Parvenir à une égalité des chances, lutter contre l’exclusion, développer une société plus inclusive : quelque soit l’accent mis par les organismes humanitaires, il s’agit d’abord et avant tout de répondre à la revendication première des personnes en situation de lèpre sociale : reconnaitre leur dignité humaine comme valeur positive première.
Le contexte socio-économique de précarisation des populations, jusqu’à la malnutrition et la famine, accentue les enjeux de la lutte contre la pauvreté liés à une meilleure justice économique. Surtout quand l’extrême pauvreté s’ajoute aux formes multiples de discriminations et au handicap. La tension entre assistancialisme et autonomisme s’accentue.
Au sein des discours des organismes humanitaires, un vocabulaire commun circule dans l'espace virtuel, avec des représentations partagées par la société civile qui alimente ces organismes. La valeur sacrée est devenue celle de l'autonomie morale et physique du sujet handicapé. Et cette valeur se diffuse également dans les organismes à tendance plutôt traditionnelle et assistancialiste, en synergie avec le mouvement des personnes handicapées.
Si la valeur - autonomie revêt un tel caractère englobant et unificateur, c’est aussi parce qu’elle permet de lutter contre toutes les formes d'assistancialisme. En effet, historiquement les pratiques visant les groupes dits vulnérables, incluant les lépreux, ont eu pour effet pervers l’asservissement et la réification des bénéficiaires de l’aide de type assistance.
Dans la perspective de l’autonomisation, toute personne (quelque soit sa différence) est considérée comme actrice et sujet de droits. Elle participe au travail des « privés de droits » au sein de la société civile, en vue de la conquête de leurs droits sociaux et juridiques, c’est-à-dire d’une « citoyenneté acquise ». Cette conquête s’accompagne de l’acquisition d’une meilleure image de soi, car développement social et développement personnel vont de pair. « Pratiquer la citoyenneté, c'est devenir un sujet existant aux yeux de la société, de l'Etat, du groupe de référence et de soi-même (Ibid. 150) ».
La pratique de la citoyenneté vise à l’inclusion, une inclusion dans tous les lieux de l’espace social, une inclusion qui permettrait à tous les membres de la société de participer à la construction du projet social, au-delà de différences collectives et individuelles. Cela s’accompagne d’un changement des représentations, avec une évolution des préjugés et du langage.
C’est par la mobilisation de tous les acteurs de la société (Etat, Pouvoirs publics, Institutions, entreprises, associations et citoyens) qu’une inclusion plus complète peut être rendue possible, favorisant la mise en œuvre des normes de la qualité de la vie pour tous.
Rappelons que c’est au Siècle des Lumières que l’individu accède au rang d’acteur principal, désigné comme titulaire des Droits énoncés par les premières Déclarations des droits de l’homme. Libéré de l’assujettissement politique et des contraintes sociétales, l’individu peut exercer sa liberté pour son propre profit ou pour celui de la société. Cette idéologie libéraliste va prendre une dimension politique, en donnant progressivement naissance à la démocratie138. Puis le libéralisme économique postule que seul l’homme livré à lui-même peut s’organiser économiquement, d’où l’idéologie de la libre entreprise, puis le bouleversement de l’histoire économique du monde avec la révolution industrielle. Le libéralisme économique a conduit au capitalisme, ancré sur la primauté des valeurs républicaines (liberté, égalité, fraternité) du libéralisme idéologique. « C’est dans ce contexte de Libertés Publiques que l’individu va pouvoir exercer sa liberté personnelle et son libre arbitre, dans le respect de l’ordre public (Ibid. 1995, 27) ».
Cette idéologie libérale – qui s’est essentiellement développée dans les pays du Nord depuis deux cents ans - vise à séparer et / ou libérer l’individu du groupe. Cette idéologie vient heurter en partie les sociétés de culture traditionnelle comme au Sénégal. L’individu appartient à un peuple. Ce terme générique désigne « une multitude d’individus vivant sur le même territoire et animés de sentiments communs, constituant une communauté sociale et culturelle (Ibid. 1995, 28). »
L’expérience des peuples se nourrit de droits : droits de l’homme, droit international, droit des peuples, etc. La question de la reconnaissance et de la protection des minorités s’y pose : droit d’ingérence, élargissement du droit international, etc. Le(s) droit(s) sont en perpétuelle évolution, y compris le droit international humanitaire (DIH)139 sur lequel s’appuient les multiples ONG.
