Circulaire présidentielle n° 194 PR-SG-JUR en date du 28 décembre 1967 relative au placement d’office des lépreux délinquants ou réfractaires au traitement

Le Président de la République,

à

Messieurs Les Ministres ;

Messieurs Les Gouverneurs ;

Messieurs Les Préfets ;

Messieurs Les Médecins-Chefs de Région médicale, (pour action) ;

Messieurs les Présidents et Procureurs de la République des Tribunaux de Première Instance (pour

information).

La présence dans les rues de Dakar et des grandes villes du Sénégal de lépreux qui importunent les passants a été maintes fois dénoncée comme une atteinte grave au prestige de notre pays et une entrave au tourisme. Après plusieurs réunions interministérielles, un village de lépreux interrégional réservé aux malades délinquants ou réfractaires au traitement vient d’être aménagé dans l’ancien camp pénal de Koutal, près de Kaolack.

Le texte applicable est la loi n° 65-27 du 4 mars 1965 (articles 4, 5 et 6) qui permet le placement d’office dans les quartiers de villages de lépreux soumis à une surveillance spéciale des malades “délinquants ou réfractaires au traitement”. La mendicité et le vagabondage constituant des délits (articles 241 et 245 du Code pénal), ce texte est applicable aux lépreux mendiants ou vagabonds, pourvu qu’ils aient été condamnés. Il appartient donc aux autorités de police, lorsqu’elles appréhendent un lépreux se livrant à la mendicité ou au vagabondage, de transmettre le procès verbal : — Au Parquet qui placera dans tous les cas l’intéressé sous mandat de dépôt et engagera les poursuites ;

— Au Médecin-Chef du secteur des Grandes Endémies ou au médecin qui en assure les fonctions (pour Dakar, le médecin-chef du service d’hygiène), qui préparera la requête au Président du

Tribunal de première instance prévue par l’article 5 de la loi en vue du placement du malade et transmettra cette requête au Parquet.

Dès que la condamnation pénale sera prononcée, le Parquet demandera au Président du Tribunal de rendre l’ordonnance de placement, et le condamné sera immédiatement conduit au quartier de surveillance installé dans l’ancien camp pénal de Koutal.

Conformément au dernier alinéa de l’article 5 de la loi, le temps de présence dans ce quartier vaut en effet exécution de la peine privative de liberté éventuellement prononcée par le Tribunal. La loi ne limite pas la durée du séjour du lépreux délinquant ou réfractaire au traitement dans le quartier de surveillance ; cette durée peut donc dépasser sensiblement celle de la peine prononcée, et l’admission d’office peut et doit être prononcée même si le délinquant n’est condamné qu’à une peine d’amende ou assortie du sursis. Il ne s’agit pas en effet d’une peine, mais d’une mesure de prophylaxie médicale et sociale. Il en résulte que si une surveillance doit être exercée pour empêcher les malades de quitter Koutal (car l’expérience a montré que sans cette surveillance, ils rentrent immédiatement à Dakar et reprennent leurs activités), il ne s’aurait être question d’un régime pénitentiaire, et que le maximum de liberté doit leur être laissé. Ils pourront recevoir des visites librement, se déplacer à l’intérieur du camp, se livrer à tous travaux compatibles avec leur situation. Le médecin-chef du secteur des Grandes endémies compétent (actuellement Mbour) pourra leur accorder des permissions d’absence pour raisons valables dans la limite de huit jours.

Il pourra être mis fin à leur placement par décision du Médecin-Chef du secteur des Grandes endémies. Cette mesure interviendra si le malade n’est plus contagieux, donne des signes d’amendement et s’engage à ne plus se livrer à la mendicité. Il pourra alors se retirer soit dans un village de lépreux non soumis au régime spécial de surveillance, soit dans sa famille.

Pendant leur séjour à Koutal, les malades placés d’office percevront une ration alimentaire à la charge du service des Grandes endémies ; toutefois, pendant la durée de l’exécution de la peine privative de liberté prononcée, cette ration sera remboursée au Ministère de la Santé par le Ministère de l’Intérieur selon des modalités à définir d’accord entre ces deux départements.

La présente circulaire vise le cas des lépreux appréhendés pour mendicité ou vagabondage ; il va de soi que les mêmes dispositions sont applicables s’ils se sont rendus coupables de tout autre crime ou délits, ou s’ils sont réfractaires au traitement. Dans ce dernier cas, cependant, il n’y a pas lieu à condamnation, et la procédure est déclenchée par la requête du médecin-chef. L’attention des autorités destinataires est appelée sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une mesure strictement médicale, mais médico-sociale ; il n’est nullement nécessaire que le malade soit contagieux pour faire l’objet

d’un placement d’office, et il n’est pas suffisant qu’il cesse de l’être pour qu’il soit mis fin au placement. Le danger social qu’il représente doit être avant tout pris en considération.

La présente circulaire est consacrée principalement au cas de Dakar, qui préoccupe particulièrement le Gouvernement. Il va de soi cependant que les mêmes dispositions sont applicables mutatis-mutandis, aux lépreux sur l’ensemble du territoire. Il est toutefois précisé que le centre de Koutal est destiné en priorité aux lépreux délinquants appréhendés à Dakar, pour lesquels il y a lieu de prévoir en permanence au moins 25 places.

J’appelle tout particulièrement l’attention des magistrats, médecins, membres des forces de police et militaires de la Gendarmerie intéressés sur la nécessité de donner tous leurs soins à l’application des mesures ci-dessus définies. Les textes les meilleurs ne servent à rien s’ils ne sont pas

appliqués.

Il ne s’agit pas de maltraiter des frères déshérités ; le Gouvernement ne ménagera pas ses efforts pour que les aliénés et les lépreux bénéficient d’un traitement humain et décent. Mais il n’est plus possible de continuer à les tolérer sur les trottoirs de nos grandes villes. J’attends donc la plus grande diligence de la part des membres des forces de l’ordre, et la plus grande fermeté de la part des autorités administratives et judiciaires pour que cette question soit résolue.

Dakar, le 28 décembre 1967

Léopold Sédar Senghor

JORS, 29-4-1968, 3958 : 509-510