6 – Retour de la question constitutionnelle au pays de Galles

Le débat sur la dévolution au pays de Galles ne réapparut qu’après la troisième victoire des conservateurs en 1987, lorsque les Gallois votèrent à nouveau majoritairement pour le parti travailliste. La durée du gouvernement conservateur, son impact sur les industries galloises, et tout particulièrement sur l’industrie minière, les réformes corrosives subies par le gouvernement local et la multiplication de « quangos » non-élus contribuèrent à la fois au sentiment d’un déficit démocratique et au retour de la dévolution sur l’agenda politique travailliste au pays de Galles. Le soutien croissant à la dévolution s’organisa donc dès 1987 au sein de la Campaign for a Welsh Assembly (CWA), qui débuta dans la circonscription de Cardiff Central peu après l’élection et rassembla des membres de différents partis politiques.

Les candidats de l’opposition étant tous favorables à la dévolution dans la circonscription de Cardiff Central, ils décidèrent de se réunir régulièrement dans tout le pays de Galles afin d’y relancer le débat et, dès l’automne 1988, l’organisation pouvait se targuer d’avoir créé des sections dans tout le pays. La CWA débuta donc avec le travailliste Jon Owen Jones, les nationalistes Siân Caiach et Siân Edwards, les libéraux-démocrates Mike German et Frank Leavers, et le communiste Bert Pearce. John Osmond fut nommé secrétaire et Jon Owen Jones président. S’inspirant de la Campaign for a Scottish Assembly, désormais prête à établir une Convention constitutionnelle pour y ébaucher un plan d’assemblée écossaise, la CWA appela les vingt-quatre députés gallois à rejoindre l’organisation. Elle se heurta néanmoins à une hostilité considérable au sein du parti travailliste, encore divisé sur la question malgré la conversion de nombreuses figures clés à sa cause, telles que Neil Kinnock, par exemple, anti-dévolutionniste notoire en 1979 et leader du « Gang des Six ». Seuls treize députés signèrent une motion (Commons Early Day Motion) pour la création d’une assemblée galloise, parmi lesquels se trouvaient Gareth Wardell, Brynmor John, Ted Rowlands, Ray Powell, Alun Michael, Rhodri Morgan, Martin Jones, Win Griffiths et Ron Davies. Dans une déclaration à la CWA, ce dernier expliqua qu’il avait changé d’opinion au sujet de la dévolution après avoir lu le slogan suivant sur un pont ferroviaire de sa circonscription de Caerphilly : « ‘We voted Labour – we got Thatcher  »177.

Toutefois, l’enthousiasme de certains députés travaillistes pour la dévolution ne suffit pas à susciter un mouvement favorable aux réformes constitutionnelles au sein du parti travailliste, d’autant plus que l’hostilité au nationalisme s’y aiguisa plutôt lors d’un duel électoral amer entre Kim Howells et les nationalistes à l’élection partielle de Pontypridd en 1989. Plusieurs facteurs encouragèrent les travaillistes à revoir leurs positions : la création en Angleterre d’un mouvement pro-réformiste, favorable à une Constitution écrite et dénonciateur du non-respect des libertés civiles, dit Charter 88, la publication du Claim of Right for Scotland par la Campaign for a Scottish Assembly et la mise en place d’une Convention constitutionnelle écossaise. Malgré quelques résistances locales, la dévolution retrouva sa place sur l’ordre du jour de la Wales Labour Conference de 1990.

Les divisions travaillistes de 1979 ayant profondément marqué les esprits, le mot d’ordre était désormais la recherche de l’unité. Le parti travailliste articula donc son retour aux questions constitutionnelles autour des questions de gouvernement local car, dès 1976, le parti avait appelé à la fusion urgente des conseils régionaux et départementaux (county and district councils) en un conseil unique à un seul tiers et à compétences variées. Cette solution fut réitérée dans le rapport de la consultation menée entre 1988 et 1990 par le parti travailliste gallois, sondant plus de quatre-vingts organisations sur la nécessité de réformer les structures des gouvernements local et régional. Ce rapport proposait en effet la création d’une nouvelle institution élue reprenant les fonctions du Welsh Office. Or, celle-ci ne serait pas l’objet d’un référendum mais d’un engagement formel du parti travailliste dans son manifeste électoral. Ces réformes régionales galloises devaient en outre voir le jour dans le même temps que des réformes régionales en Angleterre.

