2 – Le débat parlementaire

Si le livre blanc présenté en septembre 1974 délimitait un certain nombre de principes, il n’en restait pas moins vague quant aux modalités de mise en place du projet. Un second livre blanc (Our Changing Democracy : Devolution to Scotland and Wales), plus détaillé celui-ci, fut donc publié en novembre 1975. Toutefois, le nouveau livre blanc présentait un projet de dévolution très « minimaliste »135 comportant la création d’assemblées à pouvoirs très limités. En effet, le gouvernement ne proposait de décentraliser ni les affaires industrielles et financières, ni les questions énergétiques ou agricoles. De plus, il rejetait l’idée d’allouer aux assemblées de quelconques pouvoirs financiers. A défaut d’octroyer des pouvoirs importants aux assemblées, le livre blanc proposait, de façon surprenante, un rôle accru au secrétaire d’Etat pour l’Ecosse :

‘« he would not only enjoy the constitutional functions of a monarch or Governor General in appointing the Chief Executive and the Cabinet of the Scottish administration and in formally ratifying Scottish legislation ; but he would, in addition, retain powerful political functions, through his substantial powers in the non-devolved areas of Scottish government and his right to veto Scottish legislation (even though intra vires) not only on the grounds of extra vires, but also if a Bill was ‘unacceptable on policy grounds’ »136. ’

En somme, ce projet ne présentait pas de réelle décentralisation des pouvoirs, surtout au niveau économique, et le gouvernement central, et notamment le secrétaire d’Etat pour l’Ecosse, jouissaient d’un trop important pouvoir de tutelle sur l’assemblée. Sans surprise, ce second livre blanc s’attira les foudres du SNP qui ne fut pas le seul, néanmoins, à vivement critiquer le projet car l’insatisfaction était générale. Le parti travailliste dut faire face à une crise politique interne lorsqu’un de ses membres, Jim Sillars, dénonça la trop grande modestie du projet de dévolution proposé par le gouvernement Wilson et provoqua la scission du parti en créant son éphémère Scottish Labour Party. Toutefois, malgré l’attention médiatique généreuse dont il profita, le SLP n’eut pas le succès escompté par son fondateur et il s’essouffla peu après le référendum de 1979. Jim Sillars rejoignit donc le SNP avant de prendre une belle revanche électorale aux élections partielles de Govan en 1988.

En réponse aux vives protestations que le second livre blanc avait engendrées, le gouvernement se vit obligé de faire quelques concessions, comme la limitation du droit de veto du secrétaire d’Etat ou le transfert du contrôle de la Scottish Development Agency (SDA) et de la Welsh Development Agency (WDA) aux nouvelles assemblées. Le Scotland and Wales Bill fut enfin voté par 292 voix contre 247 en seconde lecture, le 13 décembre 1976, avec une petite majorité de quarante-cinq voix seulement. Cela n’augurait rien de bon puisque, parmi les travaillistes, dix d’entre eux avaient voté contre et trente s’étaient abstenus. En fait, le projet avait pu passer grâce aux votes de treize libéraux, quatorze nationalistes et cinq conservateurs, et l’abstention de vingt-huit conservateurs, dont Edward Heath. Or, le gouvernement devait obtenir une majorité s’il voulait faire passer son projet de loi en motion de guillotine. Malheureusement, il était difficile d’ignorer que, lors de l’examen détaillé du projet en commission, les conservateurs abstentionnistes ayant exprimé leur opinion personnelle à la seconde lecture rejoindraient sagement les rangs de leur parti tandis que les dissidents travaillistes demeureraient difficiles à convaincre. La motion de guillotine fut en effet rejetée par 312 voix contre 283 en février 1977.

Les nombreux refus ou abstentions des libéraux, en particulier, reflétaient plus leur désaccord avec la qualité du projet proposé qu’avec le principe même de dévolution. Les libéraux avaient déjà réclamé le transfert de certains pouvoirs fiscaux vers les assemblées ainsi que l’adoption d’un scrutin de représentation proportionnelle. Par conséquent, avec l’accord d’un pacte « lib-lab » en mars 1977, permettant de garder le gouvernement Callaghan à flot sans majorité parlementaire pendant deux ans supplémentaires, les libéraux réitérèrent leurs demandes mais celles-ci ne furent pas mieux entendues. Les travaillistes répondirent par la division symbolique du projet en deux textes : le Scotland Bill et le Wales Bill. Les dissidents travaillistes se virent, quant à eux, récompensés par la concession de référendums. L’on put croire que ce stratagème avait fonctionné car, le 22 février 1978, les projets furent votés en troisième lecture par 292 voix contre 257. Toutefois, il faut reconnaître que les dissidents travaillistes avaient cette fois été moins influencés par l’introduction de référendums ou par une conversion au principe de la dévolution que par crainte que le parti travailliste ne perde son mandat.

