B – Langue et religion : ciment de la communauté ?

a) Identité et foi protestante en Ecosse

La Réforme en Ecosse fut le fruit de trois facteurs déterminants : les relations de pouvoir entre royaumes européens, la corruption de l’Eglise catholique et l’influence des courants réformateurs venus du Continent. C’est en effet ce triangle d’influences qui firent de l’Ecosse « le modèle du monde puritain »43. Le règne de Marie Stuart y est central car cette fervente catholique, n’ayant jamais compris la force du mouvement réformateur qui s’était emparé de l’Ecosse, s’obstina à vouloir imposer sa religion ainsi qu’à s’allier à une France catholique provoquant de plus belle une poussée réformatrice et la méfiance des Anglais. Le 24 avril 1558, lorsqu’elle épousa le Dauphin de France, Marie Stuart signa trois documents qui léguaient à la France le royaume d’Ecosse dans l’éventualité où elle décéderait sans héritier. L’Ecosse se retrouvait désormais menacée d’être annexée par la France catholique. La Réforme put dès lors peser comme contrepoids à ces influences politiques et put être interprétée comme un mouvement patriotique visant à libérer l’Ecosse de l’étau français. Nous verrons dès lors en quoi la Réforme et la foi protestante en Ecosse réveilleront une nouvelle conscience nationale et formeront le noyau dur de la future nation écossaise.

Loin de toutes ces considérations politiques, la Réforme fut également favorisée par la corruption de l’Eglise catholique du XVIe siècle. La richesse ostentatoire de ses membres haut-placés, en contraste avec la pauvreté du bas-clergé et la médiocrité conséquente des services rendus, laissait entrevoir un triste gâchis. Car l’Eglise écossaise était très riche et ses revenus annuels à la veille de la Réforme dépassaient les £300 000, la moitié de la richesse nationale et une somme phénoménale pour l’époque, surtout si l’on considère que les revenus annuels de la Couronne ne s’élevaient qu’à £17 500. Les excès du clergé laissaient donc un terrain propice à la réception d’idées nouvelles venues du Continent, d’autant plus que leur propagation en était facilitée par un système d’éducation écossais très développé.

Néanmoins, la raison qui poussa l’Ecosse vers la Réforme fut triple et extérieure au pays. Il y eut tout d’abord l’influence des Lollards en Angleterre, puis de Luther en Allemagne et aux Pays-Bas, et enfin une réforme plus radicale au sud de l’Allemagne et en Suisse. Plusieurs personnalités prirent part à ce grand mouvement de réforme avec notamment les idées de John Wycliffe (c.1330-1384) et du tchèque Jan Hus (1372-1415), reprises par Luther (1483-1546), ainsi que par Patrick Hamilton (1504-1528), le premier martyre protestant, et son héritier spirituel Georges Wishart (1513-1546).

Les doctrines principales importées du Continent furent celles de la justification par la grâce et par la foi uniquement, le sacerdoce universel et, enfin, la suprématie des Ecritures Saintes en matière de foi que Georges Wishart, revenu d’un exil en Suisse en 1544, diffusa dans les Basses-Terres écossaises avant de le payer de sa vie. Or, les deux premières doctrines défiaient les traditions catholiques sur l’autorité et la hiérarchie, car si tout croyant peut avoir la vocation d’être prêtre et s’il n’existe aucun intermédiaire entre Dieu et lui-même alors la vocation ecclésiastique n’est pas plus noble qu’une autre et n’a droit à aucun privilège. Enfin, ce précepte implique qu’aucune église ne peut monopoliser la médiation de la grâce de Dieu.

Les implications théologiques de ces doctrines jouèrent très certainement dans le refus de l’Ecosse protestante de se voir imposer l’épiscopat et de son choix en faveur d’une organisation ecclésiastique presbytérienne dont les deux traits principaux sont, par définition, le refus de l’épiscopat et la participation des laïques au gouvernement de l’Eglise. Cela correspond aux théories calvinistes sur l’organisation ecclésiastique selon lesquelles l’Eglise est une communauté dont tous les membres sont égaux et à la tête de laquelle se trouve le Christ. Cette organisation est aussi nationale et il ne fait aucun doute qu’elle put canaliser une conscience nationale croissante car elle aspire à une hiérarchie centralisatrice destinée à établir une juridiction commune sur toutes les Eglises d’une même nation, acceptant la même confession de foi. Enfin, la Réforme, grâce à son utilisation de l’anglais et au développement parallèle de l’imprimerie, contribua au développement des consciences nationales en créant des zones (les Basses-Terres en Ecosse) où correspondaient langue de communication et religion. L’imprimerie permit un développement plus rapide et plus large du protestantisme et en encourageant à son tour le développement de l’éducation, ce dernier put s’immiscer à tous les niveaux de la vie culturelle du pays, contribuant à la formation d’une identité nationale.

