I – Gladstone, le Home Rule et les libéraux : un projet de longue haleine

Créé en 1988 à partir de la fusion des partis libéral et social-démocrate, le parti libéral-démocrate est aujourd’hui le seul parti politique à s’être prononcé de façon constante en faveur de mesures de dévolution. Ce fut le cas tout particulièrement en Ecosse où il est le seul parti à jouir d’une certaine autonomie vis-à-vis de son homologue britannique, comme en témoignent ses conventions bi-annuelles écossaises tenues séparément des conventions britanniques. Détenteur du contrôle de sa propre organisation, de ses finances, de son règlement et surtout de son propre pouvoir décisionnel, le parti libéral-démocrate écossais a donc pu s’engager plus aisément dans les projets de la Convention constitutionnelle écossaise et jouir, par conséquent, d’une influence proportionnellement plus importante que son poids électoral, comme nous le verrons par la suite.

Le parti libéral fut le seul parti politique à défendre systématiquement l’idée d’assemblées législatives propres en Ecosse et au pays de Galles à partir de 1950, avant de passer le flambeau de la dévolution au parti libéral-démocrate en 1988. Mais la relation entre idées autonomistes et parti libéral remonte bien avant, historiquement, puisque le XIXe siècle vit les premières propositions de Home Rule chez les libéraux. En effet, en 1886, le Premier ministre libéral, William Gladstone, se déclara en faveur de mesures de Home Rule en Irlande qui représentaient à ses yeux une solution possible à la crise politique irlandaise. Dans un souci d’équilibre constitutionnel, il prôna la mise en place d’institutions législatives autonomes dans l’ensemble des nations britanniques, soit un « Home Rule all round » qui permettrait d’alléger l’emploi du temps des parlementaires de Westminster en déléguant les affaires irlandaises, écossaises et galloises à leurs propres institutions. Bien que cette décision fut l’objet d’un vif débat opposant les partisans de Gladstone à des courants unionistes, le parti libéral adopta finalement le principe du Home Rule ; des motions furent déposées au Parlement en 1886, 1893, 1912 et 1919 avant d’être rejetées, pour la plupart, après une première lecture seulement.

Gladstone lui-même buta sur des difficultés fondamentales lors de l’élaboration du premier projet de Home Rule pour l’Irlande. Il s’agissait pour le Premier ministre de résoudre en priorité l’épineuse question des finances irlandaises. Il avait été décidé qu’en échange des services et bénéfices obtenus de Westminster, l’Irlande devrait apporter une contribution financière, dite Imperial Contribution. Son montant fut l’objet d’un vif débat et d’aucuns soulevèrent l’argument d’une autonomie irlandaise financée par le contribuable britannique. D’un autre côté, le Home Rule signifiait la fin de la présence parlementaire à Westminster et, de ce fait, la contribution impériale correspondait à une imposition fiscale de l’Irlande sans représentation politique, un cas de « taxation without representation » semblable à celui qui avait coûté à l’Empire britannique ses colonies américaines. D’autre part, il subsistait également des doutes quant à la suprématie réelle qu’exercerait Westminster. Il fut donc décidé d’autoriser les parlementaires irlandais à siéger à Westminster et à voter en toutes matières, mais en nombre limité. Cela souleva toutefois des réserves sur le droit des parlementaires irlandais de voter sur des questions concernant l’Angleterre, l’Ecosse ou le pays de Galles alors même que les parlementaires de ces nations n’auraient aucun droit sur les affaires internes de l’Irlande. Enfin, la présence de parlementaires irlandais à Westminster ne résolvait pas la question de la charge de travail du Parlement. Ces innombrables problèmes constitutionnels jouèrent donc un rôle important dans l’échec du projet de Home Rule et jetèrent sans doute le discrédit sur la notion même de Home Rule. Nous verrons par la suite en quoi ces questions furent précurseurs des débats qui agitèrent la politique britannique lors de l’élaboration des projets de dévolution en 1979 et 1997.

Les difficultés que rencontra le projet de Home Rule poussèrent certaines figures politiques, et notamment Joseph Chamberlain, à réfléchir aux possibilités d’un système fédéral comme alternative au Home Rule. Cette idée fut toutefois rejetée car, pour beaucoup, elle revenait à imposer à l’Angleterre une constitution dont celle-ci ne voulait pas, dans le seul but de garder l’Irlande (dont les nationalistes rejetaient par ailleurs le fédéralisme). Il s’agissait plus que tout d’une remise en question complète de l’Etat britannique et de l’acceptation de celui-ci en tant qu’Etat d’union, idée à laquelle, paradoxalement, les unionistes étaient opposés puisqu’ils considéraient que cela entraînerait un affaiblissement du gouvernement britannique sans pour autant résoudre la crise irlandaise. Pour Bogdanor84, ces épisodes démontrent qu’aucun projet de dévolution ne peut satisfaire des demandes autonomistes portées par un fort sentiment national, les projets de Home Rule tentant de résoudre un problème de souveraineté politique par des propositions d’amélioration du système de gouvernement. Nous verrons par la suite en quoi l’expérience des nouvelles arènes politiques écossaise et galloise illustre ce paradoxe et nous tâcherons pour l’heure d’identifier les motivations profondes des gouvernements dans leur octroi de mesures autonomistes à l’Ecosse et au pays de Galles. Nous étudierons, en premier lieu, les mesures d’autonomie accordées à l’Ecosse et au pays de Galles par le passé, en délimitant quelle fut la véritable portée sur leur gouvernement et leur identité nationale, avant de nous pencher sur l’attitude particulière des conservateurs vis-à-vis de la dévolution.

Notes
84.

Vernon Bogdanor, Devolution in the United Kingdom, Oxford University Press, 1999, p. 41