6.1.3. Lèpre sociale et parcours initiatique

Clin d’œil cinématographique sur l’enfant soutien de famille. L'écriture cinématographique de Djibril Diop Mambety installe d’emblée le spectateur comme observateur, en face de son propre point de vue : de la première scène observée par la fenêtre (qui sert d’image- formule d’entrée dans ce conte) jusqu’à la voix finale lors de la montée vers la lumière (qui sert d’image-formule de sortie du conte).

C’est au spectateur de fabriquer les relations et le sens à partir d’une mise en scène dépourvue d’effets démonstratifs. Le montage de plans semble apparemment sans lien logique. Le téléobjectif est pointé fréquemment sur des situations ou des détails (Moussa effondré sur son fauteuil, le chat mort au travers de la route, etc.), dressant, touche par touche, une peinture d'un contexte social violent tout au long du récit. D’autres plans dessinent par contre de vastes espaces dans lesquels s’expriment la légèreté et la fantaisie, ainsi qu’un peu de sensualité.

Les éléments sonores émanent directement des évènements et des personnages qu'ils caractérisent. Ils peuvent être entendus par les personnages du film. Il n'existe aucune bande son extérieure au film. Le son et les musiques, entièrement diégétiques, font partie intégrante de l'action. Le réalisateur dévoile la source des musiques ou des sons entendus en jouant l'effet de surprise. Le tout construit un ethnoscape sensible, auditif et visuel de la vie dans la rue à Dakar.

Le film est construit, tel un conte, dans une dynamique qui se donne à voir lorsque l’on met en perspective la première et la dernière séquence. Dans la première séquence, le théâtre de la cité et ses scènes de rue est posé, tel un discours sur la société, sous le regard du spectateur. La dernière séquence se termine avec les deux amis qui forment une unité harmonieuse. Au milieu de la foule qui s’écarte en reculant devant cette sorte de révélation, ils se fraient un chemin vers la lumière qui déjà les illumine. C’est au cœur des principaux épisodes que le parcours initiatique de Sili se déroule, éclairé par les rencontres avec des personnages très divers, lors de la traversée de différents espaces.

Scénario autour de l’enfant « soleil »

Sili est une fillette de douze ans. Chaque jour, elle quitte sa cité Tomates pour aller au centre de Dakar. Utilisant sa jambe ballante appareillée comme stigmate, elle y mendie pour nourrir sa famille. Lorsqu’un jeune vendeur vient la bousculer, elle décide d’arrêter de mendier. Elle est résolue à vendre des journaux, car "ce qu'un garçon peut faire, une fille peut le faire aussi".

Refusant cette intrusion sur leur territoire, les garçons la menacent en la jetant violemment par terre. Un jeune vendeur solitaire prend sa défense, en affirmant qu’elle a le droit de le faire, comme tout le monde. C’est Babou.

Alors qu’elle en est à son premier jour de vente, un homme d’affaire lui donne un gros billet et lui achète tous ses journaux. En reconnaissant qu’elle est bien « la fille de la dame du prophète », il fait le lien avec le sacré. Pour lui l’espoir renaît, lui qui « désespérait de ce pays. » Sili est comme le soleil de Dieu. Elle signe de fait en dessinant un soleil !

Sili est soupçonnée de vol par un agent qui l'emmène au commissariat de police. Sili se retrouve devant une salle dans laquelle tout un groupe est enfermé. Il y a là une femme qui n’a pas supporté l’injustice avec laquelle elle a été traitée. Elle en a perdu la raison. Devant le commissaire, Sili se justifie et plaide pour elle également. Toutes deux ont été accusées de vol sans preuve. Elle parvient ainsi à faire libérer cette femme « folle ».

Puis elle prend son gros billet et va acheter un parasol pour sa grand-mère aveugle. Elle partage ensuite la monnaie restante avec les vieilles femmes et les enfants qui mendient. Sili et Babou se mettent à vendre leurs journaux ensemble pendant les jours suivants. Ils déambulent dans les rues de Dakar. Mais la bande des vendeurs est jalouse du succès de Sili. Ils viennent la harceler dangereusement au port, à l’arrivée de la « chaloupe » de Gorée. Ils jettent sa béquille à l’eau. Tombée à plat ventre par terre, tout près du quai, elle rit en voyant Babou plonger pour repêcher sa béquille.

S’ensuit un moment fort de rencontre dans les terrains vagues proches du port. Babou essore ses vêtements trempés sous le regard attendri et les propos humoristiques de Sili. Dans ce moment intime de l’amitié partagée, Sili raconte à Babou un conte que sa grand-mère lui a appris sur « qui est le plus intelligent de tous les animaux ». Puis le vent se lève, le silence s’installe, l’espace s’ouvre sur ce paysage sablonneux mû par le vent, avec au loin la pluie qui vient.

Mais la bande des vendeurs de journaux agressent à nouveau Sili près de la place de l’Indépendance et vont jusqu'à lui voler sa béquille. Babou intervient et lui sauve la vie. Les deux enfants triomphent grâce à leur amitié. Sili est par terre, ne pouvant que se traîner. Quand Babou lui demande si elle est blessée et ce qu’elle veut faire, elle affirme : « On continue ! Baisse toi.»

Alors Babou la fait monter sur ses épaules. Elle continue à lire les contes de Leuk le lièvre. Ils marchent ensemble, traversant et s’éloignant de la bande agressive des jeunes vendeurs, dans et vers la lumière.

Les étapes du chemin initiatique

Comme dans le parcours de Sili, le chemin initiatique de celui qui est stigmatisé par la lèpre sociale comprend des étapes, qui ne sont pas forcément linéaires et progressives comme dans ce conte.

[Du mépris à la reconnaissance sociale]
[Du mépris à la reconnaissance sociale]

Lorsque la personne s’identifie à la lèpre sociale sous le regard stigmatisant des autres, elle devient la lèpre sociale et conforme ses actes en conséquence. Lorsqu’elle parvient à se valoriser à ses propres yeux et sous le regard des autres (qu’ils soient « lépreux », de sa communauté d’appartenance ou de la société globale), elle lutte pour garder sa dignité malgré les conditions de vie dégradantes. Cette perception lumineuse de soi et des autres se concrétise dans des actes de solidarité, voire de justice sociale. Participation et reconnaissance sociale sont en interaction.