A – Le principe de partage du pouvoir

Le CSG voulut tout d’abord que les Standing Orders soient assez flexibles pour être modifiés au gré de l’expérience acquise et que le Parlement puisse lui-même modifier son mode opératoire. Il était néanmoins spécifié qu’une majorité absolue serait requise lors des premières années de fonctionnement du Parlement afin de lui garantir une certaine stabilité initiale. Tout député serait cependant en droit de proposer un changement aux Standing Orders. La proposition serait examinée par le Procedures Committee qui ferait à son tour une recommandation au Parlement après une période minimum. Une fois accepté, le changement prendrait effet immédiatement sauf si le Parlement en décidait autrement. Or, il est significatif de noter que seul le gouvernement peut amender les Standing Orders à Westminster.

Les commissions parlementaires prévues par le Scotland Act jouissent en outre de davantage de pouvoirs que leurs pendants britanniques et joueront un rôle important au sein du Parlement, même si les assemblées plénières du Parlement finiront par trancher dans la plupart des cas. Si la structure de ces commissions est à peine évoquée dans le Scotland Act, le rapport du CSG apporte de nombreuses précisions. A l’instar de Crick et Millar, le CSG opta pour des commissions parlementaires variant entre cinq et quinze membres et alliant les fonctions des deux types de commissions britanniques : les commissions d’examen de textes législatifs (Standing Committees) et les commissions d’enquête (Select Committees). Ces commissions pourront dès lors déposer leurs propres propositions de loi, examiner les projets de loi en rapport avec leur spécialité, travailler en collaboration avec les ministres des départements dont elles dépendent et même les appeler à témoigner. Le Parlement pourra en outre nommer des commissions ad hoc pour travailler sur des questions s’inscrivant en dehors des frontières traditionnelles des départements parlementaires, comme le développement durable par exemple. Le chapitre six des Standing Orders décidés par le Parlement écossais stipule par ailleurs que le Parlement pourra créer des commissions parlementaires selon son gré mais huit d’entre elles seront obligatoires (mandatory committees). Il s’agit des Audit Committee (chargé d’examiner les dépenses et performances des services publics, des départements de l’Exécutif écossais et des organisations quasi-gouvernementales), Finance Committee (chargé d’évaluer les priorités budgétaires de l’Exécutif, des commissions parlementaires et du Parlement), Procedures Committee (chargé de l’application des Standing Orders), Standards Committee (chargé de l’application du Code of Conduct), European Committee (chargé de vérifier la compatibilité des projets de loi avec la législation européenne), Equal Opportunities Committee (chargé de promouvoir une législation assurant l’égalité des chances), Public Petitions Committee (chargé d’examiner les pétitions publiques), Subordinate Legislation Committee (chargé de s’assurer qu’un projet législatif secondaire est intra vires) et, enfin, Parliamentary Bureau. Ce dernier constitue une innovation électorale majeure au Royaume-Uni et s’inspire fortement du modèle européen.

Composé du Presiding Officer et d’un délégué de chaque groupe parlementaire, le Parliamentary Bureau sera chargé de nombreux aspects cruciaux du travail parlementaire. A Westminster ce travail est pour l’essentiel effectué par le biais de discussions informelles entre partis politiques ou au sein du parti au pouvoir. En Ecosse au contraire, le Parliamentary Bureau sera responsable du calendrier législatif, tâche incombant au seul gouvernement à Westminster, et de proposer les objectifs, les membres, la durée et le budget des commissions parlementaires. Le Parliamentary Bureau jouira donc d’une influence importante sur le choix des projets de loi débattus au Parlement. Or, il est significatif à cet égard de noter qu’il accordera également un rôle important aux partis minoritaires. En effet, le dirigeant de chaque parti politique disposant d’au moins cinq sièges parlementaires pourra nommer l’un des membres du Parliamentary Bureau.

