A – Le Joint Ministerial Committee et le pouvoir de Whitehall

Les livres blancs de 1997 pour la dévolution en Ecosse et au pays de Galles ne faisaient aucune mention d’une commission ministérielle commune (Joint Ministerial Committee ou JMC) et elle ne fut pas non plus évoquée par le gouvernement lors de son témoignage à la commission d’enquête aux affaires écossaises sur une « démocratie à plusieurs niveaux » (Multi-Level Democracy). La création d’une telle commission ne fut de fait révélée que lors d’une session tardive à la Chambre des Lords le 28 juillet 1998 par la baronne Ramsay de Cartvale. En réponse à des demandes d’amendements pour une liaison plus efficace entre administrations elle exposa en quelques mots les grandes lignes du projet :

« It is envisaged that this would be achieved through the establishment of a Joint Ministerial Committee of which the UK Government and the devolved administrations would be members. The Joint Ministerial Committee will be an entirely consultative body, supported by a committee of officials and a joint secretariat. Further details of the arrangement will be announced later »221.

Le JMC devait de fait devenir la clef de voûte des relations entre administrations britanniques et son fonctionnement fut exposé dans le premier accord supplémentaire (Supplementary Agreement) au Memorandum of Understanding, à savoir un accord entre le gouvernement et les nouvelles administrations qui fut publié en octobre 1999 et sur lequel nous aurons l’occasion de revenir. Le Memorandum of Understanding établit très clairement la prééminence du JMC dans les mécanismes sous-tendant les relations intergouvernementales. En effet, s’il prévoit que les rencontres entre agents de départements correspondants seront d’ordinaire menées directement par des hauts-fonctionnaires ou par des ministres de façon bilatérale ou multilatérale, il affirme néanmoins que ceux-ci seront contraints de participer au JMC afin d’assurer la coordination indispensable des administrations britanniques. En 1998, un membre du Cabinet ministériel britannique décrivit avec éloquence les objectifs du JMC de la façon suivante :

‘« It will head off trouble before the fire breaks out and end up in the rafters, or in constitutional terms, in the law courts. It will enable proper negotiations to take place before the UK government has to use the “nuclear option” of overriding a decision by a devolved Assembly »222.’

Le JMC sera composé de membres des Cabinets ministériels britannique, écossais et gallois et de ministres issus du Comité Exécutif nord-irlandais. Il pourra se réunir soit en séance plénière, soit en séance « fonctionnelle » (functional). Les séances fonctionnelles seront organisées à l’initiative du gouvernement britannique ou des nouvelles institutions et pourront être menées entre ministres issus des départements correspondants des diverses institutions, comme, par exemple, entre ministres de l’Agriculture ou ministres de l’Environnement. Toutefois, elles devront impérativement être dirigées par le ministre britannique du département impliqué (le ministre britannique de l’Agriculture ou le ministre britannique de l’Environnement si l’on poursuit l’exemple cité précédemment). Une séance plénière du JMC devra en outre être organisée chaque année. Elle sera dirigée par le Premier ministre et comprendra le vice Premier ministre (Deputy Prime Minister), les First Ministers écossais et gallois et l’un des membres de leurs Cabinets ministériels respectifs, le First Minister nord-irlandais et son adjoint, ainsi que les secrétaires d’Etat à l’Ecosse, au pays de Galles et à l’Irlande du Nord. En outre, il fut annoncé le 1er novembre 1999 que le JMC disposerait de sous-commissions consacrées à des domaines spécifiques. Il s’agit des Joint Ministerial Committee (Poverty), consacré à la lutte contre la pauvreté des enfants et des personnes âgées, du Joint Ministerial Committee (Knowledge Economy), dédié à une action commune sur le développement des nouvelles technologies dans l’éducation et l’industrie, et le Joint Ministerial Committee (Health), voué aux services de santé. Notons qu’il y eut plus de quarante-huit réunions du JMC entre 1999 et 2007223, soit en séance plénière, soit en séance fonctionnelle et que la plupart des réunions ont été organisées à l’initiative du gouvernement britannique. Les affaires européennes ont été le sujet le plus récurrent de ces réunions.

