B – Innovations constitutionnelles au pays de Galles

Le Government of Wales Act 1998 est, quant à lui, à l’origine d’une forme de dévolution exécutive sans précédent au Royaume-Uni. Il permet le transfert vers la nouvelle Assemblée des pouvoirs exécutifs détenus jusqu’alors par le gouvernement central, tels que l’octroi d’allocations budgétaires, le développement et la mise en application de nouvelles lois, ou encore la détermination d’objectifs et le contrôle des institutions publiques. L’Assemblée n’est donc pas législative puisqu’elle n’est pas en droit de passer de législation primaire, mais elle peut décider de législation secondaire dans le cadre des fonctions qui lui sont attribuées dans le Government of Wales Act de 1998. Notons par ailleurs que celles-ci seront considérablement développées dans le Government of Wales Act de 2006, comme nous le verrons plus loin. L’Assemblée peut en outre proposer des projets de loi à Westminster (private bills) et doit être consultée pour tout projet de loi impliquant le pays de Galles. Elle dispose de fonctions gouvernementales dans dix-huit domaines qui lui sont transférés par le secrétaire d’Etat pour le pays de Galles au nom de la Couronne. Ces fonctions sont transférées à l’Assemblée dans son ensemble et non à quelques uns de ses membres individuels. L’ensemble de l’Assemblée est ainsi responsable des décisions qui sont prises en son sein et il est attendu de tous ses membres qu’ils contribuent à la prise de décisions informées et ciblées et qu’ils apportent transparence et accessibilité au fonctionnement de l’Assemblée.

L’Assemblée comprend soixante membres directement élus selon le même mode de scrutin semi-proportionnel que le Parlement écossais : quarante de ses membres sont élus dans les circonscriptions électorales parlementaires au scrutin uninominal à un tour et vingt autres par le système du membre additionné, soit quatre membres pour chacune des circonscriptions régionales utilisées pour les élections européennes. Les membres de l’Assemblée (Assembly Members, ou AMs) sont élus pour une période de quatre ans et le Government of Wales Act ne fait aucune mention d’une possibilité de dissolution.

A son origine, le Government of Wales Act prévoyait que l’Assemblée ne comporterait pas d’exécutif distinct mais nous verrons ultérieurement qu’elle s’exprima favorablement à l’idée de marquer cette distinction en février 2002. La première responsabilité de l’Assemblée consistera en l’élection d’un Presiding Officer, dont les fonctions seront proches de celles de Speaker à Westminster et un Deputy Presiding Officer, équivalent du Deputy Speaker. L’Acte stipule en outre qu’un First Secretary (Prif Ysgrifennydd y Cynulliad en gallois) devra être élu à l’Assemblée sous vingt-huit jours. Il ne sera pas élu de la même façon que le First Minister écossais car seul le leader du parti majoritaire à l’Assemblée pourra prendre les fonctions de First Secretary. Il sera le leader politique de l’Assemblée et aura des fonctions semblables à celles d’un Premier ministre. De plus, il sera chargé de nommer les Secrétaires à l’Assemblée, dits Assembly Secretaries (Ysgrifenyddion y Cynulliad en gallois). Lorsque l’Assemblée fut d’abord constituée, il était entendu que le First Secretary serait également secrétaire d’Etat pour le pays de Galles afin d’assurer une continuité gouvernementale. Ron Davies, l’un des pères fondateurs de la dévolution au pays de Galles et secrétaire d’Etat pour le pays de Galles lors de l’arrivée au pouvoir du premier gouvernement Blair était par ailleurs le First Secretary présumé après la victoire du « oui » au référendum. Néanmoins, il dut donner sa démission au Cabinet ministériel travailliste après un scandale touchant à sa vie privée et fut remplacé par Alun Michael. Ce n’est qu’après le départ chaotique d’Alun Michael, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir, que les postes de secrétaire d’Etat pour le pays de Galles et de First Secretary furent divisés.

Le First Secretary est donc le leader de l’Assemblée et de l’Exécutif. Il est chargé d’assurer la liaison entre l’Assemblée et le secrétaire d’Etat pour le pays de Galles afin de contribuer à l’ébauche de projets de loi concernant le pays de Galles à Westminster. Il demeurera le leader du parti majoritaire au pays de Galles et devra s’assurer de la mise en œuvre de son manifeste électoral. De la même façon qu’un Premier ministre, il devra également représenter l’Assemblée à Westminster, en Europe et dans le monde, assurer l’équivalent d’un « Prime Minister’s question time » à l’Assemblée et y faire une intervention formelle annuelle lors de laquelle il exposera son programme. Notons par ailleurs que le titre officiel de First Secretary deviendra First Minister à partir d’octobre 2000 lors de la première coalition entre les travaillistes et les libéraux. Le titre de « Secrétaire » avait été délibérément choisi car l’Assemblée galloise ne disposait pas de pouvoirs législatifs et exécutifs aussi importants que ceux accordés en Ecosse ou en Irlande du Nord. La traduction galloise de First Minister, Prif Weinidog, était également jugée problématique à l’époque car elle était la même pour « Prime Minister ». Il s’agissait donc d’éviter toute confusion avec le Premier ministre britannique. Précisons en outre que les Assembly Secretaries sont aujourd’hui nommés Cabinet ministers. Tous les nouveaux titres seront officiellement adoptés par le Government of Wales Act de 2006. Par souci de cohérence, nous utiliserons désormais les nouveaux titres.

