III – Campagnes électorales et résultats : les raisons d’un échec

1 – Tomber de rideau pour le Scotland Act 1978

Malgré tous les efforts des partisans de la dévolution en Ecosse et au pays de Galles, les référendums du 1er mars 1979 furent un échec et apparurent alors comme le point final de cette aventure constitutionnelle. Il était en effet surprenant que le résultat écossais, tout particulièrement, ait été négatif après plusieurs années de succès du SNP aux urnes. Après tout, le projet de dévolution n’était-il pas justement une parade à la menace nationaliste ? Ne l’avait-on pas conçu pour satisfaire les revendications nationalistes des Gallois et des Ecossais ? Quelles étaient alors les raisons profondes de ce rejet et que révèle-t-il du nationalisme en Ecosse et au pays de Galles ?

Certes, les débats animés qui avaient eu lieu lors des passages du projet à la Chambre des Communes annonçaient déjà les difficultés auxquelles devraient faire face les campagnes électorales. Les opinions ne suivaient pas de lignes partisanes stricto sensu et les clivages intra-partites, notamment chez les travaillistes, seraient dès lors un obstacle majeur à une campagne électorale du « oui » cohérente. En guise de cohérence, il y eut trois principales organisations du « oui » en Ecosse, principalement en raison de la crainte des travaillistes de s’associer trop étroitement aux nationalistes. Brebis galeuse de cette campagne, le SNP, en tandem avec sa propre campagne, s’orienta donc vers la campagne du Yes for Scotland, lancée en janvier 1978 et dirigée par Lord Kilbrandon, qu’il finit par dominer bien qu’il se soit agi à l’origine d’une organisation ad hoc multipartisane. Le parti travailliste préféra faire cavalier seul au sein d’une Labour Movement Yes Campaign, incluant tout de même la confédération syndicale STUC et le mouvement coopératif.

Bien qu’Helen Liddell, secrétaire générale du parti travailliste écossais de l’époque, ait justifié cette décision en déclarant que le parti travailliste ne souhaitait pas « se salir les mains en rejoignant une organisation parapluie du ‘oui’ »141, faisant par là référence aux nationalistes, la raison officielle, et plus nuancée, fut publiée dans une circulaire interne au parti travailliste. Celle-ci déclarait, en résumé, que le parti travailliste était l’unique parti à avoir foi en la dévolution per se tandis que les autres partis ne soutenaient le projet que parce qu’ils le considéraient comme une étape vers le séparatisme ou le fédéralisme. La dévolution préviendrait le séparatisme, ou son attrait, et le parti travailliste devait être le seul à bénéficier de son succès.

Enfin, la campagne dite Alliance for an Assembly, animée par le conservateur Alick Buchanan Smith et le libéral Russell Johnston, fut assez discrète, notamment en raison de la décision des libéraux de laisser le choix à leurs circonscriptions électorales de faire campagne seules ou sous une « organisation parapluie ». La petite campagne pro-dévolutionniste des conservateurs s’occupait principalement de convaincre les conservateurs de voter « oui » malgré l’intervention de Lord Home appelant à voter « non » afin de pouvoir voter plus tard en faveur d’un meilleur projet, proposé cette fois-ci par le prochain gouvernement conservateur [sic].

Au final, la campagne du Yes for Scotland demeurait l’organisation la plus importante et elle bénéficiait du soutien de certains acteurs, de figures ecclésiastiques connues, d’auteurs ou encore d’animateurs de télévision. Elle était toutefois dominée par le SNP et le SLP de Jim Sillars et était loin de présenter une image multipartisane. C’est, par ailleurs, en partie pourquoi l’organisation multipartisane rivale, Alliance for an Assembly, fut créée. En somme, l’on peut dire que la campagne du « oui » en Ecosse, objet de rivalités et de jalousies partisanes, présentait dès le départ une image fragmentée.

Les opposants de la dévolution étaient, quant à eux, mieux organisés et plus cohérents car, bien qu’ils aient été divisés en deux groupes avec d’une part Scotland Says No, campagne soutenue majoritairement par les conservateurs et les milieux d’affaires, et d’autre part par Labour Vote No, composé d’un petit groupe travailliste très actif, tous deux s’accordaient à utiliser les mêmes arguments contre la dévolution. De plus, l’appui de figures commerciales et financières, comme les dirigeants de la Clydesdale Bank par exemple, donnait l’impression d’un grand consensus dans le milieu écossais des affaires pour s’opposer à la dévolution.

