4 – La réinvention de la nation politique

Le rejet du modèle politique traditionnel de Westminster est explicite dans les textes fondateurs du projet de dévolution écossais. Ainsi les auteurs du Claim of Right, dans leur plaidoyeren faveur de la mise en place d’une assemblée écossaise, dénonçaient-ils le manque de contrôle de l’exécutif britannique et la concentration des pouvoirs entre les mains du Premier ministre. Ce discours fut plus tard repris par les auteurs de la Convention constitutionnelle dans leur rapport de 1990, Towards Scotland’s Parliament, puis de 1995, Scotland’s Parliament, Scotland’s Right, rejetant à leur tour le modèle parlementaire de Westminster, jugé archaïque, pour adopter par contraste une vision plus moderne d’institutions politiques en Ecosse.

‘« The Scottish Parliament will not be a pale imitation of Westminster. There will be no archaic practices justified in terms of custom and long usage in another place. Procedure developed over the years at Westminster can be defended only in terms of respect for tradition. That is not good enough »188.’

Après avoir exposé le déficit démocratique qu’impliquait le modèle de Westminster en Ecosse (« present constitutional circumstance denies Scotland responsive and effective democracy »189) les deux rapports préconisaient la mise en place d’un parlement plus ouvert, accessible, et représentatif de la population :

‘« From this process we have emerged with the powerful hope that the coming of a Scottish parliament will usher in a way of politics that is radically different from the rituals of Westminster : more participative, more creative, less needlessly confrontational. Part and parcel of that, we would expect, is a culture of openness which will enable the people of Scotland to see how decisions are being taken in their name, and why. The parliament we propose is much more than a mere institutional adjustment. It is a means, not an end »190.’

Il s’agissait donc pour l’Ecosse de s’éloigner du modèle traditionnel britannique pour créer ses propres institutions, à son image. L’Ecosse devait alors se réinventer selon ses propres paramètres démocratiques et politiques et devenir l’acteur responsable de son propre destin :

‘« Scotland has consistently declared through the ballot box the wish for an approach to public policy which accords more closely with its collective and community traditions. […] Scotland’s Parliament will provide the means for the will of the people of Scotland, however it may develop, to be acted upon. […] Democracy is a challenge as well as a right and privilege. It bestows a culture of involvement, and therefore of responsibility. It does not allow blame to be shrugged off on others. The contrast with present public alienation from the processes and structures of government is both compelling and invigorating. There is every reason to expect that the people of Scotland, taking charge of their own destiny, will tackle the issues that confront them more effectively than has Westminster, acting remotely in their stead 191».’

Or, le Scotland Act laissera une grande liberté au Parlement écossais quant à son mode de fonctionnement, régi par des Standing Orders. Le Scotland Act ne précise le contenu des Standing Orders que dans quelques cas liés à la procédure législative, notamment dans le but d’empêcher le Parlement de légiférer dans des domaines réservés. Il n’apporte que quelques règles fondamentales aux Standing Orders parmi lesquelles le maintien de l’ordre, l’ouverture des débats au public excepté en des circonstances extraordinaires, la précision que le Presiding Officer et ses délégués ne doivent en aucun cas faire tous partie du même parti politique et que les commissions parlementaires et sous-commissions doivent refléter le nombre de sièges obtenus par chaque parti. L’Acte ne donne donc que les grandes lignes du fonctionnement du Parlement et n’apporte aucune précision sur le mode opératoire des commissions parlementaires, par exemple. On retrouvera alors les grands principes d’ouverture, d’accessibilité, de responsabilité et de modernité énoncés dans les documents fondateurs du Parlement écossais dans les Standing Orders for the Scottish Parliament et le Code of Conduct for MSPs votés par le Parlement écossais dans les premiers mois de sa session inaugurale.

Ces deux textes fondateurs reprendront dans son ensemble le rapport du Consultative Steering Group (CSG), chargé par le gouvernement en 1998 de faire des recommandations précises quant au fonctionnement du futur parlement. Ses recommandations, énoncées dans son rapport de janvier 1999, Shaping Scotland’s Parliament, serviront même de Standing Orders transitoires jusqu’à l’adoption par le nouveau Parlement de son règlement définitif. Dans sa préface au rapport du CSG,Henry McLeish réitèrera les quatre principes fondateurs retenus par le CSG, à savoir le partage du pouvoir entre le Parlement, l’exécutif et le peuple écossais ; la responsabilité de l’exécutif devant le Parlement et le peuple écossais ; l’ouverture, l’accessibilité et la participation ; et, enfin, l’égalité des chances.

