L’exclusion sociale78 est une « catégorie » qui est de plus en plus présente dans les situations de lèpre sociale et elle pose la question fondamentale du respect des droits de l’homme. Dans ce sens, il s’agit de penser l’exclusion sociale comme une réalité qui traverse plusieurs dimensions de l’espace social, y compris celles de l’économique, du politique, du socioculturel et qui peut, en le faisant, s’entrecroiser dans le quotidien des personnes en situation de mépris et d’injustice sociale. Une telle approche permet de penser la lèpre sociale en tenant compte de la dimension morale et éthique des politiques publiques ainsi que de la dignité humaine des acteurs.
L’hypothèse développée ici admet que la lutte pour la reconnaissance peut se constituer en tant que réponse possible à certaines manifestations de la lèpre sociale. Dans un tel cadre, nous nous interrogeons sur l’importance du concept d’exclusion sociale et de son lien avec le phénomène de la lèpre sociale. Ces précisions s’avèrent nécessaires car les causes de la lèpre sociale sont différentes selon la nature de l’exclusion sociale. Sans prétendre construire une typologie de l’exclusion sociale, nous tenons compte de l’existence des formes d’exclusion autant associées aux conditions matérielles que symboliques.
Mais, qu’entendons-nous par exclusion sociale ? L’idée, ici, n’est pas de faire l’état de la question en épuisant l’éventail des définitions du concept. Nous renvoyons aux travaux collectifs dirigés par Serge Paugam sur le sujet79. Notre but n’est pas non plus de faire un sommaire des différents usages pratiques qui lui ont été attribués dans la littérature. Il s’agit plutôt d’expliquer clairement et de rendre intelligibles les propos des personnes en situation de lèpre sociale sur la question pris en compte, c’est-à-dire les sens à partir desquels la réflexion sera développée.
Nous partons de la conviction que l’exclusion sociale et la lèpre sociale sont d’abord et avant tout des phénomènes empiriques. Et, en tant qu’objets théoriques, elles sont directement reliées à la réalité qu’elles décrivent. Comme disait Pierre Bourdieu (1989), l’importation directe de la réalité empirique dans le monde théorique ne fait que transférer vers la sociologie, les problèmes sociaux. La plupart des analyses concernant l’exclusion sociale reposent sur le constat de l’existence de l’exclusion, elles identifient les exclus et elles évaluent en même temps les politiques existantes. L'exclusion est devenue une notion familière, presque banale. Elle est aujourd'hui au cœur du discours public. Pourtant, la dégradation du marché de l'emploi, l'affaiblissement des liens sociaux et les risques de marginalisation de populations entières suscitent dans toutes les disciplines des sciences sociales des travaux d'une grande richesse, mais souvent difficilement accessibles (Serge Paugam, 1996).
Nous tentons d’entreprendre, à partir des interprétations des personnes en situation de lèpre sociale, une analyse des implications épistémologiques et méthodologiques en indiquant la nécessité de bien articuler deux ordres de problèmes : théoriques et pratiques/politiques. Sur le plan thérique, il faut se rendre à l’évidence que le concept d’exclusion sociale est largement développé. À titre d’exemples, nous prendrons les cas de Robert Castel (1991, 1998), Perret (in Donzelot, 1991) et Gauchet (in Donzelot, 1991). Deux enseignements intéressants ressortent chez les analystes, à savoir d’une part, les relations étroites que le concept d’exclusion entretient avec la question sociale ; ceci fait contrepoids aux définitions les plus courantes et qui mettent l’accent surtout sur les dimensions économiques du phénomène. D’autre part, l’importance des liens entre exclusion sociale et individualisme, ce dernier caractérisant la société moderne.
Selon Cédric Frétigné (2000), l'exclusion se présente ainsi sous le jour d'une catégorie " bonne à penser ". Il reste que le discours en termes d'exclusion est de prime abord grevé d'imprécisions sémantiques et véhicule une charge affective impropre à orienter l'analyse objective. C'est pourquoi nombre de sociologues se sont attachés à développer des alternatives conceptuelles au " paradigme de l'exclusion "
Serge Paugam (dir), Exclusion : l'état des savoirs, La découverte, 1996