Dans son article sur l’« Assistance humanitaire », Rony Brauman définit l’action humanitaire comme visant « à respecter la vie dans le respect de la dignité et à restaurer dans leurs capacités de choix des hommes qui en sont privés par les circonstances (2004, 114)». C’est un terme fréquemment utilisé dans les Conventions de Genève à propos des organismes qui œuvrent au nom des principes d’humanité, du droit des gens et des exigences de la conscience publique.
Le but de l’humanitaire est d’aider les gens à survivre dans des situations difficiles, non de transformer la société. Cette différenciation des objectifs s’avère parfois délicate dans la pratique, car toute intervention fait évoluer les pratiques et les structurations locales. C’est pourquoi l’humanitaire est une figure emblématique actuelle de la difficile coexistence de l’éthique et du politique.
L’action humanitaire peut devenir ambiguë : jusqu’où aller dans le devoir d’intervention ? Quel sens politique a la pitié ? Le DIH trouve rarement une application concrète dans les faits marquants de l’histoire récente des conflits. Les principes adoptés par le CICR (Comité international de la Croix Rouge)140 sont : humanité, impartialité, neutralité, indépendance, bénévolat, unité et universalité. Ils répondent à ce désir de porter secours aux victimes et d’humaniser la guerre : La barbarie se trouvez souvent au cœur des combats et l’humanité semble absente. « Entre le droit et la réalité, la distance est souvent grande et plus encore dans une situation de violence telle que la guerre souci éthique de lutter et poser les bases de l’après reste un engagement indispensable » (Ibid. 2004, 112-113).
C’est ce paradoxe que relèvent Patricia Buirette et Philippe Lagrange (Ibid. 208) : le droit humanitaire énonce des règles visant à humaniser la guerre. Or le développement des juridictions internationales pénales ne se traduit que partiellement par un renforcement du DIH. Dans ce contexte paradoxal, quel est les sens des interventions humanitaires ?
Michel Deyra souligne que l’ensemble du DIH, conventionnel ou coutumier, vise de nombreux destinataires : « les Etats, les mouvements de libération nationale, les parties dans un CANI (Conflits armés non internationaux), les individus et les organisations internationales (1998, 21) ». Michel Belanger pointe les enjeux de l’institutionnalisation du mécanisme de la dénonciation des droits de la personne humaine. Car cette institutionnalisation se heurte, en droit international public, au principe de souveraineté des Etats (1998, 116). Le concept du droit d’ingérence est discuté.
Dans Ethique et action humanitaire, Virginie Ponelle situe le dilemme qui s’est dessiné pour les acteurs de l’humanitaire : « accomplir leur mission de soin et de soulagement des souffrances au risque d’être l’instrument du politique en l’occurrence, plus tardivement, de régimes tyranniques (…) ou refuser la compromission et se condamner à l’inaction (2007, 331-339) ». Cette mission est habitée par la pitié et la compassion comme émotions de l’humanitaire. Le don devient on des objets des médias, à grand renfort de discours victimaires.
Les crises humanitaires sont devenues complexes. C’est pourquoi l’assistance humanitaire a changé. L’action humanitaire, en tant que discipline, a besoin d’être revisitée. Il s’agit d’inventer de nouvelles formes de communication, juridiques et éthiques, pour la redéfinir dans ses fondements, ses objectifs et ses méthodes, à travers une approche multidisciplinaire (Kevin Cahill, 2006).
Président de MSF (Médecins Sans Frontière) de 1982 à 1994, Rony Brauman a affronté les dilemmes de l’engagement humanitaire. Il a également tenté de proposer une véritable morale de l’action pour l’humanitaire de demain (2007). Dans Utopies sanitaires (2000), il réaffirme que la médecine est d’abord la médecine, qu’elle soit ou non humanitaire. Elle ne soigne pas des statistiques, mais des hommes. Si la pratique médicale s’inscrit dans un cadre social et culturel, elle s’exerce d’abord avec des personnes particulières. C’est pourquoi elle ne peut se réduire à une pure technique.
Reprenant les priorités posées par les « techniciens sanitaires », Rony Brauman questionne les apparentes évidences pratiques médico-sanitaires, vécues comme « naturelles ». Car ce sont des choix sociaux implicites, érigés en exigences éthiques universelles, sur lesquels elles reposent. En cela, il se réfère à Claude Lévi-Strauss (1973) qui met l’accent sur le fait que l’homme fait de son corps un produit de ses techniques et de ses représentations.
