B – L’émergence de Plaid Cymru aux élections : début d’une pente glissante?

La campagne électorale à l’Assemblée galloise fut officiellement amorcée le 6 avril 1999 et ne se différencia guère de la campagne écossaise dans le sens où elle fut essentiellement caractérisée par un affrontement entre partis travailliste et nationaliste. Néanmoins, la campagne galloise se singularisait par le fait que l’Assemblée ne jouissait pas de pouvoirs législatifs primaires ou de pouvoirs fiscaux mais seulement de pouvoirs exécutifs. Les programmes des différents partis, d’ordinaire exposés dans les manifestes électoraux, n’avaient pas lieu d’être dans des manifestes à l’élection de candidats à l’Assemblée, puisque celle-ci ne serait en mesure de les mettre en œuvre. Les partis ne pouvaient donc s’engager dans leurs manifestes électoraux pour l’Assemblée galloise qu’à une meilleure gestion, voire une restructuration, des programmes existants avec les budgets alloués par le Trésor britannique. Cela ne minimisait en rien l’importance des élections à l’Assemblée car celle-ci aurait un impact déterminant sur la vie quotidienne des Gallois, mais cela limitait la portée du débat électoral.

Les partis durent alors adopter des stratégies différentes de celles employées d’ordinaire dans des élections législatives. Plaid Cymru fut le seul parti à exposer un véritable programme dans son manifeste électoral mais, par conséquent, ses propositions outrepassaient parfois les limites des pouvoirs accordés à l’Assemblée. Comme à son habitude il fit campagne sur une plateforme galloise, mais son adoption d’un nouveau logo et d’un nouveau slogan en anglais (the Party of Wales) soulignait son souhait de s’ouvrir à la population anglophone et de se départir d’une image de parti galloisant et rural. Plaid Cymru mit en avant sa qualité d’unique parti entièrement consacré au pays de Galles et aux affaires galloises, soulignant qu’il ne s’embarrassait point du reste du Royaume-Uni dans sa prise de décisions politiques, contrairement aux autres grands partis, dépendants de leurs dirigeants britanniques. Cet argument était particulièrement adroit au regard du scandale qui avait entouré l’élection du leader du parti travailliste gallois, Alun Michael, sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir. En effet, elle illustrait pour beaucoup les manipulations dont le parti travailliste gallois était victime et la domination des instances dirigeantes de Millbank Tower.

Les libéraux-démocrates s’engagèrent quant à eux à obtenir des fonds supplémentaires pour les programmes gallois et ils firent campagne sur des questions surtout économiques. Ils défendirent notamment l’idée que les salaires des élus gallois devraient être indexés sur leurs performances. Ainsi, les ministres de l’Assemblée ne seraient rémunérés que s’ils appliquaient leurs promesses électorales. Paradoxalement, il émergea d’un sondage HTV/NOP mené entre le 29 avril et le 2 mai 1999 que vingt-deux seulement des mille cinq cents sondés gallois croyaient que les libéraux-démocrates tiendraient cette promesse. Gageons qu’ils ne tirèrent que peu de profit de cette proposition.

Les conservateurs gallois durent faire contre mauvaise fortune bon cœur et firent grand usage du terme « fair play » dans leur manifeste électoral. Ils se résignèrent à la décision des Gallois quant à la création d’une Assemblée mais se désignèrent défenseurs des abstentionnistes et des partisans du « non » au référendum. Ils firent grand cas de la défense de l’Union au sein de la nouvelle Assemblée et soulevèrent le spectre de potentielles discriminations linguistiques dans des régions telles que Gwynedd, où Plaid Cymru était majoritaire.

