Selon Eric Weil122, « l’État est l'organisation rationnelle et raisonnable (morale) de la communauté » (1996, 131). Le principe de la société moderne est la compétition et l'exploitation. Le problème qui se pose à L'État est celui de mettre en place une organisation rationnelle et durable qui permette de dépasser la contradiction entre l'accumulation des richesses d'un côté, et la formation d'une masse d'individus déshumanisés et indigentes de l'autre. C'est à l'État raisonnable fondé sur la loi (État de droit) d'harmoniser les intérêts divergents. Hegel, le premier, a posé le problème de l'Etat en ces termes et Weil le tient en cela pour le premier penseur de l'Etat moderne. En tant que telle, la politique suppose des citoyens instruits. La fin dernière de la politique est un État mondial, espace de discussion permanente englobant tous les États fédérés pour constituer une société mondiale, seul garant de la non-violence. Il n’empêche que l’antinomie entre raison et violence est irréductible. Entre le dialogue et la violence, le choix est toujours possible. La raison ne peut exclure la violence ; elle ne peut que la penser. Même le choix irrationnel et déraisonnable de la violence relève de la liberté et ne peut pas être définitivement écarté.
Depuis le milieu des années 80, l'État s'est fortement désengagé de la vie économique, c’est la « formule moins d’Etat et mieux d’Etat », notamment dans les pays du Tiers-monde et en Afrique de l’Ouest plus particulièrement. Après avoir longtemps fixé les orientations des économies nationales en étant le premier et le plus gros employeur, il est devenu plus modeste, se limitant à des fonctions régaliennes de police, de diplomatie et de régulation.
Les réformes de l’'Etat se ressentent surtout dans les domaines économique, social et de la santé. Ce sont dans les deux derniers secteurs cités qu’il s'est considérablement désengagé en Afrique. On aurait plutôt affaire aujourd'hui à ce qu'il est convenu d'appeler un Etat régulateur, un arbitre des tensions sociales nées des conséquences de son désengagement et des conflits d’intérêts dans l’Etat et la Nation.
Il n’y a plus de nationalisation, ni de planification de l’économie, c’est plutôt les privatisations et le respect strict des lois du marché. Il s’agit à présent de ce qu’Elie Chen appelle l’Etat national rationnel équitable123.
Les institutions financières internationales imposent périodiquement des dévaluations pour, affirme-t-on, une plus grande ouverture de l'économie à la concurrence mondiale, pour retrouver des coûts comparables et compétiteurs à ceux du marché, pour éliminer les effets de la course prix-salaires et pour ajuster les gains de pouvoir d'achat aux gains réels de productivité.
En Afrique de l’Ouest, les économies sont des économies de financements extérieurs basées sur l’aide publique au développement, sur l’endettement cyclique. Les Etats africains sont plongés dans le capitalisme sans leurs propres capitaux, c’est ce qui explique leurs difficultés et leur faiblesse majeure sur l’échiquier international.
La question posée aux Etats africains est, à y voir de près, une question universelle posée à tous les Etats du monde. Elle consiste à considérer que l'Etat est plus compétent que le marché pour définir le souhaitable les priorités politiques, sociales, culturelles et conomiques des Nations. L'Etat est également posé comme seul légitime, parce qu'instrument du peuple souverain. Sa vocation est de servir les peuples et les citoyens et cela importe peu au marché qui ne vise qu’un but : l’intérêt.
En Afrique, l’Etat national rationnel équitable a de fait laissé la place à un Etat faible (ou plus faible), à la fois régulateur et avocat des intérêts du marché national et international. Dans une économie mondialisée de cette manière, les marges, les exclusions, les souffrances sociales, le mépris social, voire la lèpre sociale constituent le terreau de la mal gouvernance des Etats postcoloniaux.
Philosophe hégélien, né en Allemagne, Eric Weil soutient sa thèse en 1928 avec Ernst Cassirer. Il émigre en France en 1933 pour fuir le régime nazi et est naturalisé français en 1938. Il est le fondateur, avec Georges Bataille, de la Revue Critique en 1946. Il enseigne la philosophie à l'Université de Lille de 1956 à 1968
Elie Cohen, L'Ordre économique mondial , Fayard, 2000.