A – La formule Barnett : une répartition égalitaire des deniers publics ?

En 1888, le Chancelier de l’Echiquier, George Goschen, annonça sa décision de répartir les dépenses publiques accordées aux collectivités locales selon la formule suivante : l’Angleterre et le pays de Galles se verraient attribuer 80% du budget, l’Ecosse 11% et l’Irlande 9%. L’Ecosse recevrait par conséquent 11/80èmes de l’enveloppe perçue par l’Angleterre et le pays de Galles. Mais le rapport de la commission d’enquête sur les finances publiques écossaises, dirigée par Lord Catto, créa la polémique lors de sa publication en 1952. Bien que les conclusions du rapport aient tendu à établir que les arrangements financiers entre Londres et l’Ecosse profitaient de façon équivalente à l’une comme à l’autre, l’opinion publique préféra retenir l’écart entre les sommes prélevées et les sommes perçues en Ecosse, soit dix et douze pour cent respectivement. Cette pratique fut donc supprimée en 1959 avec l’introduction des réformes Plowden. De 1959 à 1978, le budget du Scottish Office fut négociable directement avec le Trésor britannique sur le modèle des autres ministères. Paradoxalement, la base des 11/80èmes fut de fait conservée et la part des dépenses publiques de l’Ecosse fut parfois disproportionnée par rapport à ses besoins et aux sommes qui y étaient perçues grâce, notamment, aux habiles négociations de son secrétaire d’Etat.

En 1976 et 1977, Joel Barnett, alors secrétaire en chef au Trésor britannique (Chief Secretary of the Treasury) fut chargé d’évaluer les besoins de l’Ecosse et du pays de Galles dans les domaines qui devaient leur être décentralisés dans le cadre des projets de dévolution du gouvernement Callaghan. L’étude démontra que si les besoins de l’Ecosse, par exemple, étaient supérieurs à ceux de sa voisine méridionale, la part des dépenses budgétaires allouée à l’Ecosse était quant à elle supérieure à ses besoins, exceptés dans les domaines du logement, des transports et de l’ordre public. Barnett voulut alors imaginer une formule permettant une répartition des dépenses publiques basée sur les besoins des diverses régions britanniques mais tempérée par son taux de population. En 1976, la population anglaise était estimée à 85% de la population britannique, la population écossaise à 10% et la population galloise à 5%. Par conséquent, la formule imaginée par Barnett prévoyait que pour toute augmentation ou réduction budgétaire en Angleterre de l’ordre de ₤85, l’Ecosse connaîtrait une augmentation ou une réduction de ₤10 et le pays de Galles de ₤5. L’Irlande du Nord se verrait quant à elle attribuer ₤2,75 pour toute augmentation de ₤100 des dépenses publiques britanniques.

Bien entendu, la formule Barnett ne devait avoir aucune incidence sur la base de la dotation annuelle du Scottish Office (le Scottish Consolidated Fund ou Scottish block grant) mais seulement sur sa marge : dans le cas où le budget annuel de l’Angleterre ne connaîtrait pas de variation, le montant de la dotation demeurerait le même. En revanche, si le montant des dépenses budgétaires annuelles en Angleterre augmentait de 5% par exemple, une somme égale aux 10/85èmes du montant de ces 5%, soit 11,76%, devrait être ajoutée au montant de la dotation annuelle écossaise. Cette formule accordait à son origine 11,76% de toute variation budgétaire anglaise en Ecosse et 5,88% au pays de Galles. Elle fut toutefois recalibrée en 1992, suite au recensement de 1991, et les indices de population modifiés à 85,7 pour l’Angleterre, 9,14 pour l’Ecosse et 5,16 pour le pays de Galles. Le taux de variation de l’Ecosse fut donc réduit à 10,66% tandis que celui du pays de Galles connaissait une hausse à 6,02% et celui de l’Irlande du Nord à 2,87%. Depuis 2002, les taux de variation sont de 10,23% pour l’Ecosse, 5,89% pour le pays de Galles et 3,40% pour l’Irlande du Nord.

La formule Barnett était par conséquent destinée à faire converger les niveaux de dépenses publiques par tête dans les nations composant le Royaume-Uni. Cette convergence, dite Barnett squeeze, dépendait d’une part de l’augmentation du taux de dépenses publiques en Angleterre (car plus l’Angleterre dépenserait, plus vite il y aurait convergence) et de la stabilité du taux de population des nations (car si le taux de population écossaise déclinait, la convergence serait moins aisée à obtenir). De fait, il apparaît que la formule Barnett n’ait pas réussi à obtenir cette convergence car d’une part il y eut des réductions importantes des dépenses publiques dans les années 1980 et 1990 et d’autre part le taux de population écossaise a bel et bien décliné de 2% par rapport à 1981 avec 5 062 011 habitants au dernier recensement de 2001.

La formule Barnett s’applique par ailleurs uniquement à la marge de la dotation annuelle et les nations sont libres de leurs choix budgétaires. Par conséquent, l’Ecosse continue de jouir d’une allocation de budget global importante et de susciter la controverse chez sa voisine du sud, où certains élus du sud de l’Angleterre se sont désormais ralliés à la cause des élus de régions anglaises défavorisées pour demander la révision de la formule Barnett et du mode de financement de l’Ecosse. Nous verrons par ailleurs que certaines des politiques adoptées au nord de la Tweed, notamment dans le domaine de l’éducation et de la santé, attiseront les jalousies du reste du pays. Ken Livingstone, lança même une invective à cet égard lors de sa campagne à la Mairie de Londres. Il fit remarquer que quatorze des vingt circonscriptions les plus défavorisées du pays se trouvaient à Londres et, pourtant, pour toute livre sterling prélevée aux habitants de Londres, ces derniers ne recevaient plus que soixante-quinze pence. Précisons néanmoins que les travaillistes écossais utilisèrent longtemps l’argument d’une dotation disproportionnée par rapport aux besoins de l’Ecosse pour taire les revendications indépendantistes en alléguant que les projets d’indépendance des nationalistes n’étaient pas viables économiquement. L’Ecosse était au contraire avantagée par le système de répartition des dépenses publiques en demeurant au sein du Royaume-Uni.

Il en va différemment au pays de Galles qui se trouve quant à lui désavantagé de par son faible taux de population et ses besoins élevés par habitant. La formule Barnett dessert en effet le pays de Galles, comme s’est évertué à le démontrer Plaid Cymru en juillet 2002. Selon le parti, si l’on compare, en tenant compte de l’inflation, la hausse du budget annuel anglais entre 2002-2003 (₤131,87 milliards) et 2005-2006 (₤171,38 milliards) avec la hausse du budget annuel gallois aux mêmes périodes et pour les mêmes domaines (de ₤9,42 milliards à ₤11,77 milliards), on constate une hausse annuelle de 6,6% en Angleterre et 5,2% au pays de Galles. Or, selon la formule Barnett la hausse budgétaire galloise est équivalente à 6% environ de la hausse budgétaire anglaise car la population galloise représente environ 6% de la population anglaise. Par conséquent la hausse budgétaire par tête est à peu près équivalente en Angleterre et au pays de Galles. Cependant, puisque le montant des dépenses par tête est plus élevé au pays de Galles qu’en Angleterre, la même hausse budgétaire exprimée en pourcentage apparaît donc moindre. Il s’agit là d’un argument souvent avancé au pays de Galles par les nationalistes comme par les libéraux et la formule Barnett fait aujourd’hui polémique. Elle apporte de l’eau au moulin des partisans d’une plus grande autonomie de l’Assemblée galloise.