3 – Système électoral et renouveau démocratique

Le choix d’un mode de scrutin semi-proportionnel fut sans conteste l’une des principales innovations du projet de dévolution en Ecosse et au pays de Galles. En effet, seuls les Irlandais du Nord avaient eu jusqu’alors l’occasion d’utiliser un système autre que le traditionnel scrutin uninominal à un tour toujours utilisé pour les élections législatives britanniques. L’inadéquation du scrutin uninominal à un tour avait été particulièrement ressentie à partir de 1979 en Ecosse et au pays de Galles lorsque l’écart entre le nombre de sièges obtenus par les conservateurs et leur véritable poids électoral dans ces nations souleva l’idée de l’existence d’un déficit démocratique. Le scrutin uninominal à un tour est en effet inadapté aux besoins démocratiques actuels à plus d’un titre. Il rend tout d’abord mal compte de la répartition des suffrages entre les différents partis, comme le suggère le tableau ci-dessous.

Tableau 20 - Résultats des élections législatives de 1979, 1992, 1997 et 2005
Elections législatives Parti conservateur Parti travailliste Parti libéral-démocrate
1979 Nombre de sièges 339 268 11
Pourcentage des sièges 53, 5 42, 3 1, 7
Pourcentage des voix 43, 9 36, 9 13, 8
1992 Nombre de sièges 336 271 20
Pourcentage des sièges 51, 6 41, 2 3, 1
Pourcentage des voix 41, 9 34, 4 17, 9
1997 Nombre de sièges 165 418 46
Pourcentage des sièges 25 63, 4 7
Pourcentage des voix 30, 7 43, 2 16, 8
2005 Nombre de sièges 198 355 62
Pourcentage des sièges 30, 7 55 10
Pourcentage des voix 32, 4 35, 2 22

Source : résultats compilés d’après www. psr .keele.ac.uk

Si l’on étudie les résultats électoraux des élections législatives britanniques, on remarque en effet une disparité parfois importante entre le pourcentage des suffrages obtenus par un parti et le pourcentage du total de sièges obtenu. Ainsi, aux élections législatives de 2005, le parti travailliste obtint cinquante-cinq pour cent des sièges avec trente-cinq pour cent seulement des suffrages. Le parti conservateur n’obtint quant à lui qu’un peu plus de trente pour cent des sièges avec trente-deux pour cent des suffrages, soit une différence de deux pour cent seulement avec le parti travailliste.

Le scrutin uninominal à un tour tend ensuite à surreprésenter les deux principaux partis au détriment des autres. On remarque ainsi qu’aux élections législatives de 1997, les partis travailliste et conservateur se partagèrent 88,4% des sièges avec 583 députés. Le parti travailliste fut alors le principal bénéficiaire du mode de scrutin en vigueur car il emporta 63,4% des sièges avec 43,2% seulement des suffrages, tandis que le parti conservateur obtenait un nombre de sièges quasiment égal à son poids électoral. Les libéraux-démocrates pâtirent au contraire du système électoral en obtenant sept pour cent seulement des sièges avec 16,8% des suffrages. Or, cet écart important est systématique dans le cas du parti libéral-démocrate, troisième force politique du pays. La représentation politique des petits partis au Royaume-Uni n’est donc pas conforme à leur poids électoral. Nous verrons que l’introduction d’un degré de proportionnalité dans les élections au nouveau Parlement sera par conséquent le fruit de longues négociations entre le parti travailliste, grand bénéficiaire du mode de scrutin uninominal à un tour, et le parti libéral-démocrate.

Le scrutin uninominal à un tour accorde enfin plus d’importance au parti qu’à l’individu : les électeurs ne peuvent choisir à la fois un individu pour les représenter au Parlement et la couleur politique du gouvernement. Ils sont contraints d’accorder leur priorité à l’un ou à l’autre. Les électeurs accordant plus d’importance à la personnalité et la couleur politique du Premier ministre plutôt qu’à leur député régional doivent ainsi se conformer au choix de candidat du parti pour lequel ils décident de voter. Le scrutin à membre additionné, comme en Allemagne, et le scrutin uninominal préférentiel avec report de voix (Single Transferable Vote ou STV), utilisé en Irlande, permettent au contraire de combiner les deux. Selon la Independent Commission on the Voting System 187 , dite commission Jenkins, chargée en décembre 1997 par le gouvernement travailliste d’étudier les alternatives possibles au scrutin uninominal à un tour, les résultats des élections législatives britanniques se jouent en général dans cent à cent cinquante circonscriptions électorales (sur plus de six cent cinquante) aux résultats incertains.