En fin de compte, même si les campagnes pro-dévolutionnistes furent très actives en tenant des conférences de presse, en publiant des dépliants, en organisant des réunions publiques ou même en achetant des encarts publicitaires dans la presse, elles ne purent surmonter complètement leurs clivages internes. Il en ressortait une série de déclarations ou de commentaires contradictoires et, en l’absence de publicité télévisée partisane délivrant un message politique clair comme dans le cas des élections législatives, l’effet d’ensemble fut incohérent. En effet, la fragmentation des groupes avait entraîné un handicap supplémentaire lorsqu’il fut décidé qu’une couverture médiatique équilibrée et juste entre les partis politiques ne pourrait être assurée dans un tel cas et que, par conséquent, elle fut supprimée. Il en fut de même des subventions aux groupes de campagne : alors qu’elles avaient été accordées lors du référendum de 1975 sur l’entrée du Royaume-Uni dans la CEE, avec une allocation de ₤125.000 par groupe, elles furent supprimées en 1979. Par conséquent, la campagne du « oui » (plus encore que la campagne du « non » qui profitait de la générosité des milieux d’affaires) fut handicapée par un manque de moyens et mena une campagne morose, trop discrète et sans éclat.

Trois évènements vinrent de fait miner la campagne pro-dévolutionniste. Tout d’abord, l’Eglise d’Ecosse renonça à demander à ses pasteurs de lire une déclaration en prêche appelant à voter « oui ». Puis, vint la décision de Lord Ross de supprimer la couverture médiatique des campagnes et, enfin, il y eut l’intervention désastreuse du conservateur pro-dévolutionniste, Lord Home. Tout en se déclarant pro-dévolutionniste, Lord Home remit en question l’argument du Premier ministre Callaghan selon lequel le référendum du 1er mars offrait une dernière chance d’obtenir la dévolution en Ecosse. En effet, il prévoyait l’élaboration d’un nouveau projet de dévolution par le prochain gouvernement conservateur qui saurait éviter cinq des défauts principaux du projet présenté par les travaillistes. Dans son intervention, Lord Home défendait d’abord l’idée que l’assemblée écossaise devait pouvoir lever des impôts, puis il soulignait le fait qu’aucune solution n’avait été trouvée à la question du West Lothian, avant de juger l’assemblée proposée trop grande et de rappeler que rien ne garantissait légalement qu’un projet de loi était uniquement écossais, en conséquence de quoi une loi votée ultra vires pourrait causer beaucoup d’embarras. Enfin, il déplorait le fait qu’il n’y ait pas de système électoral à la proportionnelle pour une telle assemblée. Lord Home assurait que les Ecossais étaient de plus en plus nombreux à préférer « faire bien les choses même si cela demandait plus de temps »142.

Il est difficile de mesurer précisément l’effet de cette intervention, le 14 février 1979, mais les sondages d’intentions de votes effectués à cette période notent une baisse de quatre points entre le 14 et le 20 février, et de neuf points chez les sympathisants conservateurs. Les résultats du sondage suivant soulignent également toute la mesure du succès de la campagne du « non » puisque l’on remarque une baisse de douze points entre début janvier et fin février, avec une baisse importante chez les sympathisants conservateurs. En revanche, les intentions de vote des sympathisants travaillistes et nationalistes ne semblent pas avoir été trop affectées par les campagnes. Environ deux tiers des sympathisants travaillistes se déclaraient partisans du « oui », ainsi que la grande majorité des sympathisants nationalistes.

