B – Les Concordats et le Memorandum of Understanding

Contrairement au JMC, l’idée de concordats apparut d’abord lors de la publication des livres blancs de 1997. Scotland’s Parliament, à l’opposé de A Voice for Wales, n’employait pas le terme « concordat » mais exposait l’idée suivante dans son article 4.13 :

« The Scottish Executive will need to keep in close touch with Departments of the UK Government. Good communications systems will be vital. Departments in both administrations will develop mutual understandings covering the appropriate exchange of information, advance notification, and joint working »225.

La presse spécula beaucoup sur le véritable contenu de ces concordats mais le document comprenant le Memorandum of Understanding et les concordats ne fut publié que le 1er octobre 1999. Il fut à cette date présenté simultanément à Westminster, Cardiff et Edimbourg. Le Parlement écossais et l’Assemblée galloise les ratifièrent tous deux une semaine plus tard, le 7 octobre. Le gouvernement avait initialement eu l’intention de les publier à l’automne 1998 mais il y eut de profonds désaccords à Whitehall sur leur valeur prescriptive. D’autre part, les concordats étant censés être des accords bilatéraux avec les nouvelles institutions, il fut jugé plus sage d’attendre leur entrée en fonction, de peur que trop d’empressement n’apporte de l’eau au moulin des nationalistes. Leur élaboration préalable à la création des institutions n’échappa pourtant pas aux nationalistes qui les qualifièrent de diktats imposés par Westminster et élaborés en secret à Londres226.

Finalement, les quatre concordats publiés avec le Memorandum of Understanding comprennent la coordination des politiques concernant les affaires européennes, l’assistance financière à l’industrie, les relations internationales et les statistiques. Le Memorandum précise explicitement que d’autres concordats devraient être conclus entre les départements respectifs des différentes administrations au gré de leur expérience. Après un an d’existence, l’Exécutif écossais recensait dix-huit concordats à son actif, parmi lesquels des concordats entre Cabinets ministériels ; départements de l’environnement, des transports et des régions ; départements pour l’éducation et l’emploi ; ministères de l’agriculture ; départements de la culture, des médias et des sports ; départements du commerce et de l’industrie ou encore départements de la sécurité sociale. D’autres concordats plus spécifiques furent conclus sur la pisciculture ou les services vétérinaires. L’Assemblée galloise avait quant à elle conclu six concordats bilatéraux avec le Trésor, le Cabinet ministériel, le département de la santé, de la sécurité sociale, du Lord Chancelier, du commerce et de l’industrie, l’environnement, les transports et les régions. Il existe aujourd’hui une pléthore de concordats concernant parfois des questions très spécifiques et, dans la majorité des cas, il ne s’agit que de l’énumération de principes de bonne conduite (à savoir une véritable consultation des partis concernés, la mise à disponibilité de toute information pertinente, le respect et la compréhension mutuelle, etc.), des détails des conditions de négociation ou encore de la définition précise des rôles et responsabilités de chacun. Le Memorandum expose du reste des principes similaires sous des chapitres significativement intitulés « Communication and Consultation », « Co-Operation », « Exchange of Information », « Statistics and Research », « Confidentiality », ou encore « Correspondence ».

L’un des aspects les plus significatifs du Memorandum est sans doute sa reconnaissance explicite de la souveraineté de Westminster qu’il convient de reproduire ici:

‘« The United Kingdom Parliament retains authority to legislate on any issue whether devolved or not. It is ultimately for Parliament to decide what use to make of the power. However, the UK Government will proceed in accordance with the convention that the UK Parliament would not normally legislate with regard to devolved matters except with the agreement of the devolved legislature. The devolved administrations will be responsible for seeking such agreement »227.’

Les institutions décentralisées doivent en outre prévenir le département britannique concerné et les Law Officers avant de légiférer afin de laisser au gouvernement britannique le temps d’intervenir s’il le souhaite. Toutefois, le Memorandum assure que si les procédures de consultation qu’il établit sont suivies, le gouvernement britannique n’interviendra qu’en dernier ressort. Les mécanismes mis en place pour éviter tout litige entre les institutions et surtout pour assurer la prééminence de la politique britannique du gouvernement donnent toute la mesure des appréhensions du gouvernement alors qu’il se préparait à transformer le paysage constitutionnel britannique et conduire le pays vers l’inconnu.

Lors du passage à la Chambre des Lords du Scotland Act de 1998, Lord Sewel, alors sous-secrétaire d’Etat pour l’Ecosse, annonça la création d’un système permettant à l’Exécutif écossais de déposer auprès du Parlement écossais des motions, dites Sewel motions, visant à étendre à l’Ecosse le champ d’application de textes législatifs ratifiés aux Communes et portant sur des questions transférées mais d’intérêt commun à l’ensemble du Royaume-Uni. Lord Sewel expliqua que de cette façon Westminster, tout en demeurant souverain, ne prendrait pas de décision sans l’accord du Parlement écossais. Les motions Sewel devaient à l’origine être utilisées afin de gagner en temps et en clarté dans la procédure législative de façon à ce que le Parlement écossais n’ait pas à introduire le même projet de loi que celui ratifié à Westminster. Il s’agissait également d’éviter d’éventuels litiges entre les deux institutions en sécurisant le passage d’un texte législatif s’appliquant à l’Ecosse ou à l’ensemble du Royaume-Uni par le biais de Westminster. Notons que l’utilisation des motions Sewel devait être de nature exceptionnelle. Néanmoins elles furent victimes de leur succès car la charge de travail importante du Parlement écossais lors de ses premières années d’existence entraîna une utilisation accrue et inattendue de ce système. En effet, soixante-treize motions Sewel furent entérinées entre la création du Parlement et octobre 2005, date à laquelle elles furent soumises à l’examen d’une commission d’enquête (Procedures committee) après que les nationalistes aient dénoncé la fréquence de leur utilisation. Le SNP accusa l’Exécutif de vouloir éviter le passage au Parlement de projets de loi controversés en ayant fréquemment recours aux motions Sewel. Il dénonça dès lors leur utilisation abusive. Le fonctionnement des motions Sewel, rebaptisées Legislative Consent Motion, fut alors plus régulé et inscrit dans la Guidance Note 10 à l’usage des départements de Whitehall et dans le chapitre 9B des Standing Orders du Parlement écossais. L’absence de règles légalement établies peut en effet s’avérer problématique et les conventions passées entre les institutions peuvent être sujettes à interprétation.

