Une fois élus, les travaillistes se mirent rapidement au travail. Le projet de loi visant à l’organisation de deux référendums sur la dévolution, en Ecosse et au pays de Galles, fut publié dès le 14 mai 1997, lendemain de l’ouverture de la nouvelle session parlementaire par la Reine. Le Referendums Bill (Scotland and Wales), bien que considérablement amendé par les conservateurs lors de son passage dans les deux chambres, fut finalement adopté à la fin du mois de juillet. La question des référendums avait, comme nous le verrons par la suite, suscité de vifs débats dans toute la classe politique lors de la campagne, y compris au sein du parti travailliste. Néanmoins, le projet de référendums avait permis aux travaillistes de se défendre des attaques de leurs opposants sur la dévolution, et notamment sur la question fiscale, pendant toute la campagne. La dévolution, si elle avait lieu, serait l’expression de la volonté démocratique des Ecossais comme l’avait exprimé John Smith dans son désormais célèbre « the settled will of the Scottish people ».
Enfin, le nouveau secrétaire d’Etat pour l’Ecosse, Donald Dewar, présenta le livre blanc pour le futur Parlement écossais, Scotland’s Parliament, le 24 juillet. Scotland’s Parliament présentait en une quarantaine de pages les grandes lignes du projet de dévolution élaboré par la Convention constitutionnelle écossaise et adopté par le parti travailliste. Le Parlement écossais serait composé de cent vingt-neuf membres directement élus par un scrutin à membre additionné, dit « Additional Member System » ou A.M.S. Soixante-treize de ces membres seraient élus dans les soixante-douze circonscriptions électorales parlementaires (Orkney et Shetland se scindant désormais en deux circonscriptions) au scrutin uninominal à un tour tandis que les cinquante-six membres restants seraient élus à la proportionnelle, à raison de sept membres élus pour chacune des huit circonscriptions régionales utilisées pour les élections européennes. Les membres du Parlement écossais, désormais appelés MSPs, seraient élus pour quatre ans. Il y aurait en outre un exécutif écossais distinct mené par un First Minister et comprenant divers autres ministres, deux « law officers », le Lord Advocate et le Solicitor-General for Scotland. Le First Minister serait nommé directement par la Reine suivant son élection au Parlement écossais. Le Parlement pourrait être dissous et des élections législatives extraordinaires organisées à la condition qu’une majorité des deux tiers du Parlement y soit favorable ou alors dans le cas exceptionnel où le Parlement serait dans l’incapacité d’élire un First Minister sous 28 jours. En cas de dissolution, les élections législatives, normalement organisées après une période de quatre ans, seraient maintenues excepté si la période entre les deux élections était inférieure à six mois. La majeure partie du financement du Parlement proviendrait de l’allocation d’un budget global annuel (block grant) par le secrétaire d’Etat pour l’Ecosse calculé selon la formule Barnett ; mais le Parlement aurait le pouvoir de faire varier le taux de référence de l’impôt sur le revenu à hauteur de trois pence par livre sterling. De plus, comme le Parlement serait responsable du financement des collectivités locales, il pourrait s’assurer un budget plus important en réduisant ses allocations budgétaires vers les collectivités locales. Le Parlement pourrait également, s’il le souhaitait, abolir la taxe d’habitation (council tax) en Ecosse pour la remplacer par une autre forme d’imposition ou transférer la responsabilité de certaines formes d’imposition aux collectivités locales (non-domestic rate, uniform business rate).
Le livre blanc comportait significativement plusieurs références au Scotland Act 1978 au regard des pouvoirs transférés, indiquant de ce fait la volonté du gouvernement de se démarquer du modèle de « pouvoirs transférés » (transferring model) que les travaillistes avaient choisi en 1978 pour adopter au contraire le modèle de « pouvoirs retenus » (retaining model). Le gouvernement justifiait ce choix en arguant que le modèle de « pouvoirs transférés » adopté pour le Scotland Act 1978 rendait celui-ci fort complexe et aurait nécessité de fréquentes mises à jour pour toute nouvelle législation ou amendement si toutefois il avait été mis en œuvre181. Cette option aurait du reste mené à de nombreux litiges judiciaires visant à décider si la législation prise par le Parlement l’avait été dans le cadre de ses pouvoirs (intra vires) ou non (ultra vires). Enfin, il existait au Royaume-Uni des précédents du modèle de « pouvoirs retenus » dans le Government of Ireland Act de 1920 et le Northern Ireland Constitution Act de 1973.
