5 – Le travail de la Convention constitutionnelle écossaise

Réagissant d’abord à l’introduction de la « poll tax » en Ecosse et à la menace nationaliste représentée par la victoire du SNP aux élections partielles de Govan, la Convention continua son travail bon gré mal gré en dépit des difficultés que posait une quatrième victoire des conservateurs. Elle publia ainsi deux rapports ébauchant la composition, les prérogatives et le fonctionnement d’un futur Parlement écossais, l’un en 1990, Towards Scotland’s Parliament, et l’autre en 1995, Scotland’s Parliament, Scotland’s Right. Deux documents qui, comme nous le verrons, constitueront la base du projet de dévolution de 1997.

Suivant les recommandations du Claim of Right, la Convention constitutionnelle, dans un effort de représentativité de la population écossaise, rassembla les principaux partis d’opposition (à l’exception des nationalistes), des délégués d’organisations non-politiques et des représentants de la société civile écossaise. Elle comptait donc parmi ses membres : des délégués du parti travailliste, du parti libéral-démocrate, du parti Vert écossais (Scottish Green Party), du parti communiste (rebaptisé plus tard Democratic Left), du parti social-démocrate, du Co-operative party, du Scottish Trades Union Congress (STUC), des collectivité locales, des principales églises écossaises, de la fédération des petites entreprises (Federation of Small Businesses), de la convention des femmes (Scottish Convention of Women), des organisations culturelles et linguistiques gaéliques et des associations de minorités ethniques. La Convention accueillait également des représentants de divers organismes en tant qu’observateurs, tels que le conseil écossais pour le développement et l’industrie (Scottish Council for Development and Industry), le comité des présidents d’universités (Committee of University Principals) et la Campaign for a Scottish Assembly. Un représentant des professions juridiques vint s’ajouter à cette liste en 1995 seulement.

L’on recensait parmi les élus membres de la Convention en 1990 soixante-deux députés écossais, dont cinquante-cinq députés au Parlement de Westminster et sept députés au Parlement européen, et cinquante-neuf représentants des collectivités locales, parmi lesquels se trouvaient douze membres des conseils des régions et des îles (Regional and Islands Councils) et quarante-sept membres des conseils locaux (District Councils). En outre, chacun des partis représentés avait envoyé un délégué officiel, à l’exception des partis travailliste et libéral-démocrate qui en avaient envoyés respectivement six et onze. Or, cette composition évolua très peu entre 1990 et 1995 et il est important de noter une surreprésentation des élus au détriment des membres non-élus, ainsi qu’une surreprésentation des libéraux-démocrates au regard de leur poids électoral. Soulignons enfin que les délégués de la Convention représentaient dans l’ensemble des secteurs de la vie politique et de la société écossaises déjà favorables à la mise en place d’un projet de dévolution en Ecosse. En excluant malgré elle les partis nationaliste et conservateur ainsi que les secteurs de la société écossaise hostiles à un projet d’autonomie, la Convention ne pouvait pas atteindre son objectif de représentation complète de la société écossaise. Précisons néanmoins que de nombreux nationalistes et conservateurs soutinrent le projet à titre individuel et que la Convention demeure à ce jour un modèle de consensus politique dont le fruit fut largement validé par la population lors du référendum de 1997.

La Convention se réunit sept fois en l’espace de dix-huit mois et sa première réunion eut lieu le 30 mars 1989 dans les locaux où se tiennent habituellement l’Assemblée Générale de l’Eglise d’Ecosse et où devait siéger temporairement le futur Parlement écossais. Présidée conjointement par l’ancien ministre travailliste, Harry Ewing, et l’ancien dirigeant du parti libéral, Sir David Steel, cette première réunion fut l’occasion de la présentation et de la ratification par ses membres d’une déclaration formelle de souveraineté du peuple écossais, connue sous le nom de Claim of Right à l’instar du rapport du comité Grieve évoqué plus haut. Cette déclaration conservait en effet un même ton quasi-nationaliste, rappelant la doctrine écossaise de la souveraineté populaire et défiant implicitement la souveraineté de Westminster, et appelant ses cent cinquante signataires à reconnaître « the sovereign right of the Scottish people to determine the form of Government best suited to their needs »174. Cette déclaration fut assortie d’un discours de même ton par le chanoine Kenyon Wright, président du comité exécutif de la Convention, secrétaire général du conseil des églises écossaises (Scottish Churches Council) et directeur de la Scottish Churches House, défiant l’autorité de Margaret Thatcher et défendant le droit des Ecossais à l’autodétermination :

‘« What if that other single voice we know so well responds by saying, ‘We say No and we are the State’. Well, we say Yes and we are the People! »175.’

Après sept réunions plénières au cours desquelles les membres de la Convention tentèrent péniblement de trouver un consensus, un premier document fut publié et présenté symboliquement le 30 novembre 1990, le jour de la Saint Andrew, saint patron de l’Ecosse. Towards Scotland’s Parliament était un rapport court, d’une vingtaine de pages, rassemblant les premières propositions de la Convention. La modération de ces propositions était certes décevante au regard de la mission que s’était donnée la Convention dans le Claim of Right de 1988 ; si le transfert des pouvoirs correspondait de façon générale au transfert de pouvoirs déjà obtenus par le Scottish Office, de nombreuses questions sensibles telles que la part laissée aux femmes et à la représentation des îles n’avaient pas encore été réglées. Néanmoins, le rapport représentait le fruit d’un consensus difficile et posait des bases importantes pour la création d’un futur Parlement écossais.