Bien que le Memorandum et les concordats n’aient pas, en théorie, de caractère obligatoire, il est difficile d’imaginer que les institutions décentralisées ne se plieront pas à ces règles. En effet, le Memorandum expose l’idée suivante :

‘« This memorandum is a statement of political intent, and should not be interpreted as a binding agreement. It does not create legal obligations between the parties. It is intended to be binding in honour only […] Concordats are not intended to be legally binding, but to serve as working documents »228.’

Toutefois, lors du passage en chambre des projets de dévolution, quelques députés soulevèrent l’argument que le non-respect des concordats pourrait être soumis à une décision judiciaire. Ainsi, lorsque Jim Wallace souleva le problème à la Chambre des Communes, Henry McLeish donna la réponse suivante :

‘« The honourable Gentleman asks a good question. The concordats are not intended to be legally binding contracts, or to substitute for matters properly covered by the Bill. However, it is likely that they will be justiciable to an extent. For example, if the Scottish Executive did not follow the consultation procedure set out in a concordat, it could be legally challenged on the ground that the concordat had created a legitimate expectation that the procedure would be followed »229.’

Or, le concept d’attente légitime (legitimate expectation) est un concept important en droit administratif anglais, et il est également reconnu dans les cours de justice écossaises, bien qu’à un degré moindre, ce qui pourrait alors soulever un autre problème. Il est basé sur l’idée de justice (fairness) et sera en ce cas valable si toute personne peut prouver qu’elle était en droit d’attendre un certain type de comportement de la part de l’autre partie selon les termes du concordat conclu entre eux. Bien entendu, la partie inculpée pourra se défendre de toute accusation en soulignant qu’il était également entendu entre les parties que l’accord conclu n’était pas prescriptif. Il paraît cependant peu probable que cet argument domine dans un pays où la Constitution et le droit commun reposent sur un ensemble de règles tacites, de conventions et de précédents. Les concordats et le Memorandum of Understanding assurent par conséquent la prééminence des considérations politiques britanniques au détriment des politiques adoptées par les nations individuelles et sont révélatrices de l’attitude centralisatrice du gouvernement travailliste de Tony Blair, paradoxalement auteur des projets de dévolution. Il est probable dans ces conditions que les partis nationalistes des nations galloise et écossaise ne manqueront pas de pointer ces inégalités en cas de litige important et encourageront les nouvelles institutions à s’affranchir des limites imposées par Westminster. Nous verrons par ailleurs que les nouvelles institutions ne tarderont pas à se sentir à l’étroit dans le cadre de leurs pouvoirs respectifs, notamment au pays de Galles où le projet travailliste sera bientôt remis en cause. L’Ecosse et le pays de Galles chercheront enfin à mener des politiques qui leur sont propres, au risque parfois d’agacer le Cabinet ministériel britannique.

Notes
225.

The Scottish Office, Scotland’s Parliament , op. cit. chapitre 4, article 4.13 « L’Exécutif écossais devra rester en contact régulier avec les départements du Gouvernement britannique. La mise en place de bons systèmes de communication sera vitale. Les départements des deux administrations devront conclure des accords quant aux échanges d’information appropriés, l’envoi d’informations préalables et la coopération ».

226.

Alex Neil, Publication of Concordats : SNP criticise London-biased documents , SNP Press notice, 1er octobre 1999, cité dans Concordats Research Note, Scottish Parliament Information Centre, 99/12, 6 octobre 1999. « drafted in secret in London […] Westminster-imposed diktats »

227.

 Memorandum of Understanding, article 13. « Le Parlement britannique conserve le pouvoir de légiférer en toute matière qu’elle soit décentralisée ou non. Il appartient au Parlement de décider de l’usage qu’il fera de ce pouvoir. Toutefois, le Parlement britannique agira dans le respect de la convention selon laquelle le Parlement britannique ne devrait pas d’ordinaire légiférer en matières décentralisées excepté s’il obtient l’accord de l’institution concernée. Les institutions concernées seront responsables de la recherche d’un tel accord ».

228.

Ibid. articles 2 et 3 « Ce memorandum est une déclaration d’intention politique et ne doit pas être interprété de façon prescriptive. Il ne crée pas d’obligations légales entre les partis. Il est censé lier les partis de façon uniquement honorifique. […] Les concordats ne sont pas censés être prescriptifs mais ils doivent servir de base de travail »

229.

Great Britain House of Commons. Hansard. 13 mai 1998, vol. 312, col. 393 « L’honorable gentleman pose une question intéressante. Les concordats ne sont pas supposés être prescriptifs ou se substituer aux termes de la législation. Toutefois, ils pourront être soumis à procédure judiciaire. Par exemple, si l’Exécutif écossais ne suivait pas la procédure de consultation exposée dans les concordats, il pourrait être inculpé au motif que l’existence du concordat a créé l’attente légitime que la procédure serait suivie ». http://www.publications.parliament.uk/pa/cm/cmhansrd.htm