire que pour prier ou pour manger. Même en parlant, on peut ne pas l’enlever.
Personne n’utilise les services d’un coiffeur. Les membres du groupe se rasent la tête entre eux une fois par semaine pour la plupart des hommes. Les autres se brossent les cheveux ou se les peignent eux mêmes. Les femmes se tressent les cheveux entre elles. Leur coiffure peut tenir une semaine ou plus.
Nous utilisons les termes de l’exégèse contemporaine : « Premier et Deuxième Testament » au lieu « d’Ancien ou Nouveau Testament ». Car ceux-ci induisent une stigmatisation du Testament dit « Ancien » (assimilable à être dépassé ou périmé), source d’anti-sémitisme.
Culture, nature et humanité sont les composantes d'une existence essentiellement rurale. Dans une perception globale de l'homme, le corps est appréhendé dans ses rapports avec la nature et à l'univers. La nature - comme le cosmos – servant de support identitaire, l'homme conserve un rapport de correspondance avec son corps. Comme expression microcosmique, le corps est modulé de représentations naturelles et surnaturelles, de correspondances symboliques entre le cosmos et ses différentes parties ou organes corporels. Le corps appartient à Dieu. S’il est une réalité visible et matérielle, il est d’abord de nature spirituelle et symbolique.
Cette évolution des pratiques sanitaires et sociales, avec les organisations internationales autour de la prévention, du soin et de l’insertion des populations touchées par la lèpre, est développée dans les annexes. La question de « l’éradication » de la lèpre y est abordée, avec les effets pervers contemporains.
Simone Weil décrit cette attention intérieure qui suspend la pensée, la rend disponible, vide et pénétrable. « La pensée doit être (…) comme un homme sur une montagne qui, regardant devant lui, aperçoit en même temps sous lui, mais sans les regarder, beaucoup de forêts et de plaines. Et surtout la pensée doit être vide, en attente, ne rien chercher, mais être prête à recevoir dans sa vérité nue l’objet qui va y pénétrer. » (1966, 119)
L’auto aperception du jikaku favorise l’expérimentation noétique du moi (qu’on ne peut délimiter ni subjectivement, ni objectivement) dans un présent origine (ici et maintenant) ; réalité immédiate précédant le moi déterminé verbalement, ce moi noématiquement objet intentionnel de la conscience. Dépassant l’individualité, l’aïda est ce lieu originaire commun à tout individu. Il n’est ni cosmique, ni anté-cosmique. Il est le néant (au sens d’être), dimension pré-étante et toujours à l’œuvre. Son idéogramme représente le soleil qui rayonne au centre d’une porte. Il se traduit couramment par « entre » ou « intervalle ». L’aïda originaire, inaccessible à la conscience, ne se révèle que par le jikaku.
Dans le Tao Té King, Lao Tseu (un des pères du taoïsme), écrit que le Tao est vide, gouffre sans fond, silence et profondeur invisible. « Ancètre des Dieux », il est à l’origine des dix mille êtres et de toutes les choses.
Le wanak est une sorte d’enclos sans toit, en paille ou en bois en milieu rural ; en matériau de récupération en milieu urbain. Il est utilisé comme urinoir et douche.