Enfin, le parti travailliste n’eut d’autre alternative que de se reposer sur la défense du bilan de ses deux premières années au gouvernement. Il mena en outre une campagne agressive contre les nationalistes sur le modèle de son pendant écossais. Les travaillistes accusèrent en effet les nationalistes de vouloir mener le pays de Galles à l’indépendance malgré leurs dires en se basant sur des prises de position écrites ou orales parfois anciennes. Les nationalistes se défendirent de ces invectives en soulignant qu’ils n’employaient pas le terme « indépendance » mais plutôt les termes « liberté » ou « gouvernement autonome » (freedom, self-government), subtilités lexicales échappant probablement à la majorité des électeurs. Il fut finalement dévoilé que Plaid Cymru avait ôté de son site internet de nombreux passages pouvant suggérer que le parti œuvrait à l’indépendance pour le plus grand embarras des travaillistes.

Ce ne fut pas là l’unique source d’embarras pour le parti travailliste pendant la campagne car la qualification du pays de Galles, lors du sommet européen de Berlin au début de l’année, pour l’obtention de fonds européens provenant du programme Objective One le mit également dans une position délicate. En effet, il fut décrété que la partie occidentale du pays de Galles et la région des vallées disposaient d’un PNB inférieur à 75% de la moyenne européenne, ce qui les qualifiait pour des aides financières importantes. Cependant les programmes financiers européens d’aide aux régions dépendent du transfert de fonds équivalents provenant des caisses de l’Etat concerné et de l’assurance que toute aide financière européenne se greffe à une allocation budgétaire identique à celle obtenue par la région concernée dans le passé. Les partis opposés aux travaillistes n’eurent de cesse pendant toute la durée de la campagne de demander à ces derniers de confirmer que les fonds transférés ne seraient pas déduits de la dotation budgétaire annuelle galloise ou d’autres fonds supplémentaires décernés dans le cadre de programmes distincts pour le pays de Galles. Ils espéraient ainsi souligner la dépendance des travaillistes vis-à-vis du Trésor et des politiques économiques britanniques. Une telle assurance venue des rangs travaillistes aurait sans nul doute eu un impact positif sur leur part du vote aux élections mais il n’en fut rien et Alun Michael dut se borner à répéter de vagues déclarations sur l’engagement du parti travailliste à développer le pays de Galles.

Les résultats des élections du 6 mai 1999 furent décevants pour le parti travailliste car s’il demeurait la première force politique du pays en remportant vingt-huit des soixante sièges que comptait l’Assemblée, il ne put obtenir la majorité absolue. Il dut, à l’instar de son pendant écossais, se contenter d’une majorité relative à l’Assemblée. Le parti travailliste n’obtint que 37,6% des suffrages pour les circonscriptions électorales, soit 17% de moins que ses résultats aux législatives de 1997, et 35,5% des suffrages pour les régions. Plaid Cymru fut au contraire le grand gagnant de ces élections en obtenant dix-sept sièges avec 28,4% des suffrages pour les circonscriptions, soit une hausse de 18,5% par rapport à 1997, et 30,6% des suffrages pour les régions. Les conservateurs décrochèrent neuf sièges, dont huit sièges régionaux, et les libéraux-démocrates n’emportèrent que six sièges également distribués entre circonscriptions et régions.

Tableau 37 - Résultats des élections à l’Assemblée galloise du 6 mai 1999
  Parti travailliste Plaid Cymru Parti conservateur Libéraux-démocrates
Sièges Total 28 17 9 6
circonscriptions 27 9 1 3
régions 1 8 8 3
Pourcentage des sièges 46,7% 28,3% 15% 10%
Pourcentages des voix 36,5% 29.5% 16,2% 13%

Source : résultats compilés par l’auteur d’après www.psr.keele.ac.uk

Graphique 3 -Composition de l’Assemblée galloise au 6 mai 1999
Graphique 3 -Composition de l’Assemblée galloise au 6 mai 1999

Source : graphique de l’auteur, compilé d’après www.psr.keele.ac.uk

Le paradoxe des résultats électoraux à l’Assemblée galloise du 6 mai 1999 prend toute sa mesure si l’on considère qu’un sondage NOP/HTV mené au lendemain des élections suggère que la popularité du parti travailliste au pays de Galles demeurait très forte, voire supérieure à celle enregistrée lors des élections législatives de 1997. En effet, cinquante six pour cent des sondés déclaraient qu’ils voteraient pour le parti travailliste si des élections générales étaient organisées sous peu tandis que seize pour cent seulement des sondés se prononceraient pour le parti nationaliste. Selon Denis Balsom216, deux facteurs déterminants sont à l’origine des faibles scores électoraux du parti travailliste aux élections à l’Assemblée galloise: le taux de participation et la permutation de certains électeurs vers un vote nationaliste.