L’enthousiasme au sein du parti travailliste gallois demeura tout de même limité lors des élections législatives de 1992 pour lesquelles le parti travailliste s’était engagé à mettre en place des mesures de dévolution une fois élu. Malgré sa nouvelle position vis-à-vis de la dévolution, Neil Kinnock, alors dirigeant du parti travailliste, se montrait prudent, tout comme son Shadow Secretary of State for Wales, Barry Jones. La quatrième défaite des travaillistes aux élections législatives fut donc l’élément déclencheur d’une réelle prise de conscience au sein du parti travailliste gallois de l’importance de la dévolution. Trois événements contribuèrent à relancer le projet : dans un premier temps, le Wales TUC vota une résolution lors de sa conférence annuelle, appelant à créer une Convention constitutionnelle galloise sur le modèle de son homologue écossaise et publia même un document délimitant la structure de cette Convention ; puis, inquiet de cette initiative et du spectre d’une nouvelle collaboration multipartisane sur un projet de dévolution au pays de Galles, l’exécutif du parti travailliste gallois établit sa propre commission constitutionnelle en juin 1992 (Constitutional Policy Commission), chargée de réexaminer et de remettre à jour la politique travailliste de dévolution au pays de Galles ; enfin, John Smith, nouveau dirigeant du parti travailliste et dévolutionniste convaincu, nomma Ron Davies, pro-dévolutionniste comme lui, Shadow Secretary of State for Wales.

Davies avait la mission délicate de faire des propositions satisfaisant à la fois le gouvernement local gallois, craignant que le gouvernement n’adopte une politique trop centralisatrice, et le parti travailliste britannique, inquiet qu’une assemblée galloise ne divise le parti. Il dut donc rechercher une politique consensuelle dont la première étape prit la forme d’un document signé par l’ensemble du parti, No Devolution – No Deal. En outre, la commission constitutionnelle du parti travailliste publia bientôt son premier rapport intérimaire: The Welsh Assembly, The Way Foward, 1993. Le parti le reçut avec circonspection et demanda une étude plus détaillée de la structure et des pouvoirs de la future assemblée. De telles précautions étaient nécessaires au regard du manque de soutien pour la mise en place d’une convention constitutionnelle car elle ne manquerait pas d’impliquer le parti nationaliste avec qui les travaillistes ne souhaitaient pas être associés. Ces craintes furent par ailleurs illustrées par les sévères réprimandes reçues par trois députés gallois présents à la conférence de la Parliament for Wales Campaign de mars 1994 car l’exécutif du parti considérait la campagne trop proche des positions nationalistes. La dévolution demeurait l’objet de nombreuses divisions.

Le décès prématuré de John Smith et son remplacement à la tête du parti travailliste par Tony Blair coïncidèrent avec la publication d’un projet de consultation par la commission constitutionnelle du parti, Shaping the Vision, soulevant trois questions principales : la question des pouvoirs de variation de l’impôt de la future assemblée, celle de la législation primaire et, enfin, le choix d’un mode de scrutin. Pour tenter d’y répondre, il fut décidé que la commission tiendrait une série de six réunions de consultation publique dans tout le pays de Galles. Toutefois, celles-ci furent tenues pendant la journée et en semaine, limitant le taux de participation. Si la nomination de Blair à la tête du parti avait pu soulever des doutes quant à son positionnement réel vis-à-vis de la dévolution, ces doutes furent exacerbés lors de l’année suivante. En effet, il semblait que pour les plus enthousiastes, comme Ron Davies par exemple, le chemin menant à la dévolution serait désormais plus cahoteux.

