C – Les principes d’ouverture, d’accessibilité et d’égalité des chances

L’une des priorités de la Convention constitutionnelle écossaise, puis du CSG, fut de concevoir un modèle parlementaire plus ouvert et accessible à toutes les sections de la population. La représentation des femmes au Parlement fut par conséquent au cœur de leurs considérations. Or, Westminster fut un contre-modèle à cet égard car le modèle parlementaire britannique est intrinsèquement défavorable à la participation politique des femmes en raison, notamment, de ses horaires difficilement compatibles avec une vie de famille. Cela peut en effet décourager certaines femmes, mères de famille, de faire acte de candidature pour des élections. Les députés de Westminster sont en effet tenus d’être présents au Parlement du lundi au jeudi entre 14h30 et 22h30, puis le vendredi matin entre 9h30 et 15h pour des réunions. Précisons en outre qu’il n’est pas rare que débats et votes tenus en Chambre des Communes aient cours jusqu’aux heures tardives du petit matin.

Les horaires et calendriers fixés pour le Parlement écossais seront donc plus compatibles avec les rythmes scolaires et plus proches des horaires de bureau : le Parlement siégera entre 14h30 et 17h30 le lundi, de 9h15 à 17h30 du mardi au jeudi et de 9h30 à 12h30 le vendredi. Le reste du temps pourra être consacré au travail de circonscription ou du parti politique représenté. Les vacances parlementaires, dont le calendrier sera fixé par le Parliamentary Bureau, correspondront peu ou prou aux vacances scolaires avec une période de huit à dix semaines entre la fin juin et la fin août, deux à quatre semaines pour Pâques et Noël, et quelques jours en octobre et février. Ce calendrier facilitera par conséquent la participation des femmes à la vie politique du pays et contribuera à une volonté d’égalité des chances. Une commission spécifique sera en outre entièrement consacrée à promouvoir une législation pour l’égalité des chances au Parlement écossais (Equal Opportunities Committee).

Le fonctionnement de l’Assemblée galloise sera similaire à ce modèle et l’Assemblée ne siégera pas après 17h30, sauf exception. Les séances plénières de l’Assemblée ont lieu les mardi et mercredi après-midi de 14h à 17h30. La journée de jeudi et les matinées de mardi et mercredi sont consacrées aux réunions des commissions, tandis que les lundi et vendredi sont réservés au travail de circonscription. En outre, l’Assemblée jouit également d’une commission à l’égalité des chances, comme nous l’avons vu précédemment, et, en vertu de l’article 6.6 des Standing Orders, l’Assemblée doit prendre le temps d’étudier les rapports annuels des trois plus grandes organisations pour l’égalité des chances, à savoir la Commission for Racial Equality Wales, la Equal Opportunities Commission Wales et la Disability Rights Commission in Wales. Notons enfin que ces mesures ont porté leurs fruits en Ecosse et au pays de Galles où la proportion de femmes élues aux nouvelles institutions fut bien plus importante qu’à Westminster dès 1999. En effet, quarante-deux pour cent des membres de l’Assemblée étaient des femmes lors de la première Assemblée (1999-2003), parmi lesquelles la Presiding Officer, Jane Davidson. L’Assemblée fut donc dès sa création l’institution politique la plus représentative des femmes au monde après la Suède. Notons qu’aujourd’hui cette proportion est de quarante-sept pour cent et que le pays de Galles se place au troisième rang mondial, bien avant le Parlement de Westminster, au cinquante-huitième rang, avec 19,5% de femmes194. Le premier Parlement écossais, élu le 6 mai 1999, comprenait quant à lui quarante-huit femmes, soit trente-sept pour cent des élus, et l’un des deux assesseurs du Presiding Officer (Deputy Presiding Officer) était également une femme, Patricia Ferguson. La part de femmes au Parlement écossais est aujourd’hui de quarante-trois femmes, soit trente-trois pour cent des élus. L’on peut dire que la décision prise par les travaillistes de proposer candidats masculins et féminins en proportions égales aux élections aux nouvelles institutions a eu un impact réel, comme le suggèrent les tableaux ci-après.