‘« But if Labour back-benchers found themselves in an unenviable position, the bulk of the Conservative Party were also guilty of insincerity. For Labour MPs opposed to devolution were willing to speak against it, and campaign against it in the Commons : while the Conservatives, who were against devolution, were willing to speak and vote against the Bills, but not admit that they were, in reality, opposed to any serious measure of devolution »137.’

Le chemin menant au vote du projet n’avait, certes, pas été facile, mais celui menant aux référendums et à leur application fut, quant à lui, pavé d’embûches difficilement contournables. En effet, avant les référendums prévus le 1er mars 1979, le gouvernement dut accepter une série de conditions que s’acharnait à poser un petit groupe de travaillistes anti-dévolutionnistes, profitant de la complicité des conservateurs. Tout d’abord, George Cunningham, un député travailliste du Grand-Londres d’origine écossaise, réussit à faire accepter la condition que le Scotland Act ne puisse être définitivement approuvé que si quarante pour cent minimum des électeurs inscrits votaient « oui » au référendum. De plus, le référendum devrait être reporté de trois mois après l’élection générale si celle-ci devait avoir lieu avant le référendum. Les mêmes conditions furent imposées au Wales Bill. Les anti-dévolutionnistes craignaient que les élections et les référendums ne se fassent le même jour, profitant ainsi d’un plus fort taux de participation, et que les résultats ne s’influencent l’un l’autre. Enfin, Tam Dalyell souleva également une question qui bloqua pendant un temps le passage du projet à la Chambre des Lords. La « West Lothian Question » (appelée ainsi car Tam Dalyell était député du West Lothian) soulevait l’épineuse question de la représentation des députés écossais et gallois à Westminster et leur droit de continuer à participer aux votes des questions anglaises. La question même à laquelle le projet de Home Rule de Gladstone s’était fatalement heurté moins d’un siècle auparavant. Pour répondre à cela, les Lords votèrent une loi spécifiant que si une loi quelconque avait été votée grâce aux voix de députés écossais, le gouvernement pouvait demander un second scrutin sous quinze jours.

‘« C’était introduire subrepticement un élément de fédéralisme que le gouvernement voulait cependant éviter à tout prix, de peur de voir diminuer ultérieurement la représentation écossaise à Westminster »138. ’

Néanmoins, ces conditions n’affectèrent pas le fondement des propositions dévolutionnistes dont l’enjeu restait conséquent. Les Scotland and Wales Acts reçurent le sceau royal le 31 juillet 1978, quatre ans après l’introduction du premier livre blanc et de nombreuses heures d’un débat houleux.

Notes
135.

Ibid.

136.

Ibid. « Il jouirait non seulement des fonctions constitutionnelles d’un monarque ou d’un Gouverneur Général en nommant le chef de l’exécutif et le Cabinet administratif écossais, et en ratifiant formellement la législation écossaise, mais il détiendrait de plus des fonctions politiques importantes grâce à ses pouvoirs en matières réservées et son droit de véto sur la législation (même intra vires) non seulement sur des bases ultra vires mais aussi si le projet de loi est ‘inacceptable en termes politiques’ »

137.

Ibid. p. 160 « Mais si les députés travaillistes se retrouvaient dans une position délicate, la majorité des conservateurs était aussi coupable de mauvaise foi. Car des députés travaillistes opposés à la dévolution étaient prêts à s’en défendre et en faire campagne lors d’un référendum, mais ils n’étaient pas prêts à voter contre la dévolution à la Chambre des Communes tandis que les conservateurs, qui étaient opposés à la dévolution, étaient prêts à s’en défendre et à voter contre les projets de loi, mais pas à admettre qu’il étaient, en réalité, opposés à toute mesure sérieuse de dévolution ».

138.

Leruez , L’Ecosse, Une Nation Sans Etat, op. cit. p. 193