Le JMC a tout d’abord pour responsabilité d’étudier des questions spécifiques décentralisées mais empiétant sur des domaines réservés et vice-versa. Il doit également examiner des questions intéressant l’ensemble du territoire britannique, s’assurer du bon fonctionnement de la liaison départementale entre les diverses institutions, et trancher lors de litiges entre administrations. Et c’est là que le bât blesse. En effet, en cas de litige l’article A1.7 du Memorandum of Understanding prévoit que tout litige ne pouvant être résolu par des accords bilatéraux entre les partis intéressés ou par l’intermédiaire du secrétaire d’Etat concerné devra être soumis au secrétariat du JMC. Or, le secrétariat du JMC est certes composé à la fois de membres du Cabinet ministériel britannique et de membres issus des nouvelles institutions mais il est impérativement dirigé par un membre du Cabinet ministériel britannique. Par conséquent, dès l’introduction du projet, certains membres de l’opposition ne manquèrent pas de souligner l’injustice inhérente à un système favorisant la politique britannique au détriment des politiques des nations jouissant de la dévolution (UK-centric). Ainsi, le 1er octobre 1999 le nationaliste Alex Neil fit le commentaire suivant dans une notice de presse interne au SNP :

‘« The proposed Joint Ministerial Council is clearly biased in Westminster’s favour, since it would always be chaired by a UK Minister – including in the adjudication of disputes – and ultimately by Tony Blair. UK Ministers, including the Prime Minister, represent and reflect the Westminster interest, and are obviously not impartial players »224.’

Ces arrangements constituent en effet un avantage considérable pour le gouvernement britannique car il pourra trancher en sa faveur dans tout litige l’opposant aux institutions décentralisées. Bien entendu, cette décision ne sera utilisée qu’en dernier ressort après que les partis concernés aient entamé des négociations et le gouvernement britannique saura certainement user de diplomatie afin de ne pas s’attirer les foudres des électorats gallois ou écossais. Néanmoins la situation devrait se compliquer davantage si le gouvernement britannique et les Exécutifs de ces deux nations ne sont pas issus du même parti politique. Gageons que les partis nationalistes gallois et écossais ne manqueraient pas de soulever le problème et de tirer parti de la situation à leur avantage.

Notes
221.

Great Britain House of Lords. Hansard. 28 juillet 1998, vol. 592, col. 1488 « Nous envisageons pour ce faire la création d’une commission ministérielle commune dont le Gouvernement britannique et les administrations décentralisées seraient membres. La commission sera une institution à valeur consultative comportant une commission de hauts-fonctionnaires et un secrétariat commun. De plus amples détails seront annoncés bientôt ». http://www.parliament.the-stationery-office.co.uk/pa/ld/ldhansrd.htm

222.

Cité dans John Osmond (éd.), The National Assembly Agenda , Institute of Welsh Affairs, 1998, p. 355 « Cela servira à éviter les ennuis avant que quelqu’un ne crie au feu et que cela ne finisse mal, c’est à dire, en termes constitutionnels, devant les tribunaux. Cela permettra d’entreprendre de véritables négociations avant que le Gouvernement britannique n’utilise “l’option nucléaire” et n’appose son veto sur une décision prise par une institution décentralisée » 

223.

Great Britain House of Commons. Daily Hansard – Written Answers, 7 juin 2007, vol. 461, col. 687-688 http://www.publications.parliament.uk/pa/cm200607/cmhansrd/cm070607/text/70607w0006.htm

224.

Publication of Concordats : SNP criticise London-biased documents , SNP Press notice, 1er octobre 1999, cité dans Joint Ministerial Committee Research Note, Scottish Parliament Information Centre, RN 00/70, 6 septembre 2000.