B – Une spécificité politique galloise à construire

Loin de jouir de la même autonomie que l’Ecosse, le pays de Galles vivait une situation bien différente. Suite à l’annexion pure et simple du pays de Galles par l’Angleterre au XVIe siècle, les institutions politiques galloises cessèrent d’exister et le pays de Galles fut traité comme une partie intégrante de l’Angleterre. Ainsi, la section 3 du Wales and Berwick Act de 1746 établissait que :

‘« in all cases where the Kingdom of England, or that part of Great-Britain called England, hath been or shall be mentioned in any Act of Parliament, the same has been and shall from henceforth be deemed and taken to comprehend and include the Dominion of Wales »91. ’

Cette loi fut appliquée jusqu’en 1967 et, comme le remarque Bogdanor, le pays de Galles fut si strictement intégré politiquement à l’Angleterre qu’au XIXe siècle Gladstone pouvait clamer :

‘« the distinction between England and Wales […] is totally unknown to our Constitution »92. ’

Contrairement à l’Ecosse, le pays de Galles n’eut donc pas le privilège de jouir d’institutions propres et d’un traitement politique distinct. Son identité nationale, comme nous l’avons vu plus haut, devait donc dépendre et se construire uniquement autour de ses traits culturels distinctifs, à savoir la langue, la religion et la culture. C’est en ce sens que les libéraux gallois du XIXe siècle jouèrent un rôle crucial dans la construction de son nationalisme puisqu’ils œuvrèrent à une reconnaissance de l’identité nationale galloise et du pays de Galles en tant que nation. Le Sunday Closing (Wales) Act de 1881, interdisant la vente de boissons alcoolisées le dimanche, fut ainsi la première étape de cette reconnaissance nationale car, pour la première fois, une décision législative fut appliquée au pays de Galles sans l’être en Angleterre. Il convient de préciser, néanmoins, que le type de « nationalisme » gallois que représentait le mouvement Cymru Fydd, fondé par une faction de libéraux comme un mouvement culturel en 1886, n’impliquait en aucun cas une séparation d’avec l’Angleterre mais au contraire que l’union était au cœur de son idéologie. L’union représentait alors le cadre idéal à l’épanouissement de l’identité nationale galloise et au succès futur de la nation. Le combat des nationalistes gallois consistait en la revendication de l’égalité des Gallois avec les Anglais et, en ce sens, le Home Rule ne représentait pas une priorité à leurs yeux.

Si les propositions de Home Rule pour l’Irlande purent causer quelques remous chez les nationalistes gallois, le projet ne s’inscrivit pas au cœur du débat national gallois car les expériences et les conditions des deux pays étaient fort différentes. Bien que l’Irlande et le pays de Galles aient partagé des problèmes agraires et un certain ressentiment envers leurs voisins anglais, le pays de Galles ne souffrit ni de catastrophes semblables à la famine irlandaise et à l’émigration massive qui s’ensuivit, ni des effets néfastes d’une classe de propriétaires terriens anglais et absents. En outre, la question religieuse se posait avec beaucoup moins d’acuité. Comme le rappelle Bogdanor :

‘« Wales, unlike Ireland, had not been a colony of settlement, nor had it been ‘planted’ with those of an alien religion »93. ’

Les effets de la démocratisation au pays de Galles se firent sentir plus intensément qu’en Irlande, et le succès des libéraux au XIXe siècle assura que les réformes au pays de Galles pouvaient se faire sans nécessairement avoir recours au Home Rule. Ce projet était donc l’objet de plus de discordes chez les Gallois que d’unité nationale. En effet, la difficile représentation égalitaire des diverses régions galloises était un point de contentieux important, comme l’avait illustré auparavant la décision d’alterner annuellement le lieu d’accueil de l’Eistedfodd, tantôt au nord, tantôt au sud du pays de Galles. Cette unité dépendait donc plus du non-conformisme et du libéralisme que d’institutions nationales singulières. En parallèle, l’avènement de l’industrialisation au pays de Galles l’intégra économiquement plus solidement encore à l’Angleterre. Les conflits sociaux du XXe siècle firent en outre émerger une toute autre forme d’affirmation identitaire galloise avec la vague socialiste, prônant la défense des intérêts économiques gallois et la redistribution dans un cadre britannique, voire international. C’est pourquoi l’éclatement du mouvement Cymru Fydd en 1896 signala le début d’une longue période d’hibernation pour les revendications autonomistes galloises, reprises plus tard par Plaid Cymru.

Toutefois, le nationalisme libéral du XIXe siècle et le travail de Cymru Fydd laissèrent un héritage important au pays de Galles : l’évolution de la décentralisation administrative constitua l’embryon de structures politiques plus autonomes au XXe siècle. Outre la reconnaissance nationale du pays de Galles et l’octroi d’un certain statut à son élite, grâce à la création de multiples institutions nationales telles que l’université du pays de Galles (University of Wales), la Bibliothèque nationale galloise ou encore le Musée national gallois, les libéraux obtinrent des réformes concrètes, notamment en matière d’éducation. Ainsi, une série de mesures décentralisatrices répondit au choc identitaire qu’avait causé la « trahison des livres bleus ». Le premier institut de formation des maîtres fut ouvert à Brecon en 1846 et donna naissance par la suite à des centaines de nouvelles écoles au pays de Galles ; en 1891, le Welsh Intermediate Education Act autorisa les comtés à lever des impôts pour le financement d’écoles secondaires ; en 1896, un Central Welsh Board of Education fut créé pour l’organisation et l’inspection des écoles et des examens ; enfin, en 1907 la création du Welsh Development Board of Education assura le contrôle gallois de son système d’éducation jusqu’au niveau universitaire. L’agriculture fut également un domaine qui subit diverses réformes avec les créations du Welsh Department of the Ministry of Agriculture et d’un Welsh Board of Health en 1919. Toutefois, la dépression économique et l’idéologie socialiste centralisatrice dominante des années 1920 et 1930 mirent un frein à la décentralisation administrative au pays de Galles. Bien que le Parlement ait été pétitionné pour la création d’un poste de ministre des Affaires galloises à plusieurs reprises (1921, 1928, 1930 et 1937), il fallut attendre la Seconde Guerre mondiale pour voir de nouveaux bouleversements dans la politique galloise.

Notes
91.

Bogdanor , Devolution in the United Kingdom , op. cit. p. 144 « dans tous les cas où le royaume d’Angleterre, ou la partie de la Grande-Bretagne nommée Angleterre, est ou sera mentionnée dans tout acte de Parlement, la même chose est ou sera appliquée au dominion gallois qu’il comprend »

92.

Ibid. « la distinction entre le pays de Galles et l’Angleterre est totalement inconnue à notre Constitution »

93.

Bogdanor , Devolution in the United Kingdom , op. cit. p. 147 « le pays de Galles, contrairement à l’Irlande, n’était pas une colonie et n’avait pas été ‘introduite’ par des colons d’une autre religion »