1 – Les référendums écossais et gallois de 1997

A – Des référendums controversés

L’organisation de référendums en Ecosse et au pays de Galles était pour le moins inattendue et son annonce par George Robertson le 27 juin 1996, lors d’une conférence de presse au Glasgow Royal Concert Hall, provoqua une onde de choc. En effet, le parti travailliste avait jusqu’alors affirmé que son élection au gouvernement constituerait un mandat suffisant pour son projet de dévolution. La surprise fut de taille, d’autant plus que le référendum écossais ne comporterait pas une question, mais deux. Le parti travailliste prévoyait en effet d’introduire une seconde question au référendum et les Ecossais devraient s’exprimer séparément sur la création d’un Parlement écossais et sur ses pouvoirs fiscaux.

La décision fut en outre prise à huit-clos par les instances dirigeantes du parti et prit de nombreux travaillistes par surprise. Au pays de Galles, Ron Davies avait été exclu des discussions menant à cette décision et continuait de nier l’organisation potentielle d’un référendum dans les colonnes du Western Mail jusqu’à quarante-huit heures avant que l’annonce en ait été faite. John McAllion, alors porte-parole de l’opposition pour les affaires constitutionnelles, n’en sut rien lui-même et ne l’apprit que le matin de sa parution dans la presse lors d’un discussion informelle avec Jim Wallace, leader des libéraux-démocrates écossais, dans les couloirs de la BBC. Il démissionna, furieux, et prit ensuite les rênes d’une campagne interne au parti travailliste contre le référendum, soutenu notamment par le groupe Scottish Labour Action ainsi que par des syndicats ou encore par des organisations féministes. En effet, l’annonce d’un référendum avait suscité de vives inquiétudes chez les membres de la base travailliste car nombre d’entre eux avaient encore à l’esprit la défaite du référendum de 1979 et craignaient qu’un nouveau référendum ne menace à nouveau le projet autonomiste écossais. Notons enfin que Lord Harry Ewing of Kirkford, qui partageait avec Sir David Steel la présidence de la Convention constitutionnelle, démissionna également.

L’annonce des référendums suscita immédiatement de nombreuses critiques chez les autonomistes, aussi bien travaillistes que libéraux ou nationalistes, piqués qu’on ne les ait pas consultés. Tous craignaient en effet qu’un référendum ne remette en cause l’ensemble du projet. Cette décision s’attira du reste immédiatement les diatribes de la presse écossaise, fermement pro-dévolutioniste dans son ensemble. D’aucuns soulevèrent les hésitations des dirigeants travaillistes concernant la dévolution et le manque d’enthousiasme évident de Tony Blair pour les pouvoirs fiscaux du Parlement. Ils interprétèrent cette décision comme un retrait. Il semblerait en effet que l’introduction d’une seconde question au référendum ait été le fruit d’un compromis entre le leader travailliste, partisan de la suppression des pouvoirs fiscaux du futur Parlement, et certains de ses collègues, notamment George Robertson, secrétaire d’Etat fantôme pour l’Ecosse, Donald Dewar, Chief Whip, et Robin Cook, porte-parole de l’opposition pour les affaires étrangères. Selon le journaliste Brian Taylor, George Robertson aurait soumis l’idée d’une seconde question au référendum lors d’une visite officielle de Tony Blair à Dunblane après un massacre dans une école primaire en mars 1996196. Le leader travailliste aurait accepté dans la mesure où l’introduction d’une seconde question soumise à référendum servirait de soupape de sécurité pour le parti, quels qu’en soient les résultats.