Le Presiding Officer occupera également une place importante au sein du nouveau Parlement et jouira de davantage de pouvoirs que le Speaker de Westminster. Il incombera au Presiding Officer de siéger aux assemblées plénières du Parlement et d’émettre un vote dans le cas d’un résultat nul, d’interpréter et de faire appliquer les Standing Orders, de siéger au Parliamentary Bureau, de représenter le Parlement lors de tractations avec l’administration écossaise ou autres parlements et assemblées. Les règles 3.2 et 3.3 des Standing Orders prévoient en outre que l’élection du Presiding Officer et de ses deux assesseurs se fera à la majorité simple des voix, comme le suggère le rapport du CSG. Ils ne pourront en revanche être limogés qu’à la majorité absolue. La fonction de Presiding Officer sera donc une position de forte influence. En effet, le choix d’un scrutin semi-proportionnel signifiera sans doute qu’aucun parti n’obtiendra de grande majorité de sièges au Parlement et le travail du Parlement devra souvent faire l’objet de tractations entre partis dans le but de trouver un consensus. L’intervention du Presiding Officer sera donc cruciale dans la procédure législative.

La procédure législative reflète également la volonté d’un partage de pouvoir dans le sens où elle permet à l’Exécutif comme aux membres individuels du Parlement ou aux commissions parlementaires de déposer des projets de loi. En outre, la première lecture d’un projet de loi se fait en commission plutôt qu’en séance plénière. Le Parlement débattra ensuite des grandes lignes du projet de loi en se basant sur le rapport de la commission impliquée et pourra le renvoyer en commission pour l’amender si nécessaire. Le projet de loi sera ensuite débattu à nouveau en séance plénière et pourra être de nouveau amendé. Si le projet est alors approuvé il sera soumis au Presiding Officer pour le sceau royal, après une période de quatre semaines réservée aux procédures d’examen de sa qualité intra vires que nous avons vues en détail plus haut. Or, cela va à l’encontre de la procédure habituelle à Westminster, disposant d’une seconde chambre législative, où le projet de loi ne passe en commission qu’après que la Chambre des Communes ait débattu du projet et accepté ses principes généraux, avant de subir enfin une troisième lecture à la Chambre des Communes. Le système adopté à Holyrood donne par conséquent une place d’autant plus importante aux commissions parlementaires.

Les projets de loi déposés par les commissions parlementaires suivront néanmoins un parcours légèrement différent de ceux issus de l’Exécutif en vertu de l’article 9.15 des Standing Orders. Elles devront d’abord soumettre un rapport au Parlement démontrant la nécessité du projet de loi. Dans le cas où l’Exécutif refuserait d’introduire ce projet, la séance plénière du Parlement disposerait de l’autorité nécessaire pour son introduction si toutefois elle la jugeait utile. Le projet de loi suivrait alors la procédure législative normale. Les propositions de loi à caractère individuel, dites Members’ Bills, devront quant à elles suivre la règle 9.14 des Standing Orders, interdisant à un député de déposer plus de deux propositions par session. Toute proposition déposée par un député devra toutefois bénéficier du soutien d’au moins onze députés.

