2 – Les constructions politiques écossaise et galloise au XXe siècle

A – La dévolution administrative galloise : embryon de la dévolution

Les remaniements gouvernementaux durant la Seconde Guerre mondiale exigèrent de nouvelles mesures de décentralisation vers le pays de Galles, si bien qu’à la fin de la guerre quinze départements gouvernementaux avaient établi des bureaux au pays de Galles et dix-sept en 1950. La fin de la guerre vit également des efforts d’amélioration de la liaison entre les différents départements et l’élargissement du rôle des conseils. En 1949 fut créé un Council for Wales and Monmouthshire composé de représentants des collectivités locales, des industries ou encore d’autres secteurs d’activité. Ce n’est qu’en 1951 que fut également acceptée le principe d’un poste de ministre des Affaires galloises lorsque Winston Churchill nomma Sir David Maxwell-Fyfe Minister for Welsh Affairs en conjonction avec son poste de Home Secretary. A l’origine, le poste était rattaché au ministère de l’Intérieur (Home Office) et ce n’est qu’en 1957 qu’Harold MacMillan nomma un ministre des Affaires galloises. Nommé à temps plein, il était néanmoins censé collaborer étroitement avec le ministre du Logement et du gouvernement local (Minister for Housing and Local Government). En revanche, MacMillan refusa catégoriquement d’accorder un poste de secrétaire d’Etat pour le pays de Galles (Secretary of State for Wales) face aux pressions qu’exerçait la Parliament for Wales Campaign, dont la pétition, entre 1950 et 1956, rassembla plus de 240 000 signatures. En mars 1955, S.O. Davies, député travailliste pour Merthyr, avait présenté dans ce but un Private Member’s Bill aux Communes. Or, celui-ci fut rejeté par soixante-quatre voix contre seize. Seuls six des trente-six députés gallois avaient approuvé le projet.

Le poste créé par MacMillan perdit rapidement toute crédibilité lorsque le ministre des Affaires galloises, Henry Brooke (élu d’une circonscription anglaise) approuva l’acquisition de l’eau de la Tryweryn Valley de Merioneth par la ville de Liverpool. Bien qu’elle se soit soldée par un échec, la campagne d’opposition à l’inondation de la vallée et de ses villages traditionnels eut l’avantage de polariser l’attention des Gallois et de créer un réel débat sur le manque de moyens politiques dont ils disposaient pour défendre leurs intérêts. D’autre part, le Council for Wales and Monmouthshire élabora un projet pour défendre l’idée de la mise en commun des divers départements gouvernementaux gallois au sein d’un Welsh Office sur le modèle écossais. Le projet fut soumis au gouvernement en 1957 mais fut rapidement rejeté par MacMillan, pour qui le transfert du poste de ministre des Affaires galloises au ministère du Logement et du gouvernement local répondait amplement aux besoins des Gallois. Le Conseil démissionna alors en bloc et son président, Huw T. Edwards, démissionna également du parti travailliste en clamant haut et fort que, désormais, seul Plaid Cymru pourrait présenter une solution aux problèmes du pays de Galles.

Ces deux évènements parallèles eurent pour conséquence une prise de conscience chez les travaillistes de l’importance électorale de cette question. Ils franchirent alors le pas et s’engagèrent à la création d’un Welsh Office et d’un secrétaire d’Etat pour le pays de Galles (Secretary of State for Wales) dans leurs manifestes électoraux de 1959 et de 1964. La victoire des travaillistes aux élections législatives d’octobre 1964 permit au nouveau Premier ministre, Harold Wilson, d’annoncer un mois plus tard la création d’un Welsh Office à partir de la branche régionale du ministère du Logement au pays de Galles et de la section des routes galloises du ministère des Transports. James Griffiths, député pour Llanelli et ardent défenseur de la cause galloise au sein du parti travailliste, fut nommé premier secrétaire d’Etat pour le pays de Galles. Il déclara à cette occasion que la création du Welsh Office était la « reconnaissance de notre nation »94.