Rassemblés pour réfléchir sur les moyens d’améliorer la planète, les experts internationaux proclament l’avènement nécessaire d’un monde pur, nettoyé de toute contamination pathologique. A propos de cette nouvelle époque ouverte pour « l’évangélisation sanitaire » dont les ONG et les agences spécialisées de l’ONU allaient être « les prédicateurs et les missionnaires enthousiastes », Rony Brauman montre comment « récusant les dimensions subjectives, culturelle, sociale, des usages du corps, ils (les experts) disqualifiaient d’un trait de plume la dynamique du partage vécu entre « normal » et « pathologique (Ibid., 2000, 12 -13)».
Dans cette stratégie de soin s’incruste les stratégies commerciales : les « combattants des facteurs à risques », les firmes pharmaceutiques, etc. Les intérêts du marché de la santé sont portés, en partie, par l’action humanitaire. Cette dimension humanitaire et commerciale renvoie à ce que Pierre Rosanvallon développe autour de l’Etat hygiéniste et de la Providence (1990). La détermination des règles de justice et des normes de redistribution est fixée par l’Etat, ainsi que les normes de la solidarité et les devoirs de la société envers chaque individu. Aux antipodes de l’individu comme sujet dans un Etat de droit, l’Etat hygiéniste a pour objet la société prise comme un tout : sa finalité n’est pas de protéger l’individu, mais de produire le social.
Dans une réflexion critique sur l’humanitaire (2006), Rony Brauman porte un regard sur la médecine et la santé publique, le totalitarisme, les usages politiques de la mémoire et le statut de victimes. Il prend de la distance vis-à-vis de la tradition totalisante de la médecine hygiéniste. Ce qui l’amène à interroger les clichés sur l’homme en bonne santé. Il rejoint Georges Canguilhem qui, dans Le normal et le sensible, définit la santé comme la capacité de l’organisme à inventer sans cesse de nouvelles normes (1966).
Dans cette nouvelle pensée de l’urgence, les ONG peuvent avoir aussi une posture de résistance face à ces utopies sanitaires issues de l’Etat. Dans Les multinationales du cœur, Les ONG, la politique et le marché, Thierry Pech etMarc-Olivier Padis (2004) montrent comment les ONG œuvrent de concert à la redéfinition des stratégies d’action publique, à la recherche d’une légitimité internationale et à l’expérimentation de nouvelles régulations du capitalisme.
S’il est nécessaire d’analyser l’impact des stratégies géopolitiques sur l’humanitaire, nous rejoignons aussi la critique de Francine Saillant à propos de l’effet pervers de l’œuvre critique de l’humanitaire qui risque de « laisser dans l’ombre certains acteurs de l’humanitaire, soit les organisations indépendantes et les aidés eux-mêmes, en surchargeant certaines structures et en se concentrant sur les structures plutôt que sur les sujets » (De la responsabilité, 2006,175).
La démocratie se caractérise par des élections avec le jeu de l’alternance, la séparation des pouvoirs et le respect des droits de l’homme (Philippe Richard, 1995, 25).
Le droit international humanitaire est un ensemble de règles qui, pour des raisons humanitaires, visent à limiter les effets des conflits armés. Il protège en particulier les individus qui ne participent pas - ou ne participent plus - aux combats et il limite le choix des moyens et méthodes de guerre. Le droit international humanitaire est également appelé « droit de la guerre » et « droit des conflits armés ».
« Le CICR dispose d’un mandat reconnu en droit, reçu de la communauté internationale. Ce mandat découle de deux sources :
les Conventions de Genève, qui assignent diverses tâches au CICR – visites de prisonniers, conduite d’opérations d’assistance, regroupement de familles dispersées et autres activités humanitaires similaires – pendant les confits armés ;
ses propres Statuts, qui encouragent le CICR à mener une action similaire dans les situations de violence interne, non couvertes par les Conventions de Genève.
Les Conventions de Genève sont des instruments contraignants du droit international, applicables partout dans le monde. Les statuts du CICR sont adoptés lors d’une Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Une telle conférence se tient tous les quatre ans et réunit les États qui sont parties aux Conventions de Genève, ce qui confère aux statuts du CICR un caractère quasi-juridique (droit indicatif ou « soft law »). » www.icrc.org/fre , 16 mai 2008.