Au pays de Galles les commissions parlementaires disposent elles aussi du droit de proposer des projets de loi secondaires, dits Statutory Instruments. Elles ont la charge d’examiner, voire amender, les projets de loi émanant de l’Exécutif et de l’aider dans ses tâches par un apport d’information. Elles doivent pour cela évaluer les performances et le fonctionnement des services publics et organisations quasi-gouvernementales financées par l’Assemblée, étudier la législation britannique et européenne affectant leur spécialité et communiquer leurs conclusions au Cabinet ministériel. L’article 57 du Government of Wales Act de 1998 prévoit la création de plusieurs commissions parlementaires spécialisées (subject committees) comprenant neuf membres et correspondant aux spécialités des ministres de l’Exécutif. Rappelons que chaque ministre doit faire partie de la commission correspondante. Il y en aura six : une commission à l’agriculture, une commission au développement économique, une commission à l’éducation des enfants de moins de seize ans (Pre-16 Education Committee), une commission à l’éducation des jeunes de plus de seize ans (Post-16 Education Committee), une commission à l’environnement et une commission aux services sanitaires et sociaux. L’Acte prévoyait en outre la création de deux autres types de commissions parlementaires, à savoir les commissions d’examen des textes législatifs (standing committees)et les commissions régionales(regional committees). Les commissions d’examen comprennent le Audit Committee (chargé comme son pendant écossais de l’examen des dépenses publiques et prévu par l’article 60 de l’Acte), le Legislation Committee (chargé de l’examen des textes législatifs et prévu par les articles 58 et 59 de l’Acte), le Business Committee (chargé des affaires courantes, pratiques et procédures de l’Assemblée), le Equality of Opportunity Committee (chargé d’assurer l’égalité des chances à l’Assemblée et dans toute décision prise par l’Assemblée), le European and External Affairs Committee (chargé des relations avec l’Union Européenne), le Standards of Conduct Committee (chargé des plaintes qui lui sont transmises par le Presiding Officer et de toute question relative au code de conduite des membres de l’Assemblée), et, enfin, le House Committee (unique commission parlementaire jouissant de pouvoirs exécutifs en vertu de l’article 36 des Standing Orders, elle sera chargée du secrétariat de l’Assemblée mais disparaîtra en 2003). Enfin, l’article 10 des Standing Orders prévoyaient la création de quatre commissions régionales (les North Wales Regional Committee, Mid Wales Regional Committee, South East Wales Regional Committee et South West Wales Regional Committee) chargées d’une part de conseiller l’Assemblée sur des questions concernant leurs régions respectives et de l’informer d’autre part sur les répercussions des politiques de l’Assemblée et du travail des services publics dans ces mêmes régions. Il s’agit ici de l’introduction d’un mécanisme supplémentaire visant à assurer que l’Assemblée et ses politiques ne seront pas monopolisées par les régions les plus habitées du sud, comme le craignaient de nombreux Gallois avant la mise en place de la dévolution. Ce mécanisme, en complément d’un degré de proportionnalité dans le système électoral adopté pour l’Assemblée, devait ainsi assurer la distribution égalitaire des ressources et du pouvoir dans toutes les régions galloises.

Néanmoins l’indépendance des commissions parlementaires fut considérablement limitée par rapport au projet initial. En effet, le Government of Wales Act diffère du livre blanc à ce sujet. Le livre blanc stipulait que l’Assemblée serait chargée de créer plusieurs commissions consacrées à l’un des domaines transférés et que chacune de ces commissions élirait un ministre (Assembly Minister). L’ensemble de ces ministres aurait formé une commission exécutive, comme nous l’avons vu plus haut, dirigée par le First Minister directement élu par l’Assemblée. Par conséquent, le First Minister n’aurait pas la possibilité de nommer lui-même ses collègues ou de répartir leurs portefeuilles ministériels respectifs. Bien que ce système ait été adopté dans le but d’accorder une importance et une indépendance accrue aux commissions, il n’allait pas sans rappeler les faiblesses tant décriées du système de commissions des collectivités locales, en vigueur depuis le Municipal Corporations Act de 1835. Le secrétaire d’Etat pour le pays de Galles de l’époque, Ron Davies, modifia par conséquent certaines clauses du Government of Wales Act afin d’accorder au First Minister plutôt qu’aux commissions le pouvoir de nommer les membres de l’Exécutif. Cela créait ainsi un système semblable à celui d’un Cabinet ministériel, si bien que le comité exécutif fut bientôt rebaptisé Assembly Cabinet. De cette façon le rôle des commissions se différencie de celui envisagé à l’origine : les commissions sont moins impliquées dans la prise de décision quotidienne de l’Assemblée que dans l’examen des décisions prises par leur ministre et des performances des institutions publiques dont elles sont responsables. Les membres des commissions sont néanmoins chargés de contribuer à l’apport d’information dont leur ministre a besoin dans sa prise de décision, soit par des contacts avec des organisations extérieures, soit par un examen approfondi de la législation en vigueur, par exemple. Cette approche a donc pour avantage de donner un rôle plus important à des partis minoritaires ou à des acteurs indépendants de l’organe politique. On peut donc constater une réelle volonté de partage de pouvoir au sein des nouvelles institutions, tant en Ecosse qu’au pays de Galles.