Tableau 5 - Intentions de vote « oui » au référendum de 1979 par parti
  Conservateurs Travaillistes Nationalistes Tous
*8-20 janvier 46% 68% 95% 64%
*29 janvier – 6 février 32% 58% 91% 56%
**12-14 février 35% 70% 92% 64%
**20-21 février 24% 69% 94% 60%
*32-25 février 21% 66% 91% 52%

Source: *= System Three Scotland **= MORI dans Denver et al, op. cit., p. 24

La campagne du « non » avait axé son travail sur les risques de séparatisme d’abord, et sur les risques financiers et bureaucratiques ensuite, à savoir plus d’impôts et de fonctionnaires, que présentait une assemblée pour l’Ecosse. Or, ses arguments faisaient mouche chez l’électorat écossais pour des raisons majoritairement étrangères au débat sur la dévolution. En effet, le parti conservateur profitait surtout d’un affaiblissement politique des travaillistes, dont la popularité était en forte baisse en raison des nombreux mouvements sociaux qui marquèrent l’« hiver du mécontentement » (« winter of discontent ») de 1978-1979. Le gouvernement Callaghan avait en effet obtenu que les hausses salariales ne dépassent pas cinq pour cent alors que le pays souffrait d’une forte inflation. La période avait également vu une hausse subite des impôts locaux, amenée après la réforme des collectivités locales (43,4% en 1977-1978143). Les arguments anti-dévolutionnistes relatifs aux coûts d’une assemblée ou aux risques financiers et commerciaux qu’elle présenterait ne manquèrent donc pas de trouver écho auprès d’Ecossais inquiets de ces augmentations. Une inquiétude qu’ils ne tardèrent pas à exprimer par leur vote aux élections législatives.

Les intentions de vote enregistrées par System Three Scotland en novembre 1978 et en février 1979 confirment cette tendance puisque l’on y constate une baisse de huit points pour les travaillistes et de trois points pour les nationalistes tandis que les conservateurs enregistraient une hausse spectaculaire de douze points dans les sondages. Les élections législatives du 3 mai 1979 virent donc un certain retour du parti conservateur en Ecosse (redevenu second parti écossais). Toutefois, les conservateurs profitèrent cette fois de l’échec de la dévolution et des défections nationalistes. Le SNP avait perdu treize pour cent des suffrages depuis les élections législatives d’octobre 1974 et neuf sièges dont sept avaient été repris par les conservateurs. Le retour au bipartisme n’était que d’apparence cependant puisque le parti conservateur, désormais détenteur du pouvoir à Londres, n’avait pu entièrement regagner en Ecosse le terrain qu’il avait perdu depuis 1970 ; il demeura largement distancé par le parti travailliste.

Tableau 6 - Tendances électorales 1978-1979
  Conservateurs Travaillistes Nationalistes
*Novembre 1978 25% 48% 21%
*Février 1979 37% 40% 18%
**3 mai 1979 31,4% 41,5% 17,3%

Source: *= intentions de vote enregistrées par System Three Scotland **= résultats des élections législatives www.psr.keele.ac.uk

Le résultat du référendum en Ecosse fut, dans l’absolu, un échec relatif : seule une petite minorité (51,6%) avait approuvé par son vote le projet de dévolution des travaillistes contre 48,4% de suffrages défavorables. Toutefois, le taux de participation n’étant que de 63,8%, les suffrages favorables à la dévolution ne représentaient que 32,9% de l’électorat écossais, loin des 40% requis par l’amendement Cunningham. En fait, aucune région ne réussit à atteindre le seuil des 40% et cinq des onze régions écossaises votèrent contre le projet (Borders, Dumfries and Galloway, Grampian, Tayside et Orkney and Shetland). L’Ecosse s’était divisée politiquement sur cette question en deux zones distinctes : l’ouest et le centre avaient voté « oui » tandis que le sud et le nord-est avaient voté « non ». Or, mise à part la région « Central », où le parti conservateur dépassait la barre des 20% après les élections du 3 mai 1979, les régions ayant voté majoritairement « oui » étaient largement dominées par le parti travailliste.