Un sondage NOP/HTV217 souligne en effet que le taux de participation varie selon les sympathies des électeurs envers un parti donné. Ainsi, 72% des sympathisants de Plaid Cymru auraient choisi de déposer leur bulletin de vote dans l’urne contre 52% seulement des sympathisants travaillistes. Une attitude déjà notée lors du référendum de 1997. En effet, la Welsh Referendum Survey 218 de 1997 recensait 41,8% d’abstentionnistes chez les sympathisants travaillistes, contre 23,6% chez les sympathisants nationalistes, 36,7% chez les sympathisants libéraux-démocrates et 30,4% chez les sympathisants conservateurs. Le taux d’abstention élevé chez les sympathisants travaillistes s’explique en partie par la composition sociale de ses partisans. Il y eut en effet au référendum un taux plus élevé d’abstentionnistes chez les membres de la classe ouvrière, à l’époque majoritairement sympathisants du parti travailliste, que chez les membres de la classe moyenne (39,2% contre 27,1% respectivement).

D’autre part, le parti nationaliste a su attirer des sympathisants des trois autres partis lors de l’élection du 6 mai, dont 38% provenaient des rangs travaillistes, 8% des rangs conservateurs et 1% seulement des rangs libéraux-démocrates. De plus, 16% d’entre eux s’étaient abstenus aux élections législatives de 1997219. Lorsqu’ils furent interrogés sur les raisons de leur choix lors des élections du 6 mai par l’institut de sondage NOP/HTV, les électeurs de Plaid Cymru citèrent en premier lieu le fait qu’il s’agissait d’une élection galloise et non britannique (22%), puis que le parti nationaliste était plus concerné par les affaires galloises (21%), qu’il avait un meilleur programme électoral (14%), qu’il s’agissait d’une élection régionale (14%) et que Plaid Cymru était enfin le meilleur parti pour la région (13%). Plaid Cymru a dès lors réussi le pari d’être considéré comme l’unique parti gallois, comme il le répéta pendant la campagne. Le parti est donc assimilé à la politique galloise dans l’esprit de nombreux électeurs et constitue dès lors un choix tout naturel lorsqu’il s’agit pour l’électorat d’élections circonscrites à la sphère galloise, telles que les élections à l’Assemblée et les élections régionales. Plaid Cymru est enfin parvenu à franchir les barrières géographiques, identitaires et linguistiques qui lui portèrent tort autrefois et a réussi à obtenir la confiance d’électeurs dans les vallées anglophones du sud, traditionnellement travaillistes. Plaid Cymru parvint ainsi à arracher les circonscriptions de Rhondda, Islwyn, Llanelli et Carmarthen East & Dinefwr au parti travailliste lors des élections à l’Assemblée. Il remporta en outre six sièges régionaux dans les régions du sud du pays de Galles. Les élections du 6 mai 1999 furent donc historiques à plus d’un titre car il s’agissait des premières élections à une institution politique uniquement galloise, qu’elles signifiaient l’émergence du parti nationaliste comme une véritable force politique galloise par delà les frontières géographiques et linguistiques traditionnelles du nationalisme et qu’elles annonçaient ainsi la redéfinition identitaire du pays de Galles.

Notes
216.

Jones & Balsom, op. cit. p. 219

217 Ibid.

217.
218.

218 résultats cités par Geoffrey Evans et Dafydd Trystan dans Taylor & Thomson, op. cit. p. 106-107

219 sondage NOP/HTV dont les résultats sont cités par Jones & Balsom, op. cit. p. 222

219.