3 – La réaction politique : un consensus difficile

En fait, et de façon prévisible, le parti conservateur refusa d’emblée de participer à la Convention que le secrétaire d’Etat au Scottish Office de l’époque, Ian Lang, qualifia de « pretentious piece of nonsense that can only do Scotland harm »166. Lorsque les différents partis politiques furent conviés à une réunion multipartisane le 27 janvier 1989 afin de donner leur avis sur le Claim of Right et s’exprimer sur leur éventuelle participation à la Convention constitutionnelle, seuls les conservateurs et les libéraux trouvèrent la tâche facile. En effet, tandis que les conservateurs, traditionnellement opposés à la dévolution, prétendaient que la Convention n’était qu’un cercle de bavardage inutile et que les intérêts de l’Ecosse seraient mieux servis au sein de l’Union, les libéraux-démocrates, traditionnellement favorables à l’octroi d’une forme d’autonomie en Ecosse et à une politique consensuelle, ne purent que se féliciter de la création d’une Convention au sein de laquelle ils auraient l’opportunité de jouer un rôle.

La décision était cependant moins aisée pour les travaillistes et les nationalistes. Le SNP craignait en effet que la Convention ne le pousse sur un terrain autonomiste trop éloigné de ses aspirations indépendantistes et que sa participation à une telle entreprise ne lui cause dommage électoralement, comme ce fut le cas aux élections législatives de 1979, après l’échec du référendum sur la dévolution, lorsqu’il perdit neuf de ses onze sièges. Ainsi, bien que le SNP ait d’abord consenti à participer à la Convention à la publication du Claim of Right en 1987, conformément à sa promesse de campagne électorale de 1987, il fit part peu après la réunion de son refus de participer.

Le parti travailliste faisait face, lui aussi, à une situation délicate car refuser de prendre part à la Convention faisait courir le risque de voir son électorat se retourner contre lui, et accepter revenait implicitement à reconnaître que le gouvernement conservateur n’avait pas de mandat pour gouverner l’Ecosse. Ainsi, le Claim of Right reçut-il d’abord un accueil timide de la part des travaillistes, qui craignaient également que la Convention ne soit trop teintée de nationalisme, comme l’avait fait entendre le ton de l’introduction du document. Ces derniers se devaient de prendre en considération le fait qu’une telle assemblée ne pourrait être introduite qu’avec un gouvernement travailliste au pouvoir et, dès lors, la plus extrême prudence s’imposait.

Les travaillistes décidèrent donc de rejoindre la Convention tout en se méfiant du SNP, leur plus sérieux adversaire. Le parti travailliste avait été fragilisé par l’échec du « Scotland Act » mais bien que désirant se faire remarquer en servant les intérêts de l’Ecosse, il mesurait toute l’importance d’une recherche de consensus lui permettant de faire mieux que dans les années 1970. Le parti travailliste voyait dans ce projet un gain politique potentiel notoire. Dans une interview accordée à Brian Taylor le 16 janvier 1999, Donald Dewar expliqua la décision travailliste de la façon suivante :

‘« There were genuine wishes to strengthen the base, to strengthen the coalition and at the same time pushing the SNP to the extremes, out of the mainstream of Scottish politics »167.’

Ainsi, bien qu’il ait accepté de rejoindre la Convention, le parti travailliste posa néanmoins certaines conditions. Il refusa tout d’abord que l’on élise directement des délégués à la Convention, mais imposa de les choisir parmi les membres du Parlement de Westminster, les membres du Parlement Européen et les collectivités locales écossaises. Cela constituait bien entendu un avantage majeur pour les travaillistes. D’autre part, les travaillistes refusaient que la Convention soit suivie d’un référendum invitant les électeurs à choisir entre indépendance et dévolution ; ils soulignaient à ce propos le ridicule d’une situation où la Convention travaillerait sur une option constitutionnelle mais inviterait à la fois les électeurs à en considérer d’autres. Cela ferait en effet transparaître un certain manque de confiance en la solution proposée. En outre, l’objectif était surtout d’empêcher par tous les moyens que le SNP ne rejoigne la Convention.

