2 – La théorie moderniste

Si le primordialisme accepte les principes fondamentaux de la théorie nationaliste, le modernisme est au contraire une réaction contre celle-ci. Cette réaction est survenue dans les années soixante lors du mouvement de décolonisation en Asie et en Afrique, et la théorie moderniste classique qui en découle est rapidement devenue le mode de pensée dominant dans ce champ d’étude. En fait, il s’agit d’un cadre assez vague puisqu’il existe peu d’homogénéité entre les différents courants modernistes. Cependant, ils ont deux dénominateurs communs : le premier est la question de la modernité des nations, et le deuxième celui de leur construction.

La théorie moderniste suit donc le principe selon lequel les nations n’existaient pas en tant que telles dans les époques pré-modernes : elles ne sont pas naturelles, mais le fruit d’une communauté ethnique ou linguistique. Les nations seraient apparues à partir du XVIIIe siècle et de la Révolution Française, soit parce qu’elles ont été construites ou imaginées selon Gellner ou Anderson, soit parce qu’elles réagirent aux conséquences néfastes de phénomènes modernes selon Nairn. Elles seraient le fruit du capitalisme et de l’industrialisation, de l’urbanisation et de l’exode rural, d’une sécularisation grandissante et de l’émergence d’un Etat bureaucratique. Les nations sont donc des entités modernes qui n’avaient pas leur place dans le passé comme l’explique Gellner :

‘« The huge cultural and social gulf between the tiny elites and the peasant masses meant that there was no possibility or incentive to forge mass nations and, in these circumstances, nationalism could have no resonance »78.’

En suivant le modèle d’Özkirimli nous distinguerons à notre tour trois facteurs clés parmi les théories modernistes : le facteur économique, le facteur politique et enfin le facteur social et culturel. Même s’il est vrai que tous ces facteurs rentrent en compte dans les diverses théories que nous étudierons, il semble que l’un d’entre eux soit souvent privilégié. C’est pourquoi ces théories sont parfois accusées de réductionnisme.

Notes
78.

Gellner , op. cit. p. 77 « L’immense gouffre social et culturel qui séparait les petites élites des masses paysannes signifie qu’il n’y avait ni la possibilité ni la motivation pour créer les nations, et qu’en de telles circonstances le nationalisme ne pouvait avoir aucun effet »