Or, la Convention constitutionnelle écossaise, ayant adopté dès ses débuts le principe de souveraineté des Ecossais comme nous l’avons noté précédemment, privilégia d’emblée l’idée d’un modèle constitutionnel de « pouvoirs retenus ». En effet, ses auteurs précisaient dès 1990:
‘« The type of statute which sits most easily with that principle is the retaining one ; it reflects a constitutional settlement in which the Scottish people, being sovereign, agree to the exercise of specified powers by Westminster but retain their sovereignty over all other matters »182.’Les membres de la Convention craignirent longtemps que le gouvernement ne soit réticent à l’idée de trop décentraliser de pouvoirs en adoptant un modèle similaire au Government of Ireland Act 1920, mais les rapports de la Convention constitutionnelle et de la Constitution Unit 183 furent suffisamment convaincants. Cela ne signifie pas pour autant que le gouvernement ait décidé de « décentraliser sans compter ». L’avant-propos du livre blanc écrit par Donald Dewar donne par ailleurs d’emblée le ton du texte : « Scotland will remain firmly part of the United Kingdom »184. Le contraste avec le ton quasi-nationaliste des rapports de la Convention est immédiatement frappant.
Rappelons en outre que la doctrine de souveraineté du Parlement à Westminster signifie qu’il demeure l’institution législative suprême au Royaume-Uni et détient théoriquement l’ultime pouvoir législatif comme le soulignent l’article 4(2) du livre blanc puis l’article 28(7) du Scotland Act 1998: « The UK Parliament is and will remain sovereign in all matters »185. En théorie les lois prises par le Parlement ne peuvent être invalidées même par la plus haute cour du pays, la Chambre des Lords. Il s’agit d’une différence fondamentale avec des états fédéraux tels que les Etats-Unis et l’Allemagne où il existe une constitution écrite et une cour suprême capables de rendre invalide toute loi contraire à la constitution. Certes, la souveraineté du Parlement à Westminster a été quelque peu modifiée par son adoption de la Constitution Européenne, mais il reste qu’en théorie toute institution législative créée par le Parlement lui demeure subordonnée et n’est en aucun cas indépendante. En pratique, cependant, il paraît peu probable que le Parlement intervienne dans les affaires du Parlement écossais, si toutefois il demeure populaire, et courre le risque de s’attirer les foudres de l’électorat écossais.
Le Scotland Act 1998, ayant obtenu le sceau royal le 19 novembre 1998, comporta donc à terme plusieurs articles visant à réitérer la souveraineté du Parlement à Westminster, parmi lesquels l’article 28 établissant que le pouvoir de Westminster de légiférer pour l’Ecosse demeurait inchangé, ainsi que l’article 29 et l’annexe 4, énumérant un certain nombre de clauses protégées de toute modification par le Parlement écossais. Par conséquent, le Parlement écossais jouit aujourd’hui du pouvoir d’amender ou d’annuler toute loi prise par le Parlement de Westminster dans des domaines décentralisés mais dans le cadre de certaines limites : le Parlement écossais ne peut, par exemple, amender les articles 4 et 6 de l’Acte d’Union de 1707 relatifs à la liberté de commerce, ou encore modifier plusieurs sections du European Communities Act de 1972 concernant l’adhésion du Royaume-Uni à l’Union Européenne. Le Lord Advocate ne peut non plus être destitué de son poste par le Parlement afin d’assurer l’indépendance du système judiciaire écossais. L’intégralité du Human Rights Act et du Scotland Act est enfin protégée, ainsi que les domaines réservés et les règles de droit commun relatives aux domaines réservés.
