2 – Les élections de 1999 aux nouvelles institutions

A – Premières élections au Parlement écossais : la fin du règne travailliste ?

Les premières élections au Parlement écossais marquaient la fin, certes provisoire, d’un débat commencé dans les années 1970 et le début d’une nouvelle ère. « The unfinished business » de la dévolution en Ecosse, selon l’expression désormais célèbre de John Smith212, devait enfin trouver une conclusion. Le Scotland Act fut ratifié le 17 novembre 1998 et reçut le sceau royal deux jours plus tard. Les longs mois suivant le référendum furent surtout marqués par les débats menant aux élections du 6 mai 1999, dont le mode de scrutin proportionnel fut à l’origine d’hypothèses et de pronostics nombreux et variés.

L’intérêt que suscitaient les élections était aiguisé par des sondages d’opinion réguliers suggérant que le SNP talonnait, voire dépassait, le parti travailliste. Ils annonçaient en effet un duel serré entre les deux partis et soulevaient à nouveau le spectre de l’indépendance que la dévolution avait été censée dissiper. Les travaillistes répondirent donc à la progression du SNP dans les sondages par une franche hostilité et la nomination d’Helen Liddell, à la fin du mois de juillet 1998, comme adjointe au secrétaire d’Etat pour l’Ecosse, chargée de l’organisation de la campagne électorale, put être interprétée comme une provocation. Elle annonçait de fait le retour à l’affrontement entre travaillistes et nationalistes. Helen Liddell ne cachait pas son inimitié pour les nationalistes et celle-ci fut manifeste dès 1979, lors de la campagne pour la dévolution213. La presse écossaise fit des gorges chaudes de cette nomination et l’on convoqua même David et Goliath dans la description de cet affrontement politique214. L’écart entre les deux partis se creusa néanmoins à partir de janvier 1999 lorsqu’il fut estimé que le SNP n’obtiendrait plus que 36% des suffrages tandis que le parti travailliste se maintiendrait aux environs de 43%. La moyenne des sondages n’accorda plus que 31% au SNP début mai et 45% au parti travailliste. Il était prévu que les conservateurs et les libéraux-démocrates auraient quant à eux des difficultés à franchir la barre des dix à douze pour cent.

Graphique 1 - Intentions de vote pour les élections au Parlement écossais,
Graphique 1 - Intentions de vote pour les élections au Parlement écossais, janvier 1998 - mai 1999

Source : graphique par l’auteur compilé d’après les résultats des sondages System Three Polls publiés dans The Herald pour l’année 1998 et d’après la moyenne des sondages calculée par Denver et al, op. cit. p. 207, pour l’année 1999

La baisse du SNP dans les sondages peut être imputable à plusieurs facteurs. Il est d’abord plausible qu’après avoir flirté avec l’idée de voter pour les nationalistes les électeurs aient préféré revenir à leurs sympathies politiques habituelles à l’approche de l’élection, comme c’est souvent le cas (« homing tendency »). D’autre part, la décision des nationalistes de renoncer pour l’Ecosse à la baisse d’un penny du taux d’imposition sur le revenu annoncée par Gordon Brown, alors Chancelier de l’Echiquier, à l’occasion de la présentation au mois de mars de son budget pour l’an 2000, s’avéra impopulaire. Enfin, la prise de position d’Alex Salmond concernant la crise au Kosovo dans une intervention télévisée à la fin du mois de mars lui fut certainement dommageable et fit scandale dans la presse215. Finalement les résultats des élections furent décevants pour le SNP car il ne recueillit que 28,7% des suffrages sur l’ensemble des circonscriptions et 27,3% pour les listes régionales, soit moins que les prévisions des sondages. Notons qu’il s’agit néanmoins d’un de ses meilleurs scores depuis sa création. Le SNP remporta trente-cinq sièges au Parlement écossais et s’imposa comme la deuxième force électorale du pays. Les résultats de son rival travailliste furent également inférieurs à ceux escomptés et il ne recueillit que 38,8% des suffrages dans les circonscriptions et 33,6% des suffrages pour les listes régionales. Le parti travailliste perdit alors l’espoir d’obtenir la majorité absolue au nouveau Parlement et dut se contenter d’une majorité relative. Les libéraux-démocrates remportèrent quant à eux dix-sept sièges, notamment dans des circonscriptions où ils avaient adopté une stratégie très ciblée. Ils recueillirent 14,2% des suffrages pour les votes de circonscription et 12,4% des suffrages pour les listes régionales. Enfin, les conservateurs furent sans doute agréablement surpris des bénéfices qu’ils tirèrent du nouveau mode de scrutin et de leurs dix-huit sièges, remportés exclusivement grâce aux listes régionales avec 15,4% des suffrages. Le nouveau mode de scrutin favorisa également les petits partis et le nouveau Parlement put accueillir un élu Vert et un élu de la gauche radicale (Scottish Socialist Party). Dennis Canavan, qui s’était présenté en tant que candidat indépendant après que le parti travailliste dont il était membre ait refusé de le sélectionner, remporta en outre sa circonscription de Falkirk West.