Le SNP, s’étant tout de même présenté aux premières discussions multipartisanes du 27 janvier 1988 à Edimbourg, représenté par son leader, Gordon Wilson, par Winnie Ewing et Jim Sillars, se trouvait face à un dilemme. Il était certes délicat de refuser de rejoindre la Convention, mais les nationalistes savaient fort bien que les conditions posées par les travaillistes signifiaient que peu de pouvoirs leur seraient accordés et que la Convention serait dominée par les travaillistes. Dans une interview que Gordon Wilson accorda à Brian Taylor le 28 novembre 1998, il se remémora:

‘« During the course of the day’s discussions, it became apparent to everyone present that it [the Convention] was going to be dominated by Labour. They would have a two-thirds majority with MPs, councillors, trade unions. The rest of us were going to be purely decorative »168. ’

Les nationalistes auraient donc fait campagne pour un programme presque entièrement travailliste. Ainsi, le 31 janvier 1988, le SNP annonça qu’il ne prendrait pas part à la Convention. Cela provoqua, d’une part, un véritable tollé au sein du parti, puisqu’un nombre relativement élevé d’adhérents du SNP était en faveur d’une approche gradualiste, et entraîna d’autre part, une certaine incompréhension chez ses électeurs. L’objectif des travaillistes était atteint puisqu’ils avaient réussi à écarter le SNP.

Paradoxalement, le SNP avait été au cœur de la décision du parti travailliste de prendre part à la Convention, suite à la victoire spectaculaire de Jim Sillars aux élections partielles de Govan, bastion travailliste, le 10 novembre 1988. En effet, lorsque le siège de Bruce Millan à Govan se trouva vacant, suite à sa nomination à la Commission des Communautés Européennes, le parti travailliste se trouvait fortement divisé sur la question de la « poll tax » (la réforme de l’imposition locale, introduite par les conservateurs). Lors d’une réunion à la mairie de Glasgow Govan, avant même que ne fût fixée la date de l’élection, le vote de la majorité des délégués favorables au non-paiement fut bloqué par celui des syndicats (selon le système du « block vote » en vigueur jusqu’en 1993). Les nationalistes, au contraire, présentèrent un front uni contre l’introduction de l’impôt et leur campagne efficace, prônant le non-paiement de la « poll tax » et mettant l’accent sur le porte à porte, porta bientôt ses fruits. En outre, l’adoption du slogan « Scotland’s future is independence in Europe », lors du congrès d’Inverness en septembre 1988, permettait de rassurer bon nombre d’électeurs hésitants en présentant une alternative constitutionnelle et économique plus populaire. Les nationalistes soulignèrent également à l’occasion de leur campagne l’inaction des députés écossais travaillistes, rebaptisés « Feeble Fifty », face à la politique agressive des conservateurs à Westminster qui étaient parvenus à imposer l’expérimentation de la « poll tax » en Ecosse un an avant l’Angleterre et le pays de Galles. Un vote SNP, assuraient-ils, serait un vote plus efficace. En effet, un sondage réalisé à la sortie des urnes par l’institut de sondage National Opinion Research recensait 55% de sondés qualifiant la prestation des députés travaillistes de « médiocre » (« poor ») ou « très mauvaise » (« very poor »)169. Ainsi, tandis que les travaillistes s’étaient divisés sur l’adoption d’une position contre la « poll tax » qui remettrait en cause la légitimité des conservateurs à gouverner l’Ecosse, les nationalistes n’avaient pas hésité à lancer un défi au gouvernement conservateur et à encourager une campagne de désobéissance civile, pour le plus grand plaisir des électeurs. Le candidat nationaliste, Jim Sillars, remporta en novembre 1988 le siège brigué par le travailliste Bob Gillespie dans la circonscription de Glasgow Govan, jusqu’alors un bastion travailliste, avec plus de 50% des voix. Ce fut l’occasion d’une prise de conscience importante chez les travaillistes puisqu’une semaine seulement après l’élection, Scottish Labour Action publiait une brochure significativement intitulée « Gubbed in Govan »170 et dont l’interprétation de cette défaite se résumait à « a vote of no confidence in Labour’s Scottish leadership and their inability to come to terms with the Scottish dimension »171. Le message était clair : il était devenu impératif de participer activement à la Convention constitutionnelle et de rechercher un consensus avec les autres partis politiques sur cette question.