Tableau 21 - Nombre de femmes élues à l’Assemblée galloise 1999-2007
  Sièges Première Assemblée Deuxième Assemblée Troisième Assemblée
parti travailliste Circonscriptions 15 19 15
Régions 0 0 1
Parti libéral-démocrate Circonscriptions 1 2 2
Régions 2 1 1
Plaid Cymru Circonscriptions 3 1 2
Régions 4 5 5
parti conservateur Circonscriptions 0 0 1
Régions 0 2 0
indépendantes Circonscriptions 0 1 1
Régions 0 0 0

Source: Résultats compilés par l’auteur.

Tableau 22 - Nombre de femmes élues au Parlement écossais 1999-2007
  Sièges Première session Deuxième session Troisième session
parti travailliste Circonscriptions 26 26 20
Régions 2 2 3
SNP Circonscriptions 2 3 5
Régions 13 6 7
parti conservateur Circonscriptions 0 0 0
  Régions 3 4 5
parti libéral-démocrate Circonscriptions 2 1 1
Régions 0 1 1
Scottish Socialist Party Circonscriptions 0 0 0
Régions 0 4 0
Scottish Green Party Circonscriptions 0 0 0
Régions 0 2 0
indépendantes Circonscriptions 0 0 0
Régions 0 0 1

Au vu des résultats de ce tableau, on peut dire que les partis travailliste et nationalistes envoient une part importante des élues des nouvelles institutions. Le parti travailliste représente à lui seul la majeure partie des élues et celles-ci sont en général élues de circonscriptions. Un nombre important d’élues nationalistes sont élues régionales et il apparaît dès lors que le mode de scrutin à membre additionné favorise à la fois les petits partis et les femmes par son scrutin semi-proportionnel de liste. Les conditions sont donc réunies pour une plus grande participation des femmes et une plus grande représentativité des populations galloise et écossaise.

Or, cette représentation de toutes les sections de la population doit également s’accompagner d’un esprit d’ouverture et d’une plus grande accessibilité au public. Il est dès lors possible pour tout citoyen d’assister aux séances plénières de l’Assemblée galloise ou du Parlement écossais. Les commissions parlementaires sont également ouvertes au public dans un souci d’accessibilité et de participation populaire, sauf exception, et elles ont la possibilité de se réunir en dehors d’Edimbourg ou de Cardiff. La règle 12.6 des Standing Orders du Parlement écossais prévoit également que les commissions pourront désigner l’un de leurs membres comme « rapporteur », conformément au modèle du Parlement européen par exemple. Le rapporteur pourrait ainsi servir de liaison entre les commissions et les individus ou groupes d’intérêt intéressés et faciliter la recherche d’un consensus. Il serait alors identifié comme le porte-parole des propositions d’une commission.

L’une des clés de l’accessibilité du Parlement à la population est sans doute son système de pétitions publiques, un modèle à l’étude au pays de Galles. D’abord recommandé par Crick et Millar, puis retenu par le CSG, ce système permet à tout citoyen écossais d’envoyer une pétition au Parlement écossais dans des domaines relevant de sa compétence. Cet outil n’est pas nouveau en Grande-Bretagne car la pétition fait partie de la tradition parlementaire britannique depuis le début du XVIIe siècle. Il existait par ailleurs une commission spécialisée dans l’examen des pétitions à Westminster jusqu’en 1974 lorsqu’elle fut supprimée. Aujourd’hui la majeure partie des pétitions en Grande-Bretagne passe par l’intermédiaire d’un député de la Chambre des Communes. La procédure est en effet formelle et difficile d’accès et ne favorise donc pas ce moyen de participation à la vie politique britannique. Le nouveau Parlement écossais optera au contraire pour un modèle simplifié et tout citoyen désireux d’envoyer une pétition pourra trouver une fiche explicative facile d’accès sur le site internet du Parlement (e-petitions), dans les bureaux de l’organisation bénévole Citizen’s Advice ou encore dans les bibliothèques partenaires du Parlement. Toutefois, les pétitions ne doivent être envoyées qu’en dernier recours et les Ecossais sont priés de s’adresser au préalable à leurs élus locaux ou aux services de l’Exécutif. Ils devront ainsi fournir la preuve de ces contacts lorsqu’ils enverront leur pétition. La commission parlementaire consacrée à l’examen des pétitions publiques (Public Petitions Committee) décidera alors de sa recevabilité et la transmettra à la commission parlementaire ou au ministre concernés, ou encore au Presiding Officer, au Parliamentary Bureau ou au Scottish Parliamentary Corporate Body (chargé du personnel du Parlement). Une fois qu’elles auront reçu la pétition, les instances politiques concernées seront juges de la réponse appropriée.

