9.1.2. La fracture postcoloniale

Les Programmes d'Ajustement Structurel (PAS) participent à la pauvreté des populations ainsi qu’à l’affaiblissement des Etats postcoloniaux d’Afrique. Ils leur sont imposés par les institutions financières de Bretton Woods (le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale) depuis les années 1990. Ils ont tragiquement affaibli les systèmes d'éducation et de santé.

Selon Hugues Puel - secrétaire général d’Economie et Humanisme - « Ces deux termes barbares (ajustement structurel) désignent dans le langage technocratique les déséquilibres qui existent dans les relations économiques internationales entre pays et qui contraignent certains d’entre eux à mener des réformes internes rigoureuses »172.

Dans l’économie libérale mondiale, quand la balance des paiements de d’un pays est déficitaire, ce dernier doit prendre des mesures pour financer ce déficit, puis tâcher de ramener la balance à l’équilibre, voire réaliser des excédents pour rembourser les dettes antérieures173. Et ceci est surtout valable pour les pays pauvres, notamment les Etats africains qui ne sont pas du tout favorisés par le système économique mondial.

Les situations des pays africains face à l’ajustement structurel174 sont très dramatiques. Car, ces derniers ont de lourds déficits de leur balance des paiements. Ils n’ont pas de réserves de change (c’est-à-dire de monnaies étrangères) suffisantes pour y faire face. Leur situation est telle qu’aucune banque internationale ne leur fait suffisamment confiance pour leur prêter. On leur applique l’adage : « les banques ne prêtent pas aux pauvres ». Les gouvernants des Etats africains postcoloniaux se tournent alors vers le Fonds Monétaire International pour être aidés à financer ce déficit. Le Fonds donne son accord à condition que le pays procède à un certain nombre de réformes. En général ces réformes tournent généralement autour des trois mesures suivantes (en totalité ou en partie et selon des modalités chaque fois différentes) :

  • Dépréciation de la monnaie nationale par rapport aux autres monnaies : cela favorise les exportations qui deviennent moins chères, mais cela enchérit les importations, ce qui les décourage. Cela est donc favorable à un rééquilibrage, voire à un futur excédent de la balance commerciale.
  • Etablissement d’un budget de l’Etat en équilibre par réduction des subventions aux produits alimentaires et aux entreprises publiques, diminution des salaires des fonctionnaires, voire licenciement de fonctionnaires pléthoriques.
  • Réforme, liquidation ou privatisation des entreprises publiques.

On le voit, les PAS procèdent à la dévaluation de la devise 175 , à la promotion des exportations au dépend des cultures vivrières, à la libéralisation du commerce, à la réduction des restrictions imposées aux investissements étrangers et à la privatisation des entreprises publiques. Les principales critiques font ressortir :

  • un manque de participation et un manque de transparence,
  • des effets pernicieux sur les pauvres et un préjudice porté aux producteurs locaux,
  • la dégradation de l'environnement et un modèle unique pour tous, ainsi qu’un échec à réaliser la croissance et le développement des pays.

Longtemps la Banque Mondiale et le FMI déclaraient qu’il s’agissait d’une « souffrance de court terme, pour un bénéfice à long terme »176 pourtant cette souffrance à court terme s’est instaurée pour des décennies en Afrique, creusant les inégalités et freinant tout processus de développement.

Mais il y a surtout en cause un ordre économique mondial qui devait procéder d’une justice générale, celle qui promeut le bien commun et le bien-être de tous. Malheureusement, les règles du jeu sont encore largement à construire : contrôle des mouvements de capitaux qui perturbent les politiques économiques et entraînent les entreprises dans des logiques financières qui les détournent des finalités humaines, amélioration des règles du commerce international, respect des droits de l’homme, etc.

En Afrique de l’Ouest, la dette conduit à penser financement et entreprenariat simultanément, pour satisfaire les besoins de toute la population. Le micro-crédit (banque des pauvres) y a fait son apparition. Les femmes sont à l’avant-garde, elles sont le moteur de l'économie solidaire parce qu'elles lient survie quotidienne et création d'activités. De fait, l’'économie solidaire a des retombées financières économiques et sociales, elle permet d'équilibrer et d'harmoniser la famille »177.

Ainsi, les prêts octroyés aux femmes servent à beaucoup plus de choses qu'à l'activité économique en tant que telle. Ils permettent l'accès aux soins, à l'éducation et aux nombreuses cérémonies familiales (mariages, baptêmes, funérailles, dahiras ou associations religieuses, etc.). Il s'agit en fait d'une « économie de vie ».

En 1990 au Sénégal, naissent les Coopératives d'épargne et de crédit, outils autogérés, dont les critères d'organisation et de fonctionnement sont basés « sur des garanties culturelles (solidarité, entraide, démocratie, équité), la collecte de l'épargne, l'octroi des crédits, l'éducation et la formation des membres ». Même si elles occupent 90% du secteur dit informel, ces entrepreneures sénégalaises organisées en GIE (Groupement d'intérêt économique) ont appris à mieux gérer leur porte-monnaie, car l'argent collecté retourne au groupement économique auquel elles sont rattachées.

