II La Convention constitutionnelle écossaise: ébauche d’un consensus

1 – La Campaign for a Scottish Assembly ou le sauvetage de la dévolution

Peu après l’échec du référendum écossais, une « Campagne pour une Assemblée Ecossaise » (Campaign for a Scottish Assembly) fut fondée au printemps 1980 par quelques militants dévoués à l’idée de la dévolution afin de faire pression sur le gouvernement et convertir le plus grand nombre d’Ecossais à leur cause. D’organisation multipartisane, la CSA réunit travaillistes, libéraux et nationalistes, syndicalistes ou universitaires, dans un effort de mobilisation de l’opinion publique écossaise vis-à-vis de la dévolution grâce à l’organisation de rassemblements, conférences, fêtes et autres manifestations. Notons néanmoins que celles-ci n’eurent qu’un impact limité jusqu’en 1987 et le troisième mandat des conservateurs. Les élections législatives de juin 1987 marquèrent en effet un tournant dans le destin constitutionnel de l’Ecosse car en obtenant un troisième mandat en Grande-Bretagne avec 24% seulement des suffrages écossais, le parti conservateur galvanisa en fait les partisans de la dévolution et remit la question constitutionnelle à l’ordre du jour.

Après 1987, les conservateurs n’étaient soutenus que par moins d’un septième des députés écossais et moins d’un quart des députés gallois au Parlement, et ils avaient été élus par moins d’un quart de l’électorat écossais et un peu moins d’un tiers de l’électorat gallois. A défaut de suivre l’Angleterre dans son virage politique à droite, l’Ecosse et le pays de Galles développaient au contraire leur propre positionnement politique, qui plus est incompatible avec les arrangements constitutionnels de l’époque. Le parti conservateur connut par conséquent un déclin croissant de ses scores électoraux en Ecosse pendant les années 1980 et 1990 et, dans une moindre mesure, au pays de Galles, consécutif à son refus de reconnaître une dimension politique distincte à l’Ecosse et au pays de Galles. Le rejet du thatchérisme et la création d’une culture politique écossaise et galloise contraire à ses valeurs ébranlera une certaine conception de l’Union. L’idée d’un déficit démocratique deviendra alors monnaie courante à partir des années 1980, puisque la légitimité d’un gouvernement britannique conservateur élu sans qu’il n’ait remporté de majorité en Ecosse ou au pays de Galles sera sérieusement remise en doute. En effet, le parti conservateur subira un déclin électoral important en Ecosse et au pays de Galles, contrairement à l’Angleterre où il sera toujours majoritaire, et n’arrivera que bon second derrière un parti travailliste dominant entre 1979 et 1992, comme le laissent constater les tableaux ci-après. Le manque de représentation politique de ces nations étant exacerbé par un bouleversement complet de l’ancien modèle d’autonomie écossaise et de réformes appliquées aux collectivités locales, l’ère thatchérienne se traduira donc par une rupture de l’équilibre traditionnel des pouvoirs au sein de l’Union et un désir de « démocratisation » de l’appareil politique britannique.

Tableau 17 - Résultats électoraux en Ecosse et au pays de Galles entre 1979 et 1992
    Ecosse Pays de Galles
Date Partis Nombre de sièges Pourcentage des suffrages Nombre de sièges Pourcentage des suffrages
1979 conservateurs 22 31,4% 11 32,7%
  travaillistes 44 41,6% 22 48,6%
  libéraux 3 9% 1 12,8%
  SNP/Plaid Cymru 2 17,3% 2 8,1%
1983 conservateurs 21 28,4% 14 31%
  travaillistes 41 35,1% 20 37,5%
  Alliance 8 24,5% 2 23,2%
  SNP/Plaid Cymru 2 11,8% 2 7,8%
1987 conservateurs 10 24% 8 29,6%
  travaillistes 50 42,4% 24 45,1%
  Alliance 9 19,2% 3 17,9%
  SNP/Plaid Cymru 3 14% 3 7,3%
1992 conservateurs 11 25,7% 6 28,6%
  travaillistes 49 39% 27 49,5%
  libéraux-démocrates 9 13,1% 1 12,4%
  SNPPlaid Cymru 3 21,5% 4 8,8%

Source : compilés d’après www.psr.keele.ac.uk

Tableau 18 - Le vote conservateur en Ecosse, au pays de Galles et en Angleterre entre 1979 et 1992, en pourcentage des suffrages exprimés
  Ecosse Pays de Galles Angleterre
1979 31,4% 32,7% 47,2%
1983 28,4% 31% 46%
1987 24% 29,6% 46,2%
1992 25,7% 28,6% 46,7%

Source : compilés d’après www.psr.keele.ac.uk

Dans ce climat, la nécessité de rassembler travaillistes, libéraux et nationalistes, ainsi que toutes autres tendances de la vie publique écossaise opposées au statu quo, se fit sentir plus que jamais. La recherche de ce consensus avait été l’objectif principal de la CSA depuis sa création mais son impact était resté mineur pendant ses sept ou huit premières années d’activité. Son action prendrait par la suite une signification historique. En effet, suite aux idées de Jim Ross, ancien haut-fonctionnaire au Scottish Office chargé du dossier de la dévolution de 1975 à 1979, et d’Alan Lawson, éditeur de Radical Scotland, un premier document intitulé The Scottish Constitutional Convention fut publié par la CSA en 1985, prévoyant la mise en place d’une Convention constitutionnelle écossaise et la rédaction d’un projet d’assemblée qui servirait de base de discussion pour un nouveau projet de dévolution. Malheureusement, il ne reçut qu’un accueil mitigé chez les nationalistes, dont le dirigeant, Gordon Wilson, avait fait une proposition similaire pour une Convention élue l’année précédente, ainsi que chez les travaillistes, prévoyant de remporter les élections législatives de 1987 et de mettre en place une assemblée à Edimbourg pour respecter fidèlement leur engagement. La victoire des conservateurs aux élections de 1987 eut l’effet d’une onde de choc dans le milieu politique et la CSA convoqua bientôt un comité d’organisation constitutionnel (Constitutional Steering Committee), composé d’un « representative group of people who are not enslaved to political parties but who carry political weight »161. Ce comité, ayant pour charge d’étudier la mise en place d’une Convention constitutionnelle représentative du paysage politique écossais, était présidé par Sir Robert Grieve, professeur à Glasgow University, premier président du Highlands and Islands Development Board à sa création en 1965, et comprenait dix-sept membres issus d’horizons professionnels très variés, parmi lesquels on comptait des universitaires, des syndicalistes ou encore des représentants des églises. En effet, si la Kirk s’était prononcée en faveur de l’autonomie parlementaire dès l’après-guerre, elle renouvela son engagement autonomiste après l’intervention controversée de Margaret Thatcher en mai 1988, dite Sermon on the Mound. En 1989, le Church and Nation Committee de l’Eglise d’Ecosse publiera même un rapport dénonçant une perte d’autonomie en Ecosse et rejetant la notion anglaise de souveraineté parlementaire illimitée. Son engagement lui vaudra de participer pleinement, aux côtés des autres églises écossaises, et notamment de l’Eglise catholique qui s’était longtemps opposée au Home Rule, au processus qui mènera à la création d’un nouveau Parlement écossais. Le 6 juillet 1988, le comité rendit son rapport au président de la CSA, Alan Armstrong. Il fut bientôt publié sous un titre lourd de signification : A Claim of Right for Scotland.

Notes
161.

Andrew Marr, The Battle for Scotland , Penguin Books, 1992, p. 197 « groupe représentatif de personnes qui ne sont pas esclaves de partis politiques mais qui portent un certain poids politique »