Avec l’appui du Scottish Trades Union Congress (STUC), Scottish Labour Action (SLA) exerça assez de pression sur les instances dirigeantes du parti travailliste pour que son vœu de participer à la Convention soit entendu : la majorité des dix-sept résolutions qu’elle publia en novembre 1988, avant de les soumettre en mars 1989 au 74ème congrès du parti travailliste écossais à Inverness, formulaient le souhait de participer à la Convention dans le but de créer une assemblée écossaise quels que soient les résultats des prochaines élections législatives. Si le gouvernement conservateur n’acceptait pas la mise en place d’une assemblée, la charge en reviendrait au parti travailliste car, en remportant la majorité des sièges écossais, il serait mandaté par le peuple écossais et en droit de procéder à la mise en place d’un tel projet. Cette idée de double mandat (« dual mandate ») embarrassait la vieille garde travailliste écossaise car elle impliquait un recours à des moyens anticonstitutionnels. Toutefois, la défaite des travaillistes à l’élection partielle de Govan avait réussi à insuffler suffisamment d’énergie pour que la publication de la SLA, A New Agenda for Labour in Scotland, soit acceptée avec assez d’enthousiasme au congrès d’Inverness, même par les plus réticents, tels que l’ancien anti-dévolutionniste, Neil Kinnock. Des signes avant-coureurs de la reconnaissance chez les travaillistes d’une nouvelle dimension de la question constitutionnelle étaient apparus puisque, le 20 décembre 1988, Donald Dewar avait mené les choses tambour battant en prenant la tête des députés écossais travaillistes qui quittèrent la Chambre des Communes en protestation contre l’incapacité du gouvernement à faire fonctionner la commission spéciale sur les affaires écossaises en raison d’un nombre trop limité de députés conservateurs écossais172.

Outre la crainte ressuscitée d’un nouvel essor électoral nationaliste en Ecosse, la défaite de Govan avait donné une nouvelle impulsion à la question constitutionnelle chez les travaillistes. Mais si la fin des années 1980 avait vu la mobilisation de la société civile autour d’un projet d’assemblée, celui-ci n’avait pas encore rassemblé la population ou les partis politiques, dont les propositions demeuraient contradictoires. La publication du Claim of Right ne mobilisa pas l’opinion publique et la Convention ne représentait certes pas une priorité pour les partis politiques écossais. Un seul évènement permit la reconnaissance de la question constitutionnelle comme prioritaire : la quatrième victoire, inattendue, des conservateurs aux élections législatives de 1992, ou le second « Doomsday scenario », un scénario catastrophe qui ferait trembler tout le paysage politique écossais.

Notes
166.

Brian Taylor, The Scottish Parliament , Polygon, Edimbourg, 1999, p. 36 « un tas d’inepties prétentieuses qui ne peut que faire du mal à l’Ecosse »

167.

Ibid. p. 38 «  Il existait un souhait réel de renforcement de la base et de la coalition mais en même temps de pousser le SNP aux extrêmes, en dehors de la politique traditionnelle »

168.

Ibid. p. 39 « A mesure qu’avançait cette journée de discussions, il apparaissait clairement à l’ensemble des personnes présentes que la convention serait dominée par les travaillistes. Ils auraient une majorité de deux-tiers avec des députés, des conseillers, et des syndicats. Le reste d’entre nous ne serait que purement décoratif »

169.

Susan Deacon, Adopting Conventional Wisdom: Labour’s Response to the National Question , Scottish Government Yearbook, Unit for the Study of Government in Scotland, Edinburgh, 1990, p. 69

170.

« Battus à plates coutures à Govan »

171.

Iain MacWhirter, After Doomsday…The Convention and Scotland’s Consitutional Crisis , Scottish Government Yearbook, Unit for the Study of Government in Scotland 1990, p. 26

172.

La nomination des membres du comité devait refléter les forces électorales des partis à la Chambre des Communes. Or, le nombre de députés conservateurs écossais étant insuffisant, leurs rangs furent complétés par des députés conservateurs de circonscriptions anglaises et galloises.