Ainsi, la Convention ne put parvenir à un accord sur l’une de ses principales pierres d’achoppement, à savoir l’adoption d’un mode de scrutin. Pomme de discorde importante, le scrutin à la proportionnelle fut défendu ardemment par les libéraux-démocrates mais ils ne parvinrent pas à convaincre militants travaillistes et syndicats, méfiants par rapport à un système électoral qui remettrait en cause l’hégémonie du parti travailliste en Ecosse. Ce parti avait en effet remporté 70% du total des sièges en Ecosse aux élections législatives de 1987 avec 42% seulement des suffrages, soit 50 sièges au lieu de 30 avec un scrutin à la proportionnelle. Sans pouvoir faire de propositions précises quant au mode de scrutin à adopter par un futur Parlement écossais, le rapport délimitait tout de même certains critères à respecter dans le choix du scrutin et préconisait à la fois la simplicité, la proportionnalité, la représentation des femmes, des minorités ethniques et de la population des régions isolées, ainsi que le maintien d’un lien entre un élu et sa circonscription. Nous reviendrons plus tard en détail sur l’adoption d’un mode de scrutin pour le Parlement écossais, mais pour l’heure il suffira de noter que la Convention s’accordait à rejeter le scrutin uninominal à un tour utilisé pour les élections législatives britanniques. De même, le système de financement du futur Parlement écossais d’abord prévu par la Convention s’attira de nombreuses critiques et la Convention fut contrainte de le retirer. Seule la décision d’accorder au Parlement écossais le pouvoir de faire varier l’impôt sur le revenu d’un maximum de 3% survécut aux différentes phases de la Convention, comme nous le verrons plus loin. En revanche, l’accent mis sur les pouvoirs économiques du Parlement écossais dans Towards Scotland’s Parliament s’éroda dans les phases suivantes. Le rapport préconisait l’octroi de pouvoirs économiques stratégiques dans les industries écossaises clés telles que celles du whisky, de l’acier, de l’ingénierie off-shore, du textile et de l’agriculture, et demandait la possibilité de négocier les termes des investissements étrangers en Ecosse, la responsabilité des monopoles et des fusions d’entreprises et le pouvoir de créer une organisation de commerce international. Le livre blanc de 1997 sera beaucoup plus circonspect sur ces points en raison, sans doute, d’un changement d’esprit au parti travailliste et de l’influence des libéraux-démocrates, craignant une politique économique trop interventionniste.

Sans doute encouragés par le retour des conservateurs au pouvoir en 1992, les membres de la Convention connurent une seconde phase de travail plus fructueuse. La mise en place d’une commission constitutionnelle (Constitutional Committee) en novembre 1993, chargée d’étudier les points de contentieux et de faire des propositions précises, vint leur faciliter la tâche. En effet, la commission se réunit une douzaine de fois avant la publication de ses recommandations en octobre 1994 dans un rapport dont s’inspirerait largement les propositions finales de la Convention constitutionnelle écossaise, publiées le 30 novembre 1995 sous le titre Scotland’s Parliament, Scotland’s Right.

Ce dernier document spécifiait les pouvoirs du futur Parlement de façon plus détaillée et comportait, en outre, une copie de l’accord électoral passé le 23 novembre 1995 entre les deux principaux partis d’opposition représentés dans la Convention, à savoir les partis travailliste et libéral-démocrate, dans le but de trouver un terrain d’entente pour le mode de scrutin et la représentation des femmes. Le fruit de ce compromis fut un Parlement de cent vingt-neuf membres dont soixante-treize députés élus au scrutin uninominal à un tour et cinquante-six députés supplémentaires (top-up) assurant une certaine correspondance entre sièges obtenus et vote populaire. La solution à l’épineux problème de la représentation des femmes au Parlement s’était également éloignée du plan rigide originel pour une représentation obligatoire de cinquante pour cent de femmes candidates dans chaque parti et s’orientait désormais vers un accord volontaire entre les différents partis. De plus, la question du financement du Parlement s’arrêtait sur la solution d’une subvention globale suivant le principe britannique d’égalisation des ressources et la formule Barnett que nous étudierons en détail plus loin. Notons également que le ton du document était plus précautionneux que celui de Towards Scotland’s Parliament en ce qui concernait les questions de développement et d’intervention économique, et se voulait rassurant envers le milieu patronal à qui s’adressait la spécification selon laquelle l’impôt sur les sociétés n’augmenterait pas avec la création d’un nouveau Parlement écossais. Il était également précisé que le pouvoir de faire varier l’impôt sur le revenu ne serait utilisé qu’avec la plus grande prudence176.

Bien que certaines questions soient demeurées sans réponses dans le projet de Parlement imaginé par la Convention constitutionnelle écossaise, telles que la représentation écossaise au Parlement de Westminster ou encore les relations entre l’exécutif écossais et Whitehall, le rapport de 1995 représentait un projet très complet, « prêt à l’emploi », et le fruit d’un consensus exceptionnel. Encore fallait-il qu’il fût mis en œuvre par un gouvernement britannique.

Notes
174.

Scottish Constitutional Convention, Towards Scotland’s Parliament , novembre 1990, p. 1 « le droit souverain du peuple écossais à décider du système de gouvernement le mieux adapté à ses besoins ».

175.

Kenyon Wright, The People Say Yes, The Making of Scotland’s Parliament, Argyll Publishing, 1997, p. 52 « Et si cette autre voix singulière que nous connaissons si bien répondait par: ‘Nous disons Non et nous sommes l’Etat’. Et bien nous disons Oui et nous sommes le Peuple ! »

176.

Scottish Constitutional Convention, Scotland’s Right, Scotland’s Parliament , novembre 1995, p. 13 « unlikely to be used without a great deal of caution and prudence »