Tableau 7 - Résultats du référendum écossais de 1979 par région
Région Taux de participation Pourcentage des votes Pourcentage de l’électorat
    Oui Non Oui Non
Borders 67,3% 40,3% 59,7% 27% 40,1%
Central 66,7% 54,7% 45,3% 36,4% 30,2%
Fife 66,1% 53,7% 46,3% 35,4% 30,6%
Grampian 57,1% 48,3% 51,6% 27,9% 29,9%
Highland 65,4% 51% 49% 33,3% 33,2%
Lothian 66,6% 50,1% 49,9% 33,4% 33,2%
Strathclyde 63,2% 54% 46% 34,1% 29,1%
Tayside 63,8% 49,5% 50,5% 31,5% 32,2%
Orkney 54,8% 27,9% 72,1% 15,3% 39,4%
Dumfries and Galloway 64,9% 40,3% 59,7% 26,1% 38,7%
Shetland 51% 27% 73% 13,7% 37,1%
Western Isles 50,5% 55,8% 44,2% 28,1% 22,3%
SCOTLAND 63,8% 51,6% 48,4% 32,9% 30,8%

Source: Denver et al, op. cit. p. 23

Tandis qu’un sondage System Three 144 dévoilait, quelques jours seulement avant le référendum, que 19% des sympathisants conservateurs pensaient voter « oui », tout comme 84% des sympathisants nationalistes, seuls 56% des sympathisants travaillistes s’apprêtaient à faire de même et la majorité des sympathisants libéraux pensaient voter « non ». Le camp conservateur du « non » était donc d’autant plus redoutable qu’il était d’opinion plus homogène, qu’il profitait du soutien de nombreux électeurs potentiels travaillistes et libéraux et qu’il multipliait rapidement le nombre de ses électeurs potentiels, comme le souligne la remontée du parti conservateur dans les sondages à cette époque.

En fin de compte, le problème majeur restait celui de l’abstention. Les partisans du « oui » avaient rapidement tenu à souligner l’importance de la participation électorale lors de leur campagne en déclarant que s’abstenir revenait en fait à voter « non ». Jugeant cette tactique déloyale, de peur qu’une majorité de suffrages pour le « oui » et un nombre important d’abstentions ne justifient pas réellement le rejet du projet, les partisans du « non » s’étaient joints aux pro-dévolutionnistes pour encourager les Ecossais à voter lors du référendum. Le taux d’abstention demeure donc surprenant dans une nation dont les habitants se rendent en général plus nombreux aux urnes que dans le reste de la Grande-Bretagne. Le taux de participation au référendum (63,6%) est seulement légèrement supérieur (+1,9%) à celui enregistré lors du référendum sur l’entrée du Royaume-Uni dans la CEE, un sujet qui ne suscita que peu d’intérêt en Ecosse. En outre, le taux de participation aux élections législatives du 3 mai 1979 atteignit 77,1%.

S’agissait-il d’un manque d’expérience des référendums ? Bien que les Ecossais aient été plus habitués à se prononcer sur des personnes que sur des textes, il y a lieu de croire que le problème était moins celui du procédé en lui-même que du choix limité entre un Scotland Act très contesté par d’éminentes figures politiques de tous partis et le statu quo. Certes, l’on peut sans doute blâmer l’absence de campagne officielle à la télévision ou à la radio, ou le manque d’efforts pour faire du porte à porte et inciter les gens à voter, mais on ne peut pas dire que le sujet n’a pas été couvert par la presse écrite et que l’absence de campagne télévisée n’a pas été compensée par l’organisation de nombreux débats sur BBC Scotland ou la chaîne privée régionale. En fait, dans ce contexte, un tel taux d’abstention est plus révélateur d’une certaine apathie ou d’un désintérêt de la population en général sur ce sujet. Le sondage ci-après souligne le manque d’intérêt que suscitait la dévolution en 1979 par comparaison avec d’autres sujets d’actualité. L’année 1979 a vu éclater des confrontations importantes entre le gouvernement et les syndicats sur la question de l’augmentation salariale. Il n’est donc pas surprenant de constater que des sujets tels que la hausse des prix, le chômage, les relations sociales, les impôts, la violence ou l’économie, questions demeurant exclusivement réservées à Westminster dans le cas d’une décentralisation des pouvoirs vers l’Ecosse, aient dépassé en importance la question de la dévolution. Dans ce contexte, la dévolution n’aurait pas eu de réel impact sur les sujets qui préoccupaient particulièrement les Ecossais.