Toutefois, les pouvoirs du Welsh Office et de son secrétaire d’Etat furent initialement très limités. Le succès électoral des travaillistes coupa court aux promesses de responsabilités exécutives pour le secrétaire d’Etat dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’agriculture et du gouvernement local. Le Welsh Office avait été créé dans un climat de grand scepticisme et le reste des années 1960 témoigna d’une lutte pour l’extension de ses pouvoirs. Pour Osmond, il s’agit bien d’une lutte « that well illustrates the innate hostility of Whitehall towards decentralised administration, let alone political devolution »95. De nouvelles responsabilités furent donc accordées avec parcimonie : l’acquisition des affaires sanitaires et sociales par le secrétaire d’Etat pour le pays de Galles en 1968, le contrôle de l’éducation primaire et secondaire en 1970, puis la planification économique, du commerce et de l’industrie en juillet 1975. Ces développements signalèrent l’émergence d’une politique galloise distincte d’une part, et du pays de Galles en tant qu’unité économique d’autre part. Ce dernier point fut par ailleurs scellé avec la création en 1973 du Wales Trade Union Congress, près d’un siècle après son pendant écossais fondé en 1897.

L’économie galloise était au cœur à la fois des débats politiques gallois après 1964 et des critiques croissantes de l’inaction du Welsh Office dans ce domaine. Certes, la création du Welsh Office permettait au pays de Galles de jouir d’avantages inégalés dans les régions anglaises grâce à l’obtention d’un représentant au sein du Cabinet ministériel et des comités inter-départementaux, cruciaux dans le processus législatif. Mais sa portée était limitée et son secrétaire d’Etat tenait un rang inférieur à celui de ses prédécesseurs au sein du Cabinet ministériel. Contrairement au Scottish Office, le Welsh Office ne disposait pas d’un système légal distinct lui permettant de plaider en faveur d’une législation séparée pour le pays de Galles et il avait par trop tendance à suivre les décisions politiques prises par le gouvernement à Londres. A défaut d’être un outil législatif efficace, le poste de secrétaire d’Etat procura donc au pays de Galles les moyens de protéger ses intérêts, comme l’illustra le sauvetage de la ligne de chemin de fer entre Llanelli et Shrewsbury entre 1967 et 1969. Mais la position du secrétaire d’Etat devint particulièrement difficile sous les gouvernements conservateurs puisqu’ils ne commandèrent jamais de majorité au pays de Galles et que cette situation entraîna l’impression d’une certaine illégitimité ou d’un déficit démocratique. L’existence du poste ne put enfin enrayer la dégradation de l’économie galloise et les inégalités par rapport à l’Angleterre.

Finalement, « there is no doubt that the Welsh Office has been an important focus of pressure exerted on behalf of Wales in the British government system, but this has merely pointed the way forward. Administrative decentralisation has enabled Welsh needs and grievances to be given a focus. There would have to be political devolution before sufficient political will could be mobilised to tackle Welsh problems at root. But the establishment of the Welsh Office provided another, and more immediately important, arm to the argument of taking the process one step further: the need for democratic institutions to control the bureaucratic machine »96.

Notes
94.

Bogdanor , Devolution in the United Kingdom , op. cit. p. 159 “recognition of our nationhood”

95.

John Osmond, Creative Conflict : The Politics of Welsh Devolution , Gomer Press & Routledge, 1977, p. 103 « qui illustre bien l’hostilité innée de Westminster envers une administration décentralisée, sans parler d’une dévolution politique »

96.

Ibid. p. 105 « Il ne subsiste aucun doute sur le fait que le Welsh Office ait été un moyen de pression important pour le pays de Galles dans le système de gouvernement britannique, mais cela a simplement indiqué le chemin. La décentralisation administrative a permis aux besoins et aux griefs gallois d’être exposés. Il devrait y avoir une dévolution politique avant qu’une volonté politique suffisante puisse être mobilisée pour s’attaquer aux racines des problèmes gallois. Mais la création du Welsh Office a donné un argument plus important encore dans le plaidoyer de la poursuite du processus : le besoin d’institutions démocratiques pour contrôler la nouvelle machine bureaucratique »