Bien que les écrits de Luther aient pénétré en Ecosse dès 1525, le véritable coup de départ de la Réforme en Ecosse fut donné par l’exécution pour hérésie de Georges Wishart en 1546 par le cardinal Beaton. Cet acte finit d’exaspérer la population écossaise des Basses-Terres, favorable au protestantisme : le cardinal fut assassiné par des protestants trois mois plus tard tandis que commençait une longue lutte entre les réformateurs, soutenus par le peuple et la noblesse, et l’Eglise que défendait la Couronne. C’est dans ce climat instable que s’imposa le père de la Réforme écossaise, John Knox, un disciple de Wishart. Il donna forme au protestantisme écossais de deux façons : la première, politique, en étant l’instigateur des Lords of the Congregation, une ligue protestante puissante composée de membres de la noblesse et qui sera à l’origine de l’interdiction de la foi catholique par le Parlement en 1560 ; et la deuxième, théologique, en nourrissant le protestantisme écossais de ses propres écrits avec, notamment, sa Confession de Foi Ecossaise (Confessio Scotica), reproduisant les principales doctrines de l’Institution Chrétienne de Calvin et qui fut adoptée officiellement par le Parlement écossais le 1er août 1560, et le Livre de Discipline traitant des questions relatives à l’organisation des congrégations individuelles. Il est important de noter que la Confession de Foi qu’écrivit Knox et qui servit de base théologique pour l’Eglise écossaise était significativement nommée écossaise et que Knox lui-même s’imposait comme une figure s’exprimant au nom de l’Ecosse (bien qu’il ait très certainement dû ignorer pour ce faire les nombreux catholiques des Hautes-Terres) donnant ainsi à ses convictions religieuses une dimension nationale.

Il convient d’ajouter qu’en 1557, la dimension nationale que prenait la religion réformée en Ecosse fut d’autant plus visible qu’elle prit une tournure très officielle lorsque nobles et propriétaires terriens se lièrent en décembre par un premier Covenant (Contrat) proclamant la liberté de religion en Ecosse :

‘« Undergirding this relationship was the idea of the covenant between God and the nation. The national Covenant of 1638 and the Solemn League and Covenant of 1643 electrified the relationship between local communities and the nation as they entered into a compact with God to defend their church, their king and the godly nation itself »44. ’

Ce Covenant fut renouvelé quatre fois et permit l’union des protestants pendant la crise de 1559-1560 les opposant à la Couronne et à son allié catholique français. Les Covenants permirent à terme l’obtention d’un plus grand contrôle du pouvoir par les protestants.

Comme le fait remarquer William Ferguson, la Réforme en Ecosse vit le jour grâce au succès d’un acte de rébellion contre l’Etat et cela lui conféra la forte impulsion radicale qui fut absente de la Réforme anglaise où l’Etat décida de sa propre rupture avec Rome. La religion aurait donc eu à partir de ce moment là une valeur politique bien plus importante que les autres institutions écossaises, et l’on peut aisément imaginer que la sauvegarde d’un Parlement lors de l’Union de 1707 ne faisait pas le poids contre celle du presbytérianisme, du droit et du système d’éducation écossais. Le presbytérianisme vint à prendre une dimension nationale par sa représentation du système de valeurs, de lois, de culture et de traditions écossaises (toujours dans la partie des Basses-Terres) et à se superposer à l’identité de l’Ecosse.

‘« [Scots] regarded the standards of presbyterianism as being throughout all history integral to Scottish national identity. Any other view was felt to be erroneous, and, to a degree un-Scottish »45. ’

Nous verrons que le protestantisme aura un impact similaire au pays de Galles où il aura la particularité de s’associer avec un autre trait culturel : la langue.

Notes
43.

43 Roland Marx, Ecosse, Encyclopædia Universalis , Corpus 7, Paris, 1996, p. 901

44.

Keith M. Brown dans Bradshaw & Roberts, op. cit. p. 250 « L’idée d’un contrat entre Dieu et la nation sous-tendait cette relation. Le National Covenant de 1638 et le Solemn League and Covenant de 1643 dynamisaient la relation entre les communautés locales et la nation tandis qu’elles signaient un accord avec Dieu pour défendre leur église, leur roi et la sainte nation même »

45.

45 Ferguson, op. cit. p. 292 « considéraient que les critères du presbytérianisme étaient restés fondamentaux à l’identité nationale écossaise à travers toute l’histoire. Toute autre opinion était jugée erronée et, dans une certaine mesure, non-écossaise »