Tableau 8 – Priorités électorales 1979
Question : « Quels sont, selon vous, les problèmes les plus importants dont le gouvernement devrait s’occuper ? Voyez-vous autre chose ?
  Mai 74 Mai 75 Oct. 76 Fév. 79 Avr. 79 Nov. 79
Prix/hausse des prix/coût de la vie 71 60 57 40 46 49
Prix produits alimentaires - 31 32 16 26 26
Situation économique (économie) 16 17 24 13 11 18
Balance des paiements 10 4 4 1 2 2
Logement 29 9 10 10 12 14
Aide aux personnes âgées 31 13 16 17 21 17
Grèves/relations du travail 18 24 12 50 22 21
Salaires 17 18 9 15 11 9
Marché commun 9 10 5 5 6 7
Chômage 14 13 35 32 38 33
Irlande du Nord 10 2 5 2 6 7
Impôts locaux - 7 5 6 6 6
Santé et bien-être 10 7 8 7 9 11
Impôts nationaux/leur réduction 12 10 13 16 29 10
Immigration/relations raciales 3 1 5 3 4 4
Education 9 5 6 7 8 14
Pollution/environnement 5 2 6 7 8 14
Criminalité/violence 12 9 21 16 25 19
Pauvreté/les pauvres 4 2 3 3 2 4
Bas salaires 7 5 5 10 6 6
Dévolution/décentralisation 10 6 7 5 6 3
Pétrole de la mer du Nord 10 4 2 2 2 3
Défense - 1 1 1 3 3
Nationalisations - 4 3 2 3 1
Transports publics 4 3 3 3 4 4
Parasitisme social 13 9 19 12 12 10
Aide extérieure - 3 5 4 3 2
Autres réponses 5 3 4 10 15 11
Ne savent pas 1 3 4 4 2 7

Source: Opinion Research Centre, The Scotsman, 30 novembre 1979 et Leruez , L’Ecosse, Une Nation Sans Etat, op. cit. p. 232

Enfin, les bienfaits de la présence du SNP dans le camp des dévolutionnistes ne sont pas évidents : son influence avait été peut-être plus déstabilisatrice que bénéfique. Un sondage ORC pour The Scotsman, en février 1979145, révélait, par ailleurs, que 48% des Ecossais associaient l’idée de la dévolution au SNP, contre 22% aux travaillistes, 9% aux conservateurs et 2% aux libéraux. Par conséquent, le SNP joua un rôle crucial dans le déroulement de la campagne et dans le résultat final du référendum écossais. D’aucuns furent tout de même surpris lorsque le SNP décida de se rallier aux propositions du gouvernement après avoir longuement hésité à rejoindre le camp du « oui » et même attaqué ou remis en cause le projet travailliste dans son ensemble (le SNP s’était soulevé lors de la publication du livre blanc de novembre 1975). Il paraissait d’abord incongru que le parti nationaliste veuille défendre un projet dont il avait auparavant critiqué l’absence de pouvoirs économiques ou fiscaux ou d’un système de vote à la proportionnelle, ainsi que la présence dominatrice du secrétaire d’Etat et le refus d’accorder à l’Ecosse la gestion des revenus pétroliers de la mer du Nord. Les nationalistes étaient conscients du fait que les 30% de suffrages qu’ils avaient obtenus aux élections législatives d’octobre 1974 ne représentaient pas nécessairement un soutien unanime à leur projet séparatiste et que le refus de s’engager dans un projet de dévolution décevrait, voire aliénerait, une partie de leur électorat. D’autre part, ils pouvaient considérer la création d’une assemblée écossaise comme un tremplin possible vers l’indépendance dont ils sauraient tirer parti. La difficulté principale de cette situation résidait dans le choix d’une attitude vis-à-vis du projet travailliste car le SNP pouvait difficilement se prononcer en faveur du projet tout en le critiquant dans le même temps. Préférant jouer le jeu des travaillistes afin d’être sûr que le projet d’assemblée soit adopté lors du référendum, le parti nationaliste se montra plutôt effacé dans la Chambre des Communes. Néanmoins, comme une ultime contradiction, le SNP s’orientait simultanément vers le remplacement du terme « self-government », qu’il avait utilisé jusque-là de façon ambiguë et avec succès, par le terme d’indépendance. Ce double-jeu ajoutait non seulement une nouvelle incohérence à un projet déjà très controversé et complexe, mais nourrissait également les arguments des anti-dévolutionnistes sur les conséquences fatales de la dévolution au Royaume-Uni.