Le mode de scrutin uninominal à un tour est donc particulièrement inapte à représenter l’ensemble des partis politiques, des sections de la population et des zones géographiques. Une réforme du mode de scrutin s’imposait alors pour la Convention constitutionnelle qui avait à cœur de créer une institution nationale écossaise représentative de sa population. La participation de divers représentants du lobby féministe (tels qu’Yvonne Strachan, représentante de la Scottish Convention of Women, puis de Women’s Forum Scotland), de cinq représentants de minorités ethniques et de délégués de mouvements pour la défense de la culture gaélique des Hautes-Terres et des Iles (An Comunn Gaidthealach et Commun na Gaidhlig) assura également une part importante au débat sur la représentativité du nouveau Parlement. La Convention comprenait en outre un délégué de chaque collectivité locale écossaise, dont certains issus de régions rurales et redoutant l’idée qu’un futur Parlement écossais ne soit dominé par les travaillistes de la ceinture centrale (Central Belt). Les régions rurales avaient été nombreuses à s’exprimer de façon défavorable lors du référendum de 1979 et seule l’adoption d’un degré de proportionnalité pour le mode de scrutin du nouveau Parlement était de nature à les rassurer sur ce point.

Enfin, la surreprésentation des membres du parti travailliste au sein de la Convention, en l’absence de représentants du parti conservateur, avait été compensée par l’inclusion d’un grand nombre de libéraux-démocrates. Or, les libéraux-démocrates étaient traditionnellement d’ardents défenseurs du système de scrutin uninominal préférentiel avec report de voix pour toute élection. Ce système permet à l’électeur de voter par ordre de préférence pour autant de candidats qu’il le désire, quelle que soit leur appartenance politique. Les candidats obtenant un quota minimum, dit Droop quota et calculé selon la formule (votes ÷ sièges + 1) +1, sont déclarés élus et les voix supplémentaires sont redistribuées selon l’ordre de préférence exprimé par les électeurs. Ce système a pour avantage en plus de sa proportionnalité de laisser à l’électeur le soin de déterminer lesquels des candidats d’un parti seront élus puisqu’il vote pour des candidats individuels et non pour un parti en général.

Les travaillistes savaient que l’échec du référendum de 1979 était dû en partie à la crainte que les travaillistes de la ceinture centrale ne dominent la nouvelle institution politique ou que les nationalistes obtiennent une majorité et l’interprètent comme un soutien à leur projet indépendantiste. Un système de scrutin proportionnel réduirait les chances d’une majorité nationaliste car le SNP devrait alors obtenir cinquante pour cent des voix. Dès lors, tandis que le mode de scrutin uninominal à un tour offrait la chance d’obtenir une majorité tant aux travaillistes qu’aux nationalistes, un mode de scrutin proportionnel assurait que l’Union ne serait pas en danger. Toutefois, les travaillistes, bien que prêts à accepter l’introduction d’un degré de proportionnalité dans le système électoral adopté pour les élections au nouveau Parlement écossais, n’étaient pas prêts à donner leur accord au scrutin uninominal préférentiel avec report de voix. En effet, les dirigeants travaillistes craignaient un système impliquant une compétition entre candidats d’un même parti. Il est peu probable que les dirigeants du New Labour, ayant entrepris de remodeler leur parti par une centralisation de son fonctionnement et une sélection de ses instances dirigeantes (comme nous le verrons plus loin avec notamment la nomination d’Alun Michael au poste de secrétaire d’Etat pour le pays de Galles en 1998 et les entraves que connut Ken Livingstone pour sa candidature à la mairie de Londres en 2000) acceptent que les électeurs puissent choisir eux-mêmes entre les candidats de chaque parti. Par conséquent, travaillistes et libéraux-démocrates se mirent d’accord sur un compromis : le mode de scrutin à membre additionné.

