8.2.3. Les droits de l’homme et les droits des peuples dans les pays pauvres

Dans La Charte Africaine des Droits de L'Homme et des Peuples, Valère Eteka Yemet (1996) analyse l’évolution historique et juridique autour des droits de peuples et tente de les appréhender dans le contexte des pays pauvres, accablés par la précarité, l’endettement, la famine et d’autres maux.

Lors des premières inclusions du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans les pactes, certains experts pensaient déjà que ce droit faisait partie intégrante des droits de l’homme. Dans son livre l’apport de la CADHP au droit international de l’homme, René Degni-Segui souligne que l’exercice du droit des peuples permet la jouissance effective des droits de l’homme. « (…) ce n’est pas que l’exercice du droit à l’autodétermination des peuples qui permet la jouissance effective des droits de l’homme ; celui des autres droits des peuples également. La Charte africaine les proclame tous, y compris ceux de la troisième génération (1991, 174). »

Il estime que l'homme en est le centre névralgique et le lien déductible de l'interpénétration entre ces différentes notions. Car c'est sa dignité qui est recherchée. En tant que droits primaires, les droits fondamentaux sont des droits premiers. Ils préexistent à toute formation sociale et confèrent le caractère universaliste aux droits. Par conséquent, ils renvoient à une certaine éthique. Ainsi, l'usage du terme libertés publiques sied au droit positif. Les droits et facultés assurent la liberté et la dignité de la personne humaine et bénéficient de garanties institutionnelles. C’est en comparant avec le droit positif que certains juristes parlent des  droits de l'homme comme renvoyant davantage au domaine del'imaginaire.

« C’est cette conception intégrée des droits des peuples et des droits de l’homme qui distingue fondamentalement l’instrument africain des autres textes des droits de l’homme. La Charte Africaine a pour noble finalité d’instaurer une société plus harmonieuse, équilibrée, équitable et juste et, de ce fait, favoriser la reconnaissance et l’épanouissement des droits de l’homme, tant au plan national qu’international (Valère Eteka Yemet, Ibid. 188).»

Sans nier la question de l’effectivité des droits155, Valère Eteka Yemet montre qu’on ne peut parler des droits des individus de façon isolée. Il faut instaurer les conditions politiques, économiques et écologiques nécessaires à l’exercice de ces droits. Ce sont aussi les droits des individus qui s’expriment dans les droits des peuples. En effet, l’individu « appartient à une communauté sociale que l’on peut appeler peuple (Philippe Richard, 1995, 43) ».

Donnant une dimension politique au concept peuple, le droit des peuples est né autour de l’idée d’une expérience collective de soumission ou de domination. Entité difficilement définissable, l’Etat peut être déterminé à partir de ses éléments constitutifs (territoire, peuple, pouvoir politique) et de ses fonctions. Il s’incarne dans un ensemble d’institutions et a le monopole de la violence légitime. Il est inséparable du contrat social : la participation des individus - citoyens qui constituent la collectivité humaine – Cité en lui donnant existence et sens.

Dans les faits sociaux actuels, on assiste à une remise en cause progressive de l’Etat-Nation, idéologie née au siècle des lumières. Car l’inégalité fondamentale dans la répartition du revenu mondial explique toutes les autres formes d’inégalités : juridique, politique (renforcée par l’inégalité géographique, là où le fossé entre pays riches et pays pauvres ne cesse de se creuser) et socio-économique.

Spécialiste du Droit international et en particulier des droits de l’homme en Afrique, Philippe Richard questionne le principe incontesté de souveraineté des nations et émet l’idée des « Nations Unies – Providence » qui succèderaient aux « Nations Unies – Gendarme ». « Les Nations Unies doivent devenir le lieu d’un interventionnisme fiscal. C’est le prix à payer pour l’avènement de la paix et de la justice. L’égalité souveraine des nations grandes ou petites est à ce prix (Ibid. 71). »

Dans cette perspective, le développement ne serait plus un développement qualitatif tributaire de la croissance et la puissance nationale, mais un « développement qualitatif intégral de l’homme et de sa communauté (Ibid. 101) ». Le devoir de solidarité envers les autres communautés est contenu dans ce droit au développement, ce qui sous-entend une culture nouvelle de l’échange et de l’économie.

Le développement durable des pays est tributaire des guerres, et par conséquent du droit des peuples d’être libéré du fléau de la guerre grâce à une résolution pacifique des conflits et à une sécurité collective portée par une communauté internationale solidaire. Pour qu’un ordre de paix et de justice international puisse advenir, l’émergence d’un véritable état de droit universel est une condition première. Celle-ci passera par « une meilleure reconnaissance des peuples par le droit international et une meilleure représentations de ceux-ci au sein du système des Nations-Unies (Ibid. 168) ».

Pour rendre opératoire les fondements constitutifs d’un véritable droit des peuples, l’individu doit accéder au statut de sujet de droit international. C’était l’idée première de René Cassin156. C’est par le bas, par le quotidien et l’économique ; c’est par leur pouvoir de participer que les peuples récupèreront leur souveraineté. La démocratie est source de développement et la participation populaire est source de démocratie.

« L'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits (Ibid. 155) ». La loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une « protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique et de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de tout autre situation (Ibid. 49) . »

La jouissance des droits de l'homme et des libertés englobe tous les domaines : l’économique, le social, la culture, l'éducation, la santé publique, et doit être facilitée pour tous ». Proclamer cette foi dans les droits fondamentaux de l'homme, c’est reconnaitre la dignité et la valeur de la personne humaine. C’est encore affirmer l'égalité des droits des hommes et des femmes ainsi que des nations, grandes et petites.

Les Nations Unies sont considérées comme porteuses de cette posture éthique. Leurs actions sont appelées à favoriser le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion.

Un des objectifs prioritaires de la coopération économique et sociale internationale est de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les Nations des relations pacifiques et amicales. Le respect du principe de l'égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes en est le fondement. Les assises mêmes de la justice et de la paix dans le monde reposent sur ce profond attachement aux libertés fondamentales.

Les conditions du maintien de la paix sont de deux ordres : d'une part, un régime politique véritablement démocratique, d'autre part, une conception commune et un commun respect des droits de l'homme. C’est pourquoi l’appropriation personnelle des droits de l’homme par l’individu porteur de la lèpre sociale, puis la réappropriation collective des groupes lépreux peuvent favoriser des évolutions et des prises de consciences.

Les ONG se situent d’ailleurs souvent avec eux dans cette éducation à la responsabilité. Affranchies de tout pouvoir étatique (non gouvernementales), elles représentent une partie de l’opinion publique, une partie des peuples. Autonomes et libres vis-à-vis des Etats, elles correspondent aux types d’institutions en capacité éventuelle de s’opposer à la logique étatique pour faire valoir le droit des gens (jus cogens). René Cassin disait qu’elles incarnaient l’idée d’une sanction visant les Etats, tant les ONG s’investissent avec conviction dans des domaines tels que le développement, l’humanitaire, l’urgence et le développement des droits de l’homme. Elles ont trouvé leur place au sein du système onusien.

Dans la vision utopique de Philippe Richard (et les grandes utopies font bouger l’histoire), la réappropriation collective doit devenir une grande mobilisation des peules, puisque les questions sociales sont aussi transnationales. Une redéfinition du cadre d’exercice de la souveraineté populaire est nécessaire pour passer d’un ordre étatique de pouvoir à un ordre de paix et de justice internationale.

C’est alors qu’il deviendrait possible d’envisager « la création d’un mécanisme de redistribution d’une partie des richesses produites par les différents systèmes économiques » (Ibid. 174) au profit des pays en développement. On peut également imaginer une « allocation adulte handicapé » ou un revenu minimum pour les victimes de la lèpre sociale à l’échelon international ; ainsi que des microcrédits ou des aides à la création d’entreprise. Ce qui rejoint une des revendications les plus fortes des lépreux pour sortir des situations de mépris, une des formes les plus puissantes de reconnaissance sociale. C’est alors que l’Etat de droit devient une véritable démocratie, là où règne le droit.

Notes
155.

En particulier des mécanismes de leur mise en œuvre pour que les peuples africains fassent respecter leurs droits par le biais de la Commission Africaine

156.

René Samuel Cassin (1887 - 1976) a été le juriste humaniste inspirateur et le rédacteur principal de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme adoptée par l'O.N.U en 1948. Surnommé “l'homme des droits de l'homme”, il a reçu le prix Nobel de la Paix en 1968 pour son action en faveur du « respect des droits de l'homme sur le plan mondial ». Ayant transmis un véritable instrument de Paix (la DUDH) capable de soulever ou d’adoucir le fardeau d'oppression et d'injustice dans le monde, il a exhorté les individus et les nations à apprendre comment l'utiliser. Car la fraternité et la Paix seront possibles quand cette déclaration deviendra le fondement de la politique des nations.