Tableau 36 - Résultats des élections au Parlement écossais du 6 mai 1999
Tableau 36 - Résultats des élections au Parlement écossais du 6 mai 1999

Source : résultats compilés d’après www.psr.keele.ac.uk

Graphique 2 - Composition du Parlement écossais
Graphique 2 - Composition du Parlement écossais

Source : graphique de l’auteur, compilé d’après www.psr.keele.ac.uk

Contrairement aux résultats habituels des élections législatives britanniques, le parti travailliste ne remporta qu’une majorité relative des sièges lors des élections législatives écossaises de 1999 tandis que d’autres partis parvinrent à bénéficier d’une représentation accrue grâce au système de scrutin à membre additionné. Le premier Parlement écossais ne connut donc pas de majorité absolue (« hung parliament »). Or, dans le contexte d’un scrutin majoritaire à un tour le parti travailliste aurait été assuré d’une majorité absolue des sièges. La position des travaillistes au lendemain des élections au nouveau Parlement était par conséquent délicate, car ils auraient à faire front à une forte opposition des autres partis, venue notamment des rangs nationalistes. Les sondages préliminaires aux élections avaient néanmoins annoncé un duel serré et les travaillistes avaient eu le temps de se préparer à de telles circonstances. La participation à la Convention constitutionnelle et à la campagne pour le « oui » au référendum aux côtés des libéraux-démocrates avait mené les travaillistes à réfléchir aux possibilités de former une alliance politique avec ces derniers. Une telle association n’était du reste pas sans précédent car travaillistes et libéraux avaient autrefois fait alliance lors du gouvernement Callaghan, un accord communément baptisé « Lib Lab Pact ».

En mars 1977, le Premier ministre Callaghan avait en effet dû conclure un accord avec le parti libéral afin de protéger sa faible majorité à la Chambre des Communes. L’accord ne dura que quinze mois car les libéraux, dans l’expectative d’élections à l’automne 1978, voulurent rompre leur alliance avec les travaillistes afin de s’y préparer. A leur plus grande surprise, les élections furent repoussées et, craignant qu’un tel délai ne leur soit nuisible, ils s’opposèrent au gouvernement lors d’un vote de confiance au Parlement et précipitèrent sa chute. La comparaison entre les deux pactes « Lib Lab » se limitera toutefois à la formation d’une alliance politique entre les deux partis, car les circonstances des deux accords divergent. En effet, le gouvernement travailliste de James Callaghan était à l’époque minoritaire et sa survie dépendait du soutien d’un autre parti. En revanche, la majorité relative dont bénéficiait le parti travailliste au lendemain de son élection au Parlement écossais lui permettait de faire cavalier seul s’il le souhaitait. Ce fut par ailleurs la stratégie adoptée par les travaillistes au pays de Galles où ils jouissaient d’une majorité équivalente avec 46,7% du total des sièges, contre 43,4% en Ecosse. Nous verrons pourtant qu’ils ne tardèrent pas à reproduire le modèle de coalition de leurs pendants écossais.

La crainte d’une forte opposition nationaliste à la politique du premier gouvernement écossais travailliste décida ce dernier à rechercher l’appui des libéraux-démocrates avec lesquels il avait en outre partagé une expérience de politique consensuelle au sein de la Convention. La Convention fut à cet égard un terrain d’expérimentation important car travaillistes et libéraux-démocrates y apprirent à négocier, collaborer et rechercher des politiques consensuelles. Leur participation à Scotland FORward avait également été une plateforme importante pour la défense d’un projet commun. Or, le graphique ci-avant illustre bien les avantages d’une telle coalition pour le gouvernement travailliste car il pourrait alors compter sur le soutien de 56,6% des sièges au Parlement pour mener à bien sa politique. La recherche d’un accord était du reste d’autant plus importante que les nationalistes avaient eux-mêmes approché les libéraux-démocrates pendant la campagne dans le but de rechercher une alliance.