L’Assemblée est chargée de créer un certain nombre de commissions (subject committees) dont la composition doit refléter les forces électorales des divers partis représentés à l’Assemblée. La commission exécutive, semblable au Cabinet ministériel britannique, est quant à elle composée du First Minister et de huit Assembly Ministers, soit neuf membres. Les fonctions de ces derniers sont par ailleurs définies et transférées par le First Minister pour chacun des domaines dont l’Assemblée est désormais responsable. Chaque Assembly Minister est responsable de son département et le First Minister est responsable de la commission exécutive dans son ensemble. Les Standing Orders à l’Assemblée prévoient en outre que les membres de la commission exécutive sont responsables devant l’Assemblée et que les membres de l’Assemblée peuvent leur poser des questions soit directement, soit par écrit. Le poste ministériel le plus important est celui de ministre du Développement économique car il est responsable de la politique de l’emploi et de la promotion du pays de Galles dans le monde des affaires et de la finance. Rhodri Morgan, First Minister depuis le 9 février 2000, fut par ailleurs le premier ministre du Développement économique. Enfin, le poste de Business Minister revêt également une importance particulière car il correspond peu ou prou au poste de leader de la Chambre des Communes et il est assorti des responsabilités de Chief Whip à l’Assemblée.

L’article 22 du Government of Wales Act de 1998 prévoit un Transfer Order selon lequel quasiment tous les pouvoirs du secrétaire d’Etat pour le pays de Galles seront transférés à l’Assemblée. Les fonctions du Welsh Office étant transférées, il ne reste plus que deux ministres responsables des questions galloises : le secrétaire d’Etat pour le pays de Galles et un junior minister, dont les bureaux sont à Cardiff et à Londres. Le junior minister est à la tête d’un Welsh Office Bill Team chargé d’examiner toute proposition de loi concernant le pays de Galles. Le secrétaire d’Etat pour le pays de Galles conserve quant à lui des fonctions importantes. En effet, il est chargé de représenter les intérêts gallois au Cabinet ministériel britannique et de superviser le passage par toutes les étapes de la procédure législative de projets de loi concernant le pays de Galles. Il doit également être présent pour répondre à toute question relative au pays de Galles lors du « Prime Minister’s question time »au Parlement. Il doit négocier lui-même avec le Trésor britannique pour obtenir des fonds supplémentaires et des subventions européennes, et est responsable de l’allocation du budget global au pays de Galles qu’il transmet à l’Assemblée après en avoir déduit les frais du Welsh Office. Il doit se rendre à l’Assemblée au moins une fois par an et doit s’enquérir du programme législatif de l’année afin qu’il soit inclus dans l’intervention annuelle de la Reine au Parlement (Queen’s Speech). Néanmoins, il ne peut siéger dans les commissions et sous-commissions et n’a pas le droit de voter à l’Assemblée s’il n’est pas membre de l’Assemblée, bien que l’Assemblée doive en ce cas lui transmettre toute information dont il a besoin.

Tout n’est pas mentionné dans le Government of Wales Act cependant, et le fonctionnement quotidien de l’Assemblée est surtout régi par les Standing Orders pris par le secrétaire d’Etat pour le pays de Galles sur les recommandations d’une commission nommée par lui. Ces recommandations furent pour la plupart inspirées du rapport d’avril 1998 du National Assembly Advisory Group, National Assembly for Wales : Have your Say on how it will Work, dont les membres furent eux aussi nommés par le secrétaire d’Etat pour le pays de Galles. Une série de concordats bilatéraux régissent du reste les relations entre l’Assemblée et les départements de Whitehall. Ces concordats sont nécessaires à plus d’un titre car la création de l’Assemblée signifie que des fonctionnaires travaillant autrefois dans un même système administratif doivent aujourd’hui répondre à des institutions exécutives différentes avec parfois des objectifs et des priorités différents. Les concordats visent donc à apaiser les tensions pouvant apparaître et à redéfinir les relations entre l’Assemblée et le gouvernement central. Enfin, le quotidien de l’Assemblée est également régi par une série de codes de déontologie ou guides ayant trait au comportement des membres au sein de l’Assemblée, à l’accès du public à l’information, ou encore aux relations entre employés et membres de l’Assemblée.