Enfin, la clef de voûte de la politique représentative voulue par les auteurs du projet de Parlement réside dans sa procédure pré-législative et sa consultation des représentants de la société civile écossaise. Dans son article 20, le rapport du CSG prévoyait donc la création d’un Civic Forum rassemblant des envoyés de diverses organisations représentant les différentes sections de la population écossaise et qui deviendrait l’interlocuteur privilégié du Parlement. Il s’agit aujourd’hui du Scottish Civic Forum, créé peu après la fondation du Parlement et composé de délégués syndicaux, de représentants des Eglises, du milieu patronal écossais et d’organisations quasi-gouvernementales. Il est régulièrement consulté par les commissions parlementaires ou un membre du Parlement écossais et assure la liaison entre ses groupes membres, très divers, le Parlement et l’Exécutif. Le Parlement a également pour interlocuteur le service d’information parlementaire interne d’un organisme rassemblant organisations bénévoles et associations locales, le Scottish Council for Voluntary Organisations, et le service interne (Parliamentary Office) de l’organisation des Eglises écossaises (Action of Churches Together in Scotland). L’Eglise catholique dispose même de son propre service d’information parlementaire. Enfin, le Voluntary Issues Unit du département au développement de l’Exécutif écossais organise quant à lui des rencontres semestrielles avec les organisations bénévoles. Notons que ces organismes peuvent être consultés aussi bien par les membres de l’Exécutif que par les commissions parlementaires. Le Parlement écossais fait ainsi montre d’une grande ouverture et le système consultatif permet d’inclure la population dans ses activités.

La consultation fait partie intégrante de l’étape pré-parlementaire du processus législatif, bien qu’il ne s’agisse que de conventions et que l’Exécutif ne soit pas légalement tenu de les respecter. Ainsi, avant de déposer une proposition de loi au Parlement l’Exécutif doit avant tout produire un document de consultation (consultation document) exposant les grandes lignes de son projet. Il doit faire parvenir ce document aux organisations concernées et celles-ci auront par convention douze semaines pour l’étudier. Elles feront alors parvenir à leur tour un rapport à l’Exécutif. Lorsqu’il sera enfin déposé au Parlement le projet de loi sera accompagné d’une note de service (policy memorandum) résumant les objectifs du projet et les résultats de la consultation préalable. Notons enfin que les représentants de la société écossaise peuvent être consultés par les commissions parlementaires après le dépôt d’un projet de loi au Parlement. Les commissions peuvent en effet solliciter leurs témoignages oraux ou écrits lors de la deuxième étape parlementaire et peuvent en tenir compte par des décisions d’amendements. L’organigramme ci-après laisse clairement apparaître l’importance de la consultation et du partage de pouvoir dans la procédure législative.

En conclusion, les auteurs du mode de fonctionnement du nouveau Parlement écossais et de l’Assemblée galloise ont su s’écarter parfois du modèle parlementaire britannique pour créer des institutions uniques à même d’impliquer les diverses sections de la population dans la vie politique du pays. L’adoption d’un mode de scrutin semi-proportionnel et d’horaires plus compatibles avec une vie de famille a permis l’élection de nombreuses femmes dans les nouvelles institutions. La participation de groupes de pression féministes à la Convention constitutionnelle écossaise a permis une véritable discussion du problème et l’adoption conséquente par les partis politiques de mesures favorables à la candidature de femmes. Il existe en outre de nombreux mécanismes favorisant la consultation de toutes les sections de la population dans la prise de décision législative. L’esprit d’ouverture, d’accessibilité et de partage du pouvoir imaginé par la Convention constitutionnelle écossaise a finalement été respecté et les nouvelles institutions, par leur fonctionnement, contribuent à la réinvention des nations écossaise et galloise.

Organigramme 1 - La procédure législative au Parlement écossais
Organigramme 1 - La procédure législative au Parlement écossais

Source : compilé d’après Jean McFadden et Mark Lazarowicz, The Scottish Parliament, An Introduction, T & T Clark, 1999, p. 51

Notes
194.

http://www.ipu.org/wmn-e/classif.htm