Les libéraux-démocrates voulurent néanmoins négocier les conditions d’un tel accord avec les travaillistes. Leur leader, Jim Wallace, refusa initialement de brader ce qu’il considérait être l’engagement le plus important du manifeste électoral libéral-démocrate, à savoir la suppression des droits d’inscription aux universités écossaises. Bien qu’il y ait eu d’autres désaccords entre les deux partis (les libéraux-démocrates souhaitaient une augmentation du budget de l’éducation et une augmentation de l’impôt sur le revenu), la question des droits universitaires fut la principale pierre d’achoppement du pacte « Lib Lab ». De nombreuses figures des rangs travaillistes, en Ecosse comme à Londres, étaient résolument opposées à l’acceptation d’une telle condition. Cette suggestion s’attira les foudres du Cabinet ministériel de Tony Blair qui, comme nous le verrons, avait au contraire imposé des frais d’inscriptions universitaires en 1997. Un accord fut finalement conclu entre les deux partis et il fut décidé de la mise en place d’une commission d’enquête sur la question, dont le rapport serait remis directement au Parlement. Les travaillistes pensaient alors avoir gagné ce bras de fer et Jim Wallace fut vivement critiqué au sein des rangs libéraux-démocrates pour n’avoir pas su défendre une proposition dont il avait fait initialement une condition sine qua non pour la poursuite de l’alliance.

Les deux partis s’engagèrent finalement à travailler de concert au sein du nouvel Exécutif écossais dans un document intitulé A Partnership for Scotland : An Agreement for the First Scottish Parliament. La signature de ce document officiel par les dirigeants des deux partis, Donald Dewar et Jim Wallace, le 13 mai 1999 engageaient travaillistes et libéraux-démocrates pour toute la durée de la législature, jusqu’en mai 2003. Le document exposait tour à tour l’engagement des deux partis, puis le détail de leur programme commun et, enfin, le principe de responsabilité collective. Ce principe supposait que chaque parti devrait s’assurer du soutien de l’ensemble de ses députés de base (« backbenchers »). En vertu de ce principe, les libéraux-démocrates devraient alors voter avec le gouvernement, même sur la question des droits d’inscription. Nous verrons que Jim Wallace refusera pourtant de s’y plier.

Le nouveau gouvernement fut composé de façon à refléter le nombre de sièges obtenus par chaque parti : huit des dix postes du Cabinet ministériel furent attribués à des députés travaillistes. Les libéraux-démocrates héritèrent des postes de ministre des Affaires rurales, attribué à Ross Finnie, et de ministre de la Justice, accordé à Jim Wallace. En outre, le poste d’adjoint au chef de l’Exécutif (Deputy First Minister) fut destiné à Jim Wallace en vertu des termes de l’accord passé entre les deux partis. Or, les circonstances firent que Jim Wallace fut amené deux fois à diriger le pays : d’abord entre avril et août 2000 en raison de l’opération cardiaque subie par le First Minister, Donald Dewar, puis en novembre 2001 suite à la démission du second First Minister écossais, Henry McLeish. Le parti libéral-démocrate hérita en outre d’un cinquième des postes du reste du gouvernement. Cela revenait à quatre postes sur vingt seulement en comptant les deux postes du Cabinet ministériel. L’accord était donc très avantageux pour le parti travailliste, d’autant plus qu’il s’assura que les libéraux-démocrates ne contrôlaient complètement aucun ministère en secondant les ministres libéraux-démocrates par des députés travaillistes. Angus MacKay fut donc chargé de seconder Jim Wallace à la Justice et John Home Robertson dut seconder Ross Finnie aux Affaires rurales. La domination travailliste ne fut donc initialement entravée ni par l’adoption d’un système électoral à membre additionné, ni par le gouvernement de coalition mis en place. Il avait carte blanche pour mener à bien son programme politique en Ecosse au sein du nouveau Parlement.

Notes
212.

« L’affaire inachevée »

213.

Cf p. 377

214.

Murray Ritchie, « The Union at stake : SNP and Labour locked in David and Goliath battle   », The Herald, 5 août 1998.

215.

Alex Salmond était l’un des rares hommes politiques au Royaume-Uni à s’opposer publiquement au bombardement de la Serbie par les forces de l’OTAN. Il voulut défendre à cette occasion ses convictions pacifistes. Il s’agissait d’une décision controversée et non-autorisée par une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Les détracteurs de cette décision assuraient en effet qu’il était encore possible d’éviter une guerre et de sauver de nombreuses vies humaines.