‘«  In particular our recommendations envisage an open, accessible Parliament ; a Parliament where power is shared with the people ; where people are encouraged to participate in the policy making process which affects all our lives ; an accountable, visible Parliament ; and a Parliament which promotes equal opportunities for all 192».’

Nous verrons que le modèle de fonctionnement proposé par le CSG marquera une rupture avec le modèle de Westminster à de nombreux égards. Ses auteurs s’inspirèrent largement du document To Make the Parliament of Scotland a Model for Democracy de Bernard Crick et David Millar, deux universitaires critiques du modèle parlementaire britannique. Crick et Millar dénonçaient tour à tour un mode de fonctionnement incompatible avec une vie de famille au détriment, notamment, de la présence de femmes, un contrôle excessif de l’exécutif sur le pouvoir législatif, un esprit de confrontation plutôt que de consensus dû entre autres à l’existence d’un système de « whips » ou d’un Cabinet fantôme, et un manque d’ouverture et d’accessibilité au public. Ils firent donc des recommandations très précises visant à servir de base de travail à l’élaboration d’un parlement tout en s’écartant du modèle parlementaire britannique pour une approche politique plus consensuelle, équilibrée et accessible. Si le CSG, nommé par le gouvernement, ne fut quant à lui pas ouvertement critique du système parlementaire et modifia un certain nombre des propositions de Crick et Millar, il en conserva néanmoins les grandes lignes en favorisant à son tour une approche consensuelle de la politique, en renforçant le pouvoir législatif et en facilitant la participation populaire. Nous verrons en outre que nombre de ces principes seront repris dans l’élaboration du projet d’Assemblée galloise.

Notes
188.

Scottish Constitutional Convention, Towards Scotland’s Parliament , op. cit. « Le Parlement écossais ne sera pas une pâle imitation de Westminster. Il n’y aura pas de transfert de pratiques archaïques justifiées en termes d’us et coutumes. Les procédés développés au fil des ans à Westminster ne peuvent être défendus qu’en termes de tradition. Cela est insuffisant ».

189.

Scottish Constitutional Convention, Scotland’s Parliament, Scotland’s Right , op. cit. « les présentes circonstances constitutionnelles nient à l’Ecosse une démocratie appropriée et efficace »

190.

Ibid. « Ce processus a donné naissance à l’immense espoir que la création d’un parlement introduirait une politique radicalement différente des rites de Westminster : plus participative, plus créative, moins inutilement conflictuelle. Cela s’expliquera en partie par un esprit d’ouverture permettant aux Ecossais de voir comment et pourquoi les décisions seront prises en leur nom. Le parlement que nous proposons est bien plus qu’un ajustement institutionnel. C’est un moyen et non un but en soi ».

191.

Ibid. « L’Ecosse a constamment formulé par la voix des urnes le vœu d’une politique sociale en accord avec ses traditions collectives et communautaires. […] Le Parlement écossais donnera aux Ecossais les moyens d’agir selon leur volonté, quelle qu’elle soit. […] La démocratie est un défi autant qu’un droit et qu’un privilège. Elle octroie un esprit d’implication et, par conséquent, de responsabilité. Elle ne permet pas de rejeter sa responsabilité sur les autres. Le contraste entre l’aliéniation publique actuelle et les procédés et structures du gouvernement est à la fois convaincant et dynamisant. Il y a toutes les raisons de croire que les Ecossais, chargés de leur propre destin, sauront résoudre les problèmes auxquels ils seront confrontés de façon plus efficace que la lointaine Westminster en leur nom ».

192.

Consultative Steering Group, Shaping Scotland’s Parliament, janvier 1999. « Nos recommandations envisagent en particulier un Parlement ouvert, accessible; un Parlement où le pouvoir est partagé avec le peuple ; où les Ecossais sont encouragés à participer au processus législatif qui nous affecte tous ; un Parlement responsable, visible, et un Parlement visant à promouvoir l’égalité des chances pour tous ».