6.2. Lèpre sociale et organisation collective dans la rue

Au sein du groupe, la situation de chaque lépreux va dépendre de facteurs multiples : de son appartenance à une caste ou à une ethnie particulière ; de son ordre d’arrivée au village de reclassement et de son rapport avec la gérontocratie au pouvoir ; de sa capacité à créer un réseau de donateurs à Dakar ; de son implication dans la vie associative et dans l’organisation collective dans le groupe des lépreux.

La société sénégalaise est marquée par une certaine complexité du fait du système des castes. Abdoulaye-Bara Diop (1981) montre que les relations de caste continuent à exister, masquées sous le visage démocratique de la société. Par exemple, dans la société wolof, une bipartition oppose géér et neeno, c’est-à-dire caste supérieure et groupe inférieur. Ce groupe est divisé en castes et en sous castes : les artisans, les griots et les courtisans, ainsi que les hommes libres et les esclaves.

Mais leur situation dépend plus encore de la gérontocratie des malades fondateurs des villages de reclassement social. Car ils détiennent le pouvoir et orientent les actions socioprofessionnelles ainsi que l’acheminement des œuvres caritatives. Les « lépreux mendiants » du village sont les derniers à en bénéficier car ils ont plusieurs tords : celui d’être absents et celui de pratiquer une activité qui les discréditent.

‘« Les premiers qui sont venus là bas sont les mieux implantés. Ils sont les plus considérés. C’est eux qui ont les pirogues. Leurs fils ont des boutiques. C’est la classe aisée en quelque sorte ! »’

Plus que tous les autres, les étrangers en provenance des pays limitrophes se plaignent. Ils ont dû acheter cher un bout de concession pour y habiter et ils restent traités de façon discriminante :

‘« Les étrangers, ils n’ont absolument rien ! Ils ne reçoivent pas d’aide, ni du gouvernement, ni des ONG. C’est le secrétaire du village qui fait les tris. Il s’enferme avec les blancs. Lui, il a fait cinq fois la demande et il n’a jamais rien eu ! »’

Certains nouveaux venus se plaignent de ne plus pouvoir parvenir à trouver (et devoir acheter, car il n’y a plus d’attribution gratuite aux lépreux) de parcelles pour habiter.

Dans les villages de reclassement, les relations sociales se nouent au travers des liens étroits entre voisins et autour de l’appartenance à une association. La vie associative est multiple et s’étend de la base villageoise ou ethnique à la dimension professionnelle, sportive ou culturelle. Les « tontines » se développent sur une base de partage financier. Si certaines associations ont une finalité d’entraide, elles sont surtout des moyens de cristallisation des relations amicales.