Chapitre II La politique de la dévolution : opportunités et opportunismes

Les nombreux débats engendrés par la question de l’autonomie des nations britanniques, à savoir le Home Rule puis la dévolution, ont toujours reflété un certain questionnement sur la nature de l’Etat britannique. En effet, deux conceptions de l’Etat britannique s’opposent dans ces débats : Etat unitaire ou Etat d’union ? Si la définition de l’Etat britannique en tant qu’Etat unitaire a prévalu depuis les Actes d’Union formant le Royaume-Uni, et tout particulièrement depuis la création de « l’Etat-providence » au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, c’est sans doute par l’occultation délibérée d’institutions nationales propres et d’un certain degré d’autonomie chez ses nations périphériques. La définition de l’Etat britannique en tant qu’Etat unitaire est juste dans le sens où l’Etat britannique avait, avant la mise en place de la dévolution, un Parlement unique et souverain. Cependant, c’est sans tenir compte du fait que ce Parlement unique est né de la fusion des institutions politiques du pays de Galles en 1536, de l’Ecosse en 1707 et de l’Irlande en 1801. Enfin, les nations qui composent le Royaume-Uni ont préservé des institutions distinctes après leur union ainsi, parfois, qu’un certain degré d’autonomie.

En parallèle, la notion de souveraineté est au cœur du débat sur la dévolution puisque la question de l’autonomie oppose les concepts de souveraineté parlementaire, à la base de la Constitution, et de souveraineté populaire, principe du droit constitutionnel écossais évoqué à plusieurs reprises lors des Covenant s religieux des XVIe et XVIIe siècles ou des demandes autonomistes du XXe siècle, par exemple. Dans le cas de l’Ecosse, nous avons vu que seul le pouvoir politique fut transféré vers le Parlement britannique tandis que les institutions fondamentales de l’Eglise, de l’éducation et, notamment, de l’autorité juridique étaient préservées dans un traité d’Union. Cela permettait dès lors à l’Ecosse de jouir d’une certaine souveraineté quant à ses affaires propres.

‘« Britain’s peculiarity derives from the fact that the state was formed in the ‘pre-modern’ period – 1707 – and in such a way that a unitary state political system lay alongside distinctive civil societies which were largely autonomous and self-governing»83. ’

C’est parce qu’elle met en lumière ce paradoxe que la dévolution implique une redéfinition de l’Etat britannique comme Etat d’union plutôt qu’Etat unitaire. Or, nous verrons qu’il s’agit là de l’obstacle majeur sur lequel butèrent les principaux partis politiques britanniques, depuis les projets de Home Rule présentés par le gouvernement Gladstone au XIXe siècle jusqu’au projet de dévolution commandé par le New Labour de Tony Blair. L’étude des attitudes des différents partis politiques vis-à-vis de la dévolution sera l’occasion de définir à la fois les principales difficultés que présentent les mesures d’autonomie en Grande-Bretagne et les motivations des partis politiques dans leur soutien – ou non – à de tels projets.

Notes
83.

McCrone, op. cit. p. 99 « La particularité de la Grande-Bretagne provient du fait que l’Etat fut formé lors de la période ‘pré-moderne’ (1707) et de telle façon qu’un système politique unitaire était doublé de sociétés civiles distinctes jouissant d’une autonomie considérable et de leur propre gouvernement »