En effet, bien que, dans un geste modérateur, le Conseil National du parti nationaliste ait approuvé par une large majorité, au mois de mai 1975, la résolution du Comité Exécutif National selon laquelle le parti accepterait de prendre part à une assemblée nationale écossaise démocratiquement élue, les membres du SNP ne furent pas moins critiques du projet du gouvernement lors de la parution du second livre blanc six mois plus tard. Après les résultats encourageants de l’élection partielle d’East Kilbride, le 4 février 1976, le congrès du parti votait même une résolution réaffirmant sa position indépendantiste puisqu’il spécifiait que la dévolution ne constituait qu’une simple étape vers l’indépendance146. Malgré tous les efforts de son président, William Wolfe, pour construire une image modérée du parti nationaliste, le congrès annuel de 1977 indiquait également un durcissement de sa position constitutionnelle sous le slogan « Independence and nothing less »147. Les divisions entre fondamentalistes et gradualistes s’accentuèrent de plus belle au printemps 1978, après l’adoption, le 28 février, du Scotland Bill à la Chambre des Communes : tandis que Gordon Wilson, député de Dundee East avertissait des dangers d’une association trop étroite des nationalistes avec leurs adversaires travaillistes, William Wolfe, au contraire, appelait à une coalition des partis autour des propositions du gouvernement. L’hostilité des nationalistes envers le parti travailliste fut, par ailleurs, visible lors du vote aux Communes de la motion de censure présentée à l’automne 1978 contre le gouvernement Callaghan. Neuf des onze députés nationalistes préférèrent ne pas suivre les consignes de l’exécutif du parti en votant contre le gouvernement. Enfin, les divergences d’opinion émanant des communiqués de presse officiels du SNP et de la Yes for Scotland Campaign mettaient en doute la nature du référendum : s’agissait-il réellement d’un référendum sur la dévolution ou sur l’indépendance ?

Les craintes, légitimes, suscitées par la présence ambiguë du parti nationaliste dans une campagne en faveur d’un projet travailliste, étaient difficilement dissipées face à l’incompréhension générale d’un texte trop complexe et de commentaires contradictoires chez d’éminentes figures politiques de tous bords. En outre, nous avons constaté que le projet d’assemblée proposé ne répondait pas aux préoccupations et aux souhaits politiques des Ecossais. L’assemblée proposée ne représentait en fin de compte qu’un symbole creux de l’identité nationale écossaise et présentait, de surcroît, le risque de mener au séparatisme. Or, nous verrons plus loin que les Ecossais, lors du deuxième référendum en 1997, ont voté moins pour exprimer leur identité nationale que pour s’exprimer en faveur d’une assemblée qui leur permettrait de jouir d’un système politique plus démocratique et d’une participation plus importante à leur gouvernement. Cette option n’étant pas clairement définie dans le cas du projet de 1978, cela expliquerait le manque d’intérêt suscité par le type d’assemblée proposée, voire son rejet. On vérifie donc à nouveau que le nationalisme écossais, tel qu’il fut exprimé par le vote SNP aux élections de 1974, demeurait pour la plupart restreint à un vote protestataire et que si l’ère des gouvernements Thatcher devait développer l’idéologie nationaliste en Ecosse, celle-ci n’en demeurait pas moins minoritaire en 1997 dans une politique écossaise dominée par des questions économiques et sociales. Nous verrons que le débat gallois sera au contraire dominé par des questions identitaires.

Notes
141.

David Denver, James Mitchell, Charles Pattie & Hugh Bochel, Scotland Decides, The Devolution Issue and the 1997 Referendum, Frank Cass, 2000, p. 18 « soiling our hands by joining an umbrella Yes group ».

142.

The Scotsman , 15 février 1979, www.thescotsman.co.uk « concerned to get the matter right even if it means more time »

143.

Leruez , L’Ecosse, Vieille Nation, Jeune Etat, op. cit. p. 233

144.

The Glasgow Herald , 27 février 1979, www.theherald.co.uk

145.

Opinion Research Centre, The Scotsman , 14 février 1979, www.thescotsman.co.uk

146.

42ème congrès annuel du SNP, résolution 48, Edimbourg, le 29 mai 1976.

147.

« l’indépendance et rien de moins »