Chapitre V De la théorie à la pratique :

La fondation des nouvelles arènes politiques écossaise et galloise 

I – Le Scotland Act et le Government of Wales Act 1998

Lorsque John Major choisit de fixer la date des élections législatives de 1997 au 1er mai, correspondant au 290ème anniversaire de l’union des parlements écossais et anglais, il annonçait sa détermination à faire de la réforme constitutionnelle l’un des thèmes majeurs de sa campagne, persuadé de marquer des points en se faisant le principal défenseur de l’Union. Ces élections représentèrent en fait le chant du cygne des conservateurs en Ecosse et au pays de Galles car ces derniers ne remportèrent aucun siège dans ces deux nations avec 17,5% des voix seulement en Ecosse et 19,6% au pays de Galles. Le parti travailliste remporta les élections par une écrasante majorité avec 43,2% des voix et 419 sièges (45,6% des voix en Ecosse et 56 sièges, ainsi que 54,7% des voix et 34 sièges au pays de Galles) contre 30,7% des voix et 165 sièges seulement pour les conservateurs. Mais la dévolution était-elle véritablement la clef de ces élections ?

Si les élections législatives de 1997 représentent le nadir d’un long déclin des conservateurs dans les années 1980 et 1990 en Ecosse et au pays de Galles, il faut toutefois noter que ces derniers furent handicapés par le système du scrutin majoritaire à un tour, dont ils furent paradoxalement les plus ardents défenseurs mais dont les résultats ci-dessous font apparaître toute l’inadéquation. En effet, les conservateurs n’obtinrent aucun siège avec près de 20% des voix au pays de Galles et 17,5% en Ecosse tandis que les libéraux-démocrates et Plaid Cymru remportaient plusieurs sièges avec des scores inférieurs.

Tableau 19 - Résultats des élections législatives de 1997 en Ecosse et au pays de Galles
  Ecosse Pays de Galles
% des voix Sièges % des voix Sièges
travaillistes 45,6 56 54,7 34
conservateurs 17,5 0 19,6 0
SNP/Plaid Cymru 22,1 6 9,9 4
libéraux-démocrates 13 10 12,4 2

Source : résultats compilés d’après www.psr.keele.ac.uk

De plus, si la dévolution fut naturellement l’un des thèmes de la campagne des législatives de 1997, elle ne domina pas le débat politique. Les travaillistes voulurent se montrer prudents au regard d’une politique représentant sans doute leur plus grande divergence avec le parti conservateur lors de cette campagne et ne manquèrent jamais d’inclure la dévolution dans un vaste ensemble de réformes constitutionnelles visant à « moderniser » le Royaume-Uni. Les conservateurs n’eurent finalement que peu d’occasions de soulever la question, tout occupés qu’ils étaient par des affaires de corruption dans un premier temps, puis des divisions au sein du parti sur l’Europe et sur la monnaie unique. Si John Major termina néanmoins sa campagne sur le thème de la défense de l’Union avec un slogan au pessimisme sous-jacent (« 72 hours to save the Union »), la dévolution ne fut en aucun cas l’élément déterminant des élections. Ecossais et Gallois partageaient en effet les mêmes préoccupations que le reste des Britanniques, à savoir la résorption du chômage, ainsi que l’amélioration des systèmes de santé et d’éducation. Un sondage ICM pour le quotidien The Scotsman du 17 mars 1997 classait en outre la dévolution au septième rang des préoccupations des Ecossais179.

L’une des « dix bonnes raisons d’applaudir », comme le titrait le Daily Record 180 au lendemain des élections législatives, était certainement que la victoire travailliste marquait un tournant dans la politique du pays, gouverné par le parti conservateur depuis 1979, et annonçait de profonds bouleversements politiques et institutionnels. Le pays était certes en mal de réformes institutionnelles car l’idée de l’existence d’un déficit démocratique en Grande-Bretagne s’était répandue en Ecosse et au pays de Galles après que ces deux nations aient vécu les politiques de réformes économiques et sociales d’un parti conservateur pour lequel elles n’avaient pas voté. Le modèle de Westminster, jugé inégalitaire et obsolète, sera par conséquent pris à contre-pied par les auteurs du projet de dévolution.

L’élaboration du projet permettra ainsi à l’Ecosse et au pays de Galles de se réinventer dans leur mode de fonctionnement institutionnel et de créer une politique plus ouverte, participative et égalitaire. Les auteurs de la Convention constitutionnelle écossaise auront à cœur d’octroyer une place centrale à la consultation et à la participation du public dans le travail du Parlement écossais, une idée reprise pour la nouvelle assemblée galloise, afin de créer une politique distincte à l’image de sa population. La singularité des choix politiques écossais et gallois sera néanmoins limitée  par les contrepoids imposés par le gouvernement central. Nous verrons qu’il imposera de nombreux garde-fous et qu’il gardera des réflexes centralisateurs en introduisant des mécanismes assurant la souveraineté de Westminster. Une étude des textes de loi fondateurs des nouvelles institutions écossaise et galloise nous permettra de discerner les possibilités de conflits entre Westminster et les nouvelles institutions et leur souhait éventuel de s’affranchir du pouvoir central à Londres.

Notes
179.

ICM poll, The Scotsman , 17 mars 1997, www.scotsman.co.uk

180.

Daily Record , 2 mai 1997, « Ten Good Reasons to Cheer ».