Le Wales TUC, soucieux que la question constitutionnelle ne devienne une « diversion » trop importante et n’empêche les travaillistes de gagner les prochaines élections, adressa à cette période un avertissement à la commission constitutionnelle. Ces craintes furent en partie confirmées par les déclarations de John Major en décembre 1994, affirmant sa détermination à contrer les projets de dévolution des travaillistes et menaçant d’en faire un thème électoral important. Cela renvoyait les travaillistes sur la défensive et induisait des doutes quant au projet de dévolution. S’il était impossible de faire marche arrière dans le cas de l’Ecosse, il était encore temps de lever le pied au pays de Galles. La réunion de la commission constitutionnelle à Transport House, Cardiff, en mars 1995, et celle de South Glamorgan County Hall le mois suivant, furent donc l’occasion d’un bras de fer opposant dévolutionnistes enthousiastes, tels que Ron Davies et Rhodri Morgan, et sceptiques, tels que Kim Howells, Terry Thomas et Wayne David. Bien que Davies ait ardemment défendu l’idée d’un scrutin à la proportionnelle dans la future assemblée galloise afin d’assurer la légitimité de celle-ci et, par conséquent, sa protection contre Westminster, l’argument ne fut adopté ni par la commission, ni par l’exécutif du parti. En mai 1995, Shaping the Vision fut donc approuvé tel quel à la conférence annuelle du parti travailliste sans qu’il n’y ait de véritable débat. Le parti rejeta l’idée de pouvoirs législatifs primaires, adopta le scrutin uninominal à un tour, et déclara que des mesures devraient être prises pour que la représentation des femmes à l’assemblée soit assurée. L’avantage était donc clairement aux dévolutionnistes « minimalistes », pour utiliser l’expression de Kevin Morgan et Geoff Mungham178.

Les réactions ne tardèrent pas et un groupe de pression interne au parti travailliste visant à faire campagne pour une approche plus radicale fut formé, dirigé par Gareth Hughes, membre à la fois de la commission et de l’exécutif du parti. Ce groupe reçut le soutien de nombreuses personnalités internes au parti, telles que Rhodri Morgan, Eluned Morgan et David Morris, de syndicats et de sections locales du parti travailliste. Par ailleurs, Ron Davies avait fait directement appel aux dirigeants des syndicats gallois et obtenu le soutien de George Wright, secrétaire régional de la TGWU (Transport and General Workers’ Union), et de Derek Gregory, secrétaire régional de Unison, syndicat du secteur public. Or, le soutien des syndicats était essentiel puisque ceux-ci dominaient l’exécutif. Ainsi, lors d’une réunion de l’exécutif en septembre 1995, il fut convenu de rouvrir le dossier du mode de scrutin de l’assemblée et de lui donner davantage de pouvoirs, dont notamment celui de réformer les « quangos ». La conférence du parti travailliste de 1996 vit donc une avancée considérable du projet d’assemblée, puisque le nouveau rapport, Preparing for a New Wales : A Report on the Structure and Workings of the Welsh Assembly, défendait une approche plus consensuelle. Tony Blair s’étant converti à l’idée d’un élément de proportionnalité dans le mode de scrutin de l’assemblée, l’exécutif du parti put bientôt commander un nouveau rapport à la commission incluant un élément de proportionnalité. Après une série de consultations impliquant CBI (Confederation of British Industry) Wales, le Wales TUC, le parti travailliste gallois, la Welsh Local Government Association, et autres, la commission proposa enfin de réduire l’assemblée à soixante membres élus grâce au scrutin à membre additionné (Additional Member System). Un projet approuvé à l’unanimité à la conférence annuelle du parti travailliste de 1997. Il ne restait plus qu’à convaincre la population galloise.

Notes
177.

Leighton Andrews, Wales Says Yes, The Inside Story of the Yes for Wales Referendum, Seren books, 1999, p. 56 « Nous avons voté travailliste – Nous avons eu Thatcher »

178.

J. Barry Jones & Denis Balsom, The Road to the National Assembly for Wales , University of Wales Press, Cardiff, 2000, p. 40 “minimalists”