Contrairement au Scotland Act, les fonctions de la nouvelle Assemblée galloise sont spécifiquement énumérées dans l’annexe 2 du Government of Wales Act selon le modèle des « pouvoirs transférés ». Les pouvoirs du secrétaire d’Etat pour le pays de Galles transférés vers l’Assemblée sont les suivants : l’agriculture et la pisciculture, la culture, le développement économique, l’éducation et la formation professionnelle, l’environnement, la santé, le réseau routier, le logement, l’industrie, les collectivités locales, les services sociaux, les sports, le tourisme, l’aménagement du territoire, les transports, l’eau et la langue galloise. En outre, l’Assemblée galloise jouit du pouvoir de s’octroyer les fonctions des services sanitaires et sociaux gallois ou de les supprimer si elle le souhaite en vertu de l’article 27 du Government of Wales Act 1998. Elle est en droit de faire de même avec quarante-quatre autres organisations énumérées dans l’annexe 4 en vertu de l’article 28 du Government of Wales Act.

La réforme des organisations quasi-gouvernementales au pays de Galles était en effet l’un des principaux avantages avancés pendant la campagne pour une Assemblée galloise. La création d’une Assemblée exécutive directement élue représente l’opportunité de réduire le nombre et l’influence de ces organisations, responsables d’un tiers des dépenses budgétaires du Welsh Office. L’amélioration de la performance et de la transparence des quangos occupe par conséquent une part importante des provisions du Government of Wales Act.

Fidèle au livre blanc, la loi de 1998 reconnaît que la substitution pure et simple des quangos par l’Assemblée, comme il l’avait été suggéré, serait contreproductive. De nombreux quangos sont une source d’information et d’expertise importante et il est souhaitable que ces organisations demeurent indépendantes. Le texte législatif apporte néanmoins certaines des réformes principales des quangos gallois avec, notamment, la suppression de Housing for Wales (Tai Cymru) et le transfert de ses fonctions à l’Assemblée, le développement des fonctions de la Welsh Development Agency (WDA) afin de lui permettre d’agir tant au plan social qu’économique, et, enfin, son absorption des fonctions de la Land Authority for Wales et du Development Board for Rural Wales. La Welsh Development Agency s’inscrira dans la sphère d’influence de l’Assemblée, chargée d’examiner ses activités. L’Assemblée pourra du reste modifier les fonctions de la WDA, les transférer soit à l’Assemblée, aux collectivités locales ou à toute autre organisation et même supprimer certaines d’entre elles si elle le souhaite. L’Assemblée sera enfin chargée de la nomination des membres de ces organisations quasi-gouvernementales selon des critères d’ouverture et de mérite inscrits dans un code de conduite (Code of Practice) spécifique.

Nous verrons de plus que l’Assemblée sera financée par l’allocation d’un budget global par le Trésor britannique, calculé selon la formule Barnett. Bien que l’Assemblée galloise puisse, si elle le souhaite, augmenter son propre budget en réduisant ses allocations budgétaires aux collectivités locales, elle ne jouira pas comme l’Ecosse du pouvoir d’augmenter le taux de référence de l’impôt. Les négociations financières avec le Trésor ne pourront être entreprises que par le secrétaire d’Etat pour le pays de Galles. Cela ne devrait pas poser de problèmes particuliers lorsque l’Assemblée et le secrétaire d’Etat appartiennent à des majorités similaires mais des conflits se profileront inévitablement dans le cas contraire. Ces conditions signifient en outre une dépendance de Londres : les décisions politiques de l’Assemblée seront naturellement limitées par les décisions budgétaires de Londres. Les arrangements financiers définis dans le Government of Wales Act, très centralisateurs, apparaissent donc d’emblée comme un handicap pour l’Assemblée galloise et laissent entrevoir des conflits futurs entre l’Assemblée galloise et Londres. Le caractère centralisateur des aspects financiers des nouvelles institutions est en contradiction avec le projet de dévolution dont le but est la décentralisation des pouvoirs. Dans ces conditions, l’Assemblée cherchera tout naturellement à s’émanciper des contraintes imposées par Londres alors qu’une solution financière moins centralisatrice, tant pour le pays de Galles que pour l’Ecosse, aurait sans doute lié les nouvelles institutions plus étroitement au Royaume-Uni. Là encore, les garde-fous imposés par le gouvernement ne sauraient mener qu’à une frustration de l’électorat gallois et un désir d’émancipation au sein de l’Assemblée. Nous nous pencherons dès lors plus avant sur l’aspect financier des projets de dévolution en Ecosse et au pays de Galles.