Selon le mode de scrutin à membre additionné, chaque électeur doit effectuer deux choix sur son bulletin de vote : il doit désigner un député pour représenter sa circonscription électorale, élu au scrutin uninominal à un tour, et choisir une liste de sept candidats d’un même parti, élus à la proportionnelle, pour représenter sa région. Les députés régionaux sont choisis parmi les premiers candidats des listes ayant obtenu le plus de suffrages et leurs scores calculés selon la formule D’Hondt. Selon cette formule, on calcule tout d’abord le nombre x de sièges obtenus par chaque parti dans une région électorale donnée, puis le nombre y de suffrages obtenus par la liste de chaque parti. On divise ensuite y par x et l’on ajoute un au résultat. Cela donne le résultat A et le candidat dont le nom apparaît en premier sur la liste ayant obtenu le meilleur résultat est élu. On répètera ensuite l’opération pour les six sièges restants mais l’on prendra cette fois en compte le nombre z de sièges régionaux déjà remportés par un parti selon la formule suivante : A = y ÷ (x + 1 + z). Enfin, tout parti ayant obtenu à la fois trente pour cent des suffrages et trente pour cent des sièges de circonscription ne pourra obtenir aucun siège régional dans un souci de rééquilibre du partage des sièges en faveur des petits partis. En Ecosse, comme au pays de Galles, les bénéficiaires de ce mode de scrutin seront paradoxalement les conservateurs et les nationalistes comme nous le verrons plus loin.

L’adoption de ce système pour l’Assemblée galloise ne fut pas évidente immédiatement car il n’y eut pas de convention multipartisane galloise, d’une part parce que les travaillistes étaient bien implantés au pays de Galles et que la menace nationaliste était plus faible, et d’autre part parce que les travaillistes gallois étaient bien plus divisés que ne l’étaient les travaillistes écossais sur la question de la dévolution. De nombreux travaillistes gallois demeuraient aussi sceptiques au regard de la dévolution qu’ils ne l’étaient en 1979. Ainsi, le projet de dévolution gallois fut élaboré par une commission interne au parti travailliste comme nous l’avons vu précédemment. Or, cette commission se déclara tout d’abord favorable au maintien du mode de scrutin uninominal à un tour, contrairement aux voeux du secrétaire d’Etat fantôme pour le pays de Galles, Ron Davies, et du dirigeant du parti travailliste, Tony Blair. Finalement, après de longues négociations ces derniers finirent par convaincre et la commission accepta l’introduction du mode de scrutin à membre additionné. Toutefois, nous remarquerons ici que seul un tiers des membres de l’Assemblée galloise sera élu à la proportionnelle tandis que quarante-trois pour cent des membres du Parlement écossais seront élus par ce mode de scrutin. L’Ecosse jouira par conséquent d’un degré de proportionnalité légèrement supérieur à celui dont bénéficiera le pays de Galles.

L’adoption de ce mode de scrutin aura en outre une incidence sur le nombre de femmes ou de candidats issus de minorités ethniques élus à l’Assemblée galloise et au Parlement écossais. Les nominations aux circonscriptions à membre unique sont parfois difficiles à obtenir pour les femmes auxquelles les partis préfèrent souvent des candidats masculins. Le mode de scrutin à membre additionné facilitera sans doute l’introduction de femmes et de personnes issues de minorités ethniques par son système de listes. Les partis souhaiteront sans doute donner une image plus ouverte et équilibrée en s’assurant de la présence de femmes dans leurs listes de candidats. L’introduction de ce mode de scrutin est cependant insuffisant pour assurer l’équilibre des sexes au Parlement écossais et la présence de lobbies féministes au sein de la Convention constitutionnelle mena à une véritable réflexion sur la question paritaire.

La parité fut donc d’abord l’objet d’un plan vigoureusement approuvé par les féministes et connu sous le nom de « 50/50 representation », stipulant que, compte tenu de la taille suffisante du Parlement, un candidat masculin et un candidat féminin seraient élus pour chaque circonscription électorale. Mais d’aucuns admettaient volontiers que cette méthode frisait l’autoritarisme et qu’il était de toute façon peu probable qu’on put l’appliquer. Dans ces conditions, un candidat pouvait être ainsi élu pour une question de parité alors qu’un autre candidat jouissait d’un soutien électoral plus important. Bien que la Convention de 1990 ait accepté cette condition sans expliciter pour autant sa mise en place, on privilégia au fil des années l’argument selon lequel la parité devait être assurée au niveau des partis politiques et ne pouvait être résolue légalement. Travaillistes et libéraux-démocrates conclurent donc finalement un accord à Inverness le 23 novembre 1995 acceptant de présenter candidats masculins et féminins en proportions égales. Nous verrons que cette initiative, reprise par les partis gallois pour les élections à l’Assemblée, aura des conséquences positives sur la représentation politique des femmes en Ecosse et au pays de Galles, et contribuera à la redéfinition politique de ces nations.

Notes
187.

The Report of the Independent Commission on the Voting System, H.M.S.O., octobre 1998, chapitre 3, article 33.