Ce profond revirement de la position des instances dirigeantes travaillistes sur la question d’un référendum eut pour origine un comité présidé par Lord Irvine of Lairg, Lord Chancelier fantôme (Shadow Lord Chancellor), visant à étudier les obstacles potentiels au passage en chambre du projet de loi sur la dévolution. Parmi les membres de ce comité, on retrouvait notamment George Robertson, Donald Dewar, Ann Taylor, Jack Straw, Gordon Brown et Robin Cook. Selon une interview accordée par George Robertson le 26 janvier 1999 au journaliste Brian Taylor197, il semblait évident à leurs yeux que les travaillistes, s’ils étaient au gouvernement, seraient confrontés à de sérieux problèmes lors de la procédure législative. Il ne faisait aucun doute que les conservateurs se battraient activement contre ce projet, et que les répercussions potentielles du projet sur les circonscriptions anglaises pourraient conduire certains travaillistes à s’y opposer. De plus, puisqu’il est d’usage que les projets de lois concernant des réformes constitutionnelles soient entièrement étudiés à la Chambre des Communes, et non par une commission parlementaire, il y avait lieu de penser que la procédure serait longue et que le projet obstruerait à la fois le travail parlementaire et la mise en place du reste du programme travailliste. Rappelons que la durée du passage de la première législation fut de quatre ans entre la parution du premier livre blanc de 1974 et la ratification des Scotland Act et Wales Act de 1978. Enfin, précisons que le recours au référendum constituait une défense efficace contre les accusations selon lesquelles les travaillistes imposaient aux Gallois la dévolution au pays de Galles. Il demeurait en effet de nombreux sceptiques au sein du parti travailliste gallois mais l’annonce d’un référendum fut toutefois accueillie sans grand enthousiasme car il était clair que le débat concernait l’Ecosse bien plus que le pays de Galles. Bien que l’annonce d’un référendum ait donné l’occasion à de nombreux sceptiques d’exprimer leur opposition publiquement et que les relations au sein du parti travailliste gallois soient devenues plus houleuses encore lorsqu’il s’est agi d’adopter un mode de scrutin proportionnel, les travaillistes gallois n’eurent finalement d’autre choix que d’accepter un fait accompli.

Il faut ajouter à cela que les conservateurs gagnaient du terrain grâce à leurs attaques, largement relayées dans la presse, lancées contre une « tartan tax ». En effet, Michael Forsyth, secrétaire d’Etat pour l’Ecosse, avait mené une campagne efficace contre le projet de dévolution des travaillistes dès sa prise de fonctions en 1995 en invoquant le spectre d’augmentations d’impôts importantes en Ecosse si le Parlement faisait usage de ses pouvoirs fiscaux. Ses accusations faisaient mouche car le parti travailliste était soucieux de se débarrasser d’une image de parti dépensier et enclin aux augmentations d’impôts (« tax and spend »). En outre, les travaillistes avaient encore à l’esprit que les élections de 1992 avaient été perdues en partie parce qu’ils avaient promis de plus lourds impôts sur les actifs à moyens ou gros revenus. C’est d’ailleurs dans cette optique que le parti travailliste promit tout au long de sa campagne électorale de ne pas moduler le taux de l’impôt sur le revenu lors de son premier mandat électoral, comme il s’y engageait dans son manifeste de 1997. Les travaillistes écossais promirent également qu’il ne serait pas fait usage des pouvoirs fiscaux du nouveau Parlement pendant toute la durée de leur mandat si toutefois ils y étaient majoritaires. L’introduction d’une seconde question au référendum écossais permettait par conséquent aux travaillistes de se défendre des accusations conservatrices car le Parlement ne serait doté de pouvoirs fiscaux qu’avec l’assentiment de la population écossaise. Les pouvoirs fiscaux du Parlement correspondraient alors à la volonté populaire. Finalement, les sceptiques n’eurent d’autre choix que d’accepter les référendums et ceux-ci furent fixés au 11 septembre et 18 septembre 1997. Précisons que la date du 11 septembre 1997 était particulièrement symbolique en Ecosse car il s’agissait du 700ème anniversaire de la bataille de Stirling Bridge au cours de laquelle William Wallace bouta les Anglais hors d’Ecosse.

Notes
196.

Taylor, op. cit. p. 76

197.

Ibid. p. 71