La structuration forte de ce réseau tente d'inverser la logique imposée par la dette, de développer des solutions à long terme, d'étendre les débouchés à l'international tant au niveau des produits que des savoir-faire. Des réseaux de solidarité se créent entre le Nord et le Sud ou entre le Sud et le Sud. On assiste à ce qu’on pourrait appeler un « droit à l'initiative économique collective » pour ces femmes ! Une manière de promouvoir une véritable démocratie économique.

La fracture postcoloniale ne se soude pas pour autant, il s’y ajoute la « françafrique ». L'ancien président de la Côte d’Ivoire Félix Houphouët-Boigny inventa l'expression France-Afrique en 1955 pour définir les bonnes relations qu’il voulait établir avec la France. L'expression dérivée « Françafrique » a ensuite été forgée par François-Xavier Verschave 178. L'auteur décrit alors la Françafrique comme « une nébuleuse d’acteurs économiques, politiques et militaires, en France et en Afrique , organisée en réseaux et lobbies, et polarisé sur l’accaparement de deux rentes : les matières premières et l’ Aide publique au développement . La logique de cette ponction est d’interdire l’initiative hors du cercle des initiés. Le système autodégradant se recycle dans la criminalisation. Il est naturellement hostile à la démocratie »179.

Pour n’en donner qu’un aperçu, nous citons le financement occulte des partis politiques français par l’argent du contribuable français via l’aide publique au développement (APD) accordée aux pays africains et qui revient par des chemins sinueux en Métropole :

‘« Tout le monde sait que les partis politiques sont financés par des détournements de trafics via l’Afrique. L’Afrique sert à blanchir l’argent des partis politiques. C’est scandaleux parce que, en pervertissant les élites, on fiche en l’air le développement de l’Afrique. Je maintiens que la transparence des circulations de l’argent est un minimum. Le Président y est totalement et farouchement opposé »180. ’

Mais l’APD181 ne constitue que la partie visible (ou visibilisé) de l’iceberg françafricain, dont les déclinaisons sont nombreuses et variées.

Notes
172.

La lettre de l’Antenne Sociale - Numéro spécial G7 - mai 1996

173.

Quand un pays a des réserves monétaires, il finance aisément son déficit. Quand il n’en a pas, il doit s’endetter auprès d’autres pays, de banques internationales ou d’organismes internationaux. Si sa situation économique est telle qu’elle n’inspire confiance à aucun prêteur, le pays devra gagner cette confiance en lui promettant de réaliser de profondes réformes de son économie interne.

174.

 « Pourquoi structurel ? Le mot structure est un mot-valise qui ne signifie rien de précis. Il est employé quand la pensée est vide, confuse ou manipulatoire. Généralement il cherche à désigner une situation qui n’est pas seulement accidentelle mais durable ou un problème qui n’est pas superficiel mais profond, ce qui est très vague. Par exemple quand on parle d’un chômage structurel on ne sait pas s’il s’agit du chômage prolongé de certaines couches de la population, de la différence entre les demandes et les offres d’emploi, d’un chômage causé par le changement technique ou d’un échec des politiques d’emploi, soit quatre phénomènes complètement différents. Il en va de même pour l’ajustement structurel. On ne sait pas quelles sont les causes du déficit de la balance des paiements, quelles sont les réformes que doit mener le pays ni quelles sont les catégories sociales qui vont en faire les frais et celles qui vont en bénéficier » Hugues Puel, in La lettre de l’Antenne Sociale - Numéro spécial G7 - mai 1996.

175.

L’Afrique de l’Ouest a connu une dévaluation terrible en 1994 : le franc CFA a été dévalué de moitié dans sa parité avec le franc français.

177.

Selon Aminata Diongue Ndiaye, coordinatrice régionale des actions féminines de Dakar, http://www.penelopes.org/xarticle.php3?id_article=1750

178.

Fondateur de l’association Survie, qu’il présidait depuis 1995, et auteur, entre autres, de La françafrique, le plus long scandale de la République et de Noir Silence, François-Xavier Verschave est décédé le 29 juin 2005.

179.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7afrique_(livre)

180.

Celui qui parle en ces termes, c’est Erik Orsenna, écrivain et diplomate, en septembre 1993. Le Président en question, c’est François Mitterrand, auquel Orsenna servit pendant un temps de « porte-plume ». http://www.acontresens.com/livres/24.html (18 avril 2008).

181.

Les mots sont sans équivoque, et dénoncent à mots à peine couverts cette farce que constitue l’APD. Le fonctionnement est, en quelques mots, le suivant : Un chef d’Etat africain va se tourner vers Paris pour faire une demande d’aide financière, laquelle va être, dès l’arrivée dans le pays demandeur, immédiatement expédiée vers Genève (ou toute autre place financière), puis repartagée avec le décideur parisien après conversion et reconversion. Tout cela de façon parfaitement planifiée et maîtrisée… On constatera la prolifération de demandes en périodes de campagne électorale française. Implacable, non ? http://www.acontresens.com/livres/24.html (18 avril 2008).