En outre, le Scotland Act comporte certaines clauses visant à s’assurer que le Parlement écossais n’outrepasse pas la limite de ses pouvoirs. Le rôle du Presiding Officer est avant tout de s’assurer que tout projet de loi au Parlement écossais est intra vires. Le Presiding Officer ne pourra demander le sceau royal pour toute nouvelle législation prise par le Parlement qu’après quatre semaines. Entre-temps, les Scottish law officers pourront présenter une partie seulement ou l’intégralité de la nouvelle législation au Judicial Committee of the Privy Council afin de décider si cette législation est du ressort du Parlement écossais ou non. Il pourra également intervenir dans le cas d’un litige après que le sceau royal ait été accordé. Le Judicial Committee of the Privy Council assumera donc le rôle d’une cour constitutionnelle quant aux questions relatives à la dévolution, au détriment de la Chambre des Lords. En effet, la Chambre des Lords fait partie intégrante des institutions législatives britanniques et est présidée par un membre du gouvernement, le Lord Chancellor. Cela poserait problème dans le cas d’un litige entre Westminster et le Parlement écossais. Le Appellate Committee of the House of Lords est du reste majoritairement composé de juges anglais alors que la composition du Judicial Committee of the Privy Council est plus flexible et comprend en général un certain nombre de juges écossais. Enfin, l’article 35 du Scotland Act prévoit que le secrétaire d’Etat pour l’Ecosse peut empêcher le Presiding Officer de demander le sceau royal pour un projet de loi s’il pense que le projet est soit ultra vires, soit incompatible avec les obligations internationales du Royaume-Uni pour des questions de défense, de sécurité ou autres. Le rôle du secrétaire d’Etat pour l’Ecosse et du nouveau Scotland Office est d’assurer la liaison entre le Parlement et le Cabinet ministériel britannique, une position délicate si l’on considère que le porte-parole principal de l’Ecosse est désormais son First Minister. La nouvelle définition du rôle du secrétaire d’Etat pour l’Ecosse telle qu’elle fut présentée dans le Scotland Act manquait donc d’emblée de crédibilité et laissait présager des possibilités de conflits importants entre Edimbourg et Westminster si toutefois l’article 35 était mis en œuvre. De la même façon, d’autres conflits pourraient bien éclater entre Edimbourg et Westminster si par exemple les juges écossais du Judicial Committee déclaraient une loi intra vires tandis que les juges non-écossais affirmaient l’inverse.
La Convention constitutionnelle s’était limitée, s’agissant des domaines réservés à Westminster, aux questions de défense, d’affaires étrangères, d’immigration, de nationalité et de sécurité sociale ainsi qu’aux domaines macroéconomique et fiscal. Le livre blanc ajouta à cette liste la Constitution du Royaume-Uni, les marchés communs aux produits britanniques et les services, la législation du travail, la réglementation de certaines professions, la sécurité et la réglementation des transports ainsi que certains aspects de la culture et des médias, l’avortement et l’égalité des chances.
Si les domaines réservés à Westminster sont énumérés de manière très précise (dix-huit pages) dans l’annexe 5 du Scotland Act, tout ce qui ne fait pas partie de cette liste relève par déduction de la compétence du Parlement écossais, à savoir les domaines de la santé et du logement, l’assistance sociale, l’éducation et la formation professionnelle, la recherche et les statistiques, la sécurité et les affaires internes, les transports, le développement économique, les collectivités locales, la culture et les sports, l’agriculture, la pêche et la sylviculture. Certes, la plupart de ces pouvoirs faisaient déjà partie des prérogatives du Scottish Office avant leur transfert vers le Parlement écossais (hormis sa nouvelle compétence fiscale), mais le contraste entre la flexibilité des pouvoirs du Parlement écossais et la stricte définition des domaines réservés à Westminster signifie que les premiers sont susceptibles de se développer au fil du temps. Ainsi le nouveau Parlement sera sans doute amené à revêtir une importance législative croissante en Ecosse.
Finalement, si le Scotland Act de 1998, dans sa définition des pouvoirs accordés au nouveau Parlement écossais, insiste plus lourdement sur la souveraineté de Westminster et fait montre d’une plus grande prudence que les rapports de la Convention constitutionnelle, le choix d’un modèle de « pouvoirs retenus » et la pratique politique laissent déjà présager le développement des compétences du Parlement. Nous verrons qu’en dépit des garde-fous imposés par Westminster, le Parlement écossais, par sa légitimité démocratique et son fonctionnement, reflet de la société écossaise moderne, sera garant de sa propre pérennité en devenant la nouvelle expression politique et démocratique de la nation écossaise.
The Scottish Office , Scotland’s Parliament , H.M.S.O., juillet 1997, p. 12
1 82 Scottish Constitutional Convention, Towards Scotland’s Parliament , op. cit. « Le type de statut qui s’accorde le mieux avec ce principe est celui de pouvoirs retenus ; il correspond à un cadre constitutionnel dans lequel les Ecossais, souverains, acceptent l’exercice de certains pouvoirs spécifiques par Westminster tout en conservant leur souveraineté dans tout autre domaine »
Constitution Unit, Scotland’s Parliament : Fundamentals for a New Scotland Act , University College, London, 1996.
184 The Scottish Office, Scotland’s Parliament , op. cit. p. VII. « L’Ecosse demeurera fermement au sein du